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Appel à la grève et enquêtes de Bruxelles, la résistance contre Amazon s’amplifie

Selon Alma Dufour, « la nouvelle stratégie serait alors de se déplacer à l’étranger et de livrer en France, comme Amazon l’a fait pendant le premier confinement. Tout ce qu’on peut dire pour l’instant, c’est qu’Amazon semble se dégager du Grand Est. Mais la multinationale n’abandonnera pas si facilement le reste de la France. »

Avec un appel général à la grève par les syndicats en France, la multinationale Amazon est également l’objet de deux enquêtes par la Commission Européenne pour abus de sa position dominante en France et en Allemagne pour écraser encore plus les petits commerçants. Cumulés au retrait d’Amazon dans la Région Grand-Est de la France, la résistance s’amplifie de plus en plus contre les effets néfastes écologiques et sociaux et du géant américain.

Mardi 10 novembre, les trois principales organisations syndicales d’Amazon – Sud (majoritaire), CGT et FO – ont appelé tous les salariés à se mettre en grève illimitée. Depuis mars et le premier confinement, les relations entre les syndicats et la direction étaient au plus bas et cette fois-ci, plusieurs décisions de la présidence d’Amazon semblent avoir précipité la rupture.

Alors que les ventes d’Amazon France ont déjà augmenté de 15 % à cause de la fermeture, depuis le 30 octobre, des commerces « non essentiels » (vêtements, livres, bijoux, etc.), l’entreprise s’apprête à entrer dans la période des fêtes de fin d’année, son pic d’activité annuel.

Pour profiter du boulevard sans concurrence que lui a offert le gouvernement – le Premier ministre, Jean Castex, a récemment été qualifié de « meilleur employé d’Amazon » –, le géant de la vente en ligne avait même décidé d’avancer les journées du « Black Friday » au 20 novembre, avant de se rétracter, redoutant l’indignation que suscitait sa manœuvre.

C’est dans ce contexte que la direction vient d’obliger tous ses salariés à travailler quatre samedis consécutifs, les 28 novembre, 5, 12 et 19 décembre, en ne leur octroyant pour tout salaire que 37,5 euros brut par journée supplémentaire, selon les informations du journal Challenges. En comptant 7 heures de travail par jour, le forfait revient à 5,35 euros de l’heure.

L’entreprise refuse par ailleurs de dédommager ses salariés, qui s’exposent au virus alors qu’une grande partie de la population est confinée : ni prime de fin d’année, ni augmentation exceptionnelle de salaire comme en mars, avril et mai, ni conversion des intérims en CDI ne seront cette fois-ci accordées. En revanche, le chiffre d’affaires d’Amazon devrait s’envoler cette année, et dépasser les 7 à 8 milliards d’euros.

On ne sait pas encore si l’appel à la grève générale illimitée sera ou non suivi sur le terrain. C’est un fait : les organisations syndicales peinent à s’implanter dans cette multinationale, qui utilise tous les leviers à sa disposition pour diviser ses salariés, les empêcher de défendre en commun leurs intérêts, neutraliser les groupes.

Outre la traque permanente dont font l’objet les syndicalistes radicaux ou les gilets jaunes, l’empire d’Amazon est fondé sur la fluctuation des emplois : une base d’employés en CDI, la plus restreinte possible, est complétée avec des contrats courts ou des intérims selon les variations du marché.

Cette année, par exemple, l’entreprise compte doubler sa masse salariale au seul mois de décembre. Une telle situation a comme conséquence de précariser tous les employés, les CDI étant menacés par un réservoir de travailleurs disponibles et formés, les contrats courts par leur statut même. 

Abus de position dominante et distorsion de concurrence

Le 10 novembre, la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, a annoncé en conférence de presse qu’Amazon était visé par deux enquêtes de Bruxelles. La Commission, qui n’est pas réputée pour son manque de « laisser-faire », accuse la multinationale de profiter de sa position dominante en France et en Allemagne, ses deux plus grands marchés européens, pour écraser une constellation de petits concurrents.

Ce qui fait la force de cette multinationale, c’est qu’elle est à la fois un détaillant et une place de marché. Détaillant, parce qu’Amazon vend directement sur sa plate-forme des produits stockés dans ses entrepôts ; place de marché, parce que le géant permet aux commerçants indépendants, qui représentent 60 % de son volume de ventes, d’utiliser son site internet pour atteindre leurs consommateurs.

En traitant les masses de données non publiques que sa place de marché recueille (nombre de ventes, de visites, prix, avis des clients, performances, délais de livraison, etc.), Amazon dispose donc d’études de marché gratuites et en quelque sorte « espionnes », qui lui permettent d’ajuster en permanence ses propres ventes, de réduire les risques, de proposer des produits moins chers ou de mettre en valeur ses offres, toujours au détriment des autres vendeurs, dont il évite la concurrence. Sur des centaines de millions d’opérations par pays, de tels avantages sont immenses.

La seconde enquête « antitrust » de la Commission, moins détaillée, porte sur Prime, le service de livraison d’Amazon, et plus particulièrement sur la « buy box ». Comme l’explique le Journal du Net, sur la plate-forme d’Amazon, « il n’y a qu’une seule fiche par produit, même quand il est vendu par plusieurs commerçants ».

Pour guider le consommateur, la multinationale propose un bouton Ajouter au panier (la « buy box ») qui, selon les réglages de l’algorithme, sélectionne lui-même « les produits de l’un des commerçants, ses concurrents étant listés quelques lignes plus bas ».

Mais comment l’algorithme choisit-il les vendeurs qu’elle mettra en valeur ? La rapidité de la livraison, le prix, les stocks, l’adhésion au service Prime ? Selon la Commission européenne, Amazon favoriserait via la « buy box » ses propres produits et ceux des vendeurs qui ont souscrit à ses services de logistique et de livraison, payants et très lucratifs.

Or, 80 % des transactions ayant lieu sur le site internet d’Amazon sont effectuées au moyen de la « boîte d’achat », ce qui défavorise complètement les vendeurs qui n’ont pas eu la chance d’être choisis, alors qu’ils fournissent à la multinationale cette diversité de produits constituant le premier vecteur d’attrait de la clientèle. L’abus de position dominante enfreint l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Abandon du méga-entrepôt d’Ensisheim : les mensonges d’Amazon

Après mille et une péripéties, Amazon semble avoir abandonné son méga-entrepôt d’Ensisheim, une commune de 7 500 habitants à la croisée de Colmar et Mulhouse. Ce projet d’une surface de 189 652 m2 au sol et de quatre étages, qui devait fonctionner en permanence, de jour comme de nuit, était porté auprès des acteurs locaux par la société Eurovia 16 Project, une filiale du groupe luxembourgeois Logistics Capital Partners, spécialisé dans la construction de plates-formes logistiques et d’entrepôts. Amazon s’est servi de cette filiale créée le 3 septembre 2019 pour que son nom n’apparaisse nulle part avant l’ouverture de l’entrepôt.

Comme à l’accoutumée, les négociations et les procédures avec la mairie d’Ensisheim, les élus de la communauté de communes et la préfecture se sont déroulées dans le secret le plus opaque, au moyen de clauses de confidentialité, sans que la Chambre de commerce et d’industrie ni même le Medef Alsace n’en soient informés. Heureusement pour l’intérêt public, des commerçants, des collectifs d’habitants et des associations se sont emparés du sujet.

Alors que le projet était sur le point d’aboutir, le permis de construire ayant été délivré par la mairie, et le préfet du Haut-Rhin s’apprêtant à rendre public son arrêté d’autorisation, citoyens et élus opposés au méga-entrepôt ont annoncé qu’ils manifesteraient le 5 novembre devant la préfecture de Colmar.

Mais le jour même de ce rassemblement qui devait faire l’objet de deux reportages, le président d’Amazon France, Frédéric Duval, déclare sur une chaîne d’information continue que son entreprise n’a « pas de projet d’implantation en Alsace », tout en ajoutant qu’Ensisheim ne fait partie d’aucun programme interne…  Amazon n’a-t-il jamais souhaité s’implanter dans le Haut-Rhin ?

« C’est un mensonge ! » nous répond Alma Dufour, qui s’occupe de surproduction aux Amis de la Terre et suit ce dossier depuis plus d’un an. « Nous sommes certains à 99 % qu’il s’agissait d’un projet d’Amazon, mais que Frédéric Duval ne veut pas le reconnaître pour ne pas avoir l’air de céder aux opposants. »

Pour preuve, le méga-entrepôt d’Ensisheim était absolument identique à celui de Metz, quant à lui récemment confirmé. D’ailleurs, la holding luxembourgeoise, Logistics Capital Partners, a déjà construit deux entrepôts pour Amazon en Italie. Plusieurs acteurs locaux, qui ne sont plus sous le coup d’une clause de confidentialité, ont cette semaine affirmé qu’Amazon prospectait bien en Alsace, à Ensisheim et Dambach-la-Ville.

« Comme à son habitude, nous explique Alma Dufour, Amazon ne s’est pas contenté d’un site, mais a mis plusieurs villes en concurrence, pour obtenir des avantages de la part des élus. Ce n’est pas rare qu’il se retire brutalement d’un territoire pour en choisir un autre, comme il s’est retiré de Dambach il y a quelques semaines. Par contre, c’est plus rare qu’il abandonne toute une région. »

Ce retrait, qui en a surpris plus d’un, indique-t-il qu’Amazon est en train de changer de stratégie en France ? C’est une supposition des Amis de la Terre : la multinationale aurait changé de cap pour l’Alsace, face à la croissance des recours en justice de la part de la population, qui retardent les projets, comme celui de Lyon, à l’arrêt depuis deux ans.

Disposant à présent d’un méga-entrepôt à Metz, Amazon compte peut-être se servir de sa liaison aérienne quotidienne entre l’aéroport de Leipzig en Allemagne et celui de Bâle-Mulhouse pour livrer ses clients dans les délais qui sont les siens, en moins d’une journée. 

Selon Alma Dufour, « la nouvelle stratégie serait alors de se déplacer à l’étranger et de livrer en France, comme Amazon l’a fait pendant le premier confinement. Tout ce qu’on peut dire pour l’instant, c’est qu’Amazon semble se dégager du Grand Est. Mais la multinationale n’abandonnera pas si facilement le reste de la France. Dans les prochains mois ou les prochaines années, on peut s’attendre à ce qu’elle mette le grappin sur le Grand Ouest. »

Crédit photo couv : A person holds a sign that reads ‘Amazon = Cheats do not pay their taxes’ during a protest against the installation of US giant Amazon multinational technology company in front of the Haut-Rhin prefecture in Colmar, eastern France on November 5, 2020. SEBASTIEN BOZON / AFP

Augustin Langlade

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