Le castor d’Europe est de retour au Portugal, naturellement, après cinq siècles d’absence. Ce retour marque une étape clé pour la biodiversité : en modifiant le paysage, cet “ingénieur de la biodiversité” permet à d’autres de s’installer durablement.
Un tronc rongé. Une silhouette fuyante filmée par une caméra de surveillance dans les plaines tranquilles de Trás-os-Montes (nord-est du Portugal). Après plus de cinq siècles d’absence, le castor européen est officiellement de retour au Portugal. Autrefois chassé jusqu’à l’extinction locale pour sa fourrure et sa viande, le castor avait disparu des rivières portugaises depuis la fin du XVe siècle.
Aujourd’hui, c’est sans intervention humaine qu’il regagne du terrain, porté par le courant depuis les rivières espagnoles, où sa réintroduction a débuté en 2003. En juin 2025, Rewilding Portugal, en première ligne des efforts de restauration écologique, a confirmé sa présence grâce à des caméras placées dans la vallée du Douro : l’une d’elles a immortalisé un juvénile en train de nager, une branche entre les dents.
Crédit photo : Mark Ma
Qu’est-ce qui a rendu possible le retour du castor ? « Tout simplement la fin des destructions humaines », assure Rémi Luglia, naturaliste et président de la Société nationale de protection de la nature. Peu exigeant, l’animal d’une vingtaine de kilos s’accommode de presque tout. « Il peut s’installer n’importe où, même sans eau pure. En 1974, on l’a réintroduit sur la Loire. Deux ans plus tard, la première famille a élu domicile… sous un pont d’autoroute, dans un enrochement artificiel. Ils avaient tout le fleuve à disposition, et ils ont choisi ce recoin bétonné. Cinquante ans plus tard, ils y sont toujours », raconte-t-il à La Relève et la Peste en riant.
1,5 millions de castors en Europe
En Europe, le rongeur semi-aquatique connaît un retour remarquable. « On observe une croissance généralisée des populations », constate Rémi Luglia. On estime désormais leur nombre à 1,5 million sur le continent, dont environ 25 000 en France métropolitaine. Une très bonne nouvelle pour le réensauvagement, car le castor est bien plus qu’un sympathique rongeur.
C’est un architecte des écosystèmes, un bâtisseur d’étangs, un créateur de zones humides, un modificateur de paysage dont les ouvrages transforment en profondeur la santé des rivières « Le castor exerce un impact considérable sur les milieux naturels, explique Rémi Luglia. En abattant des arbres pour construire ses barrages, il laisse pénétrer la lumière dans les cours d’eau et crée une véritable mosaïque d’écosystèmes ».
Et cet effet n’est pas isolé : plusieurs familles peuvent ériger une succession de barrages le long d’un même cours d’eau, transformant radicalement sa physionomie. « En réalité, ils contribuent à restaurer un paysage ancien : celui que présentaient nos rivières il y a 3 000 à 5 000 ans, avant que l’homme ne les canalise », souligne le naturaliste. Lorsqu’il s’installe, le castor provoque un véritable sursaut de biodiversité. « On observe une augmentation du nombre d’espèces, mais aussi de leur abondance : les effets sont massifs », souligne l’historien.
Des barrages gratuits… qui valent des millions
Ses barrages ralentissent les crues, filtrent les sédiments, retiennent l’eau en période de sécheresse et créent même des zones-tampons face aux incendies. Une étude (publiée dans Nature-Based Solutions) estime que ses services écologiques pourraient permettre d’économiser des millions d’euros en infrastructures hydrauliques et en prévention des catastrophes naturelles. Le tout, gratuitement et sans appels d’offres. « Aucune machine ne peut faire ce que fait un castor, avec cette efficacité et sans coût », rappelle Pedro Prata, coordinateur de Rewilding Portugal.
Crédit photo : Svetozar Cenisev
A titre, d’exemple : en mars 2025, en Tchéquie, une famille de castors a fait la une des journaux en érigeant un barrage exactement à l’endroit prévu par les autorités, évitant ainsi la construction d’un ouvrage public estimé à 30 millions de couronnes tchèques – soit environ 1,2 million d’euros.
Si le castor a patiemment reconquis son territoire, les institutions, elles, n’étaient manifestement pas prêtes. Malgré les alertes lancées dès 2023 par les écologues, aucun plan de coexistence n’a été déployé. Or, dans le domaine du réensauvagement, l’inaction peut ruiner les progrès accomplis.
« Il est essentiel que les autorités anticipent les éventuels conflits. Cela passe par une information claire auprès des riverains sur la présence du castor, ses bénéfices et les moyens de prévenir les dommages. Par exemple, protéger les arbres sensibles avec un grillage. Dans un pays comme le Portugal, au climat méditerranéen, le castor peut même aider à conserver l’eau durant les étés les plus secs », souligne Rémi Luglia.
Au Portugal, l’État tarde. « On peut encore bien faire les choses, mais il faut agir maintenant », insiste Pedro Prata. Peut-être le congrès national sur le réensauvagement, prévu cet automne, permettra-t-il de sortir de l’hibernation politique.
Retour
