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Affaire Vecchi : une loi mussolinienne menace les libertés des populations européennes

Pour Maître Tessier, l’application de ce mandat d’arrêt pourrait avoir des conséquences désastreuses en termes de jurisprudence en introduisant un précédent juridique susceptible de s’appliquer même lorsque les MAE seraient motivés par des lois illibérales ou antidémocratiques.

Condamné à plus de douze ans de prison par Rome pour avoir participé à deux manifestations antifascistes et altermondialistes, Vincenzo Vecchi est sous le coup d’un Mandat d’arrêt européen (MAE). Motivée par une loi qui date de l’époque de Mussolini, la demande italienne fait l’objet de houleux débats juridiques en France, où le militant s’est réfugié. Dernière étape : la Cour d’appel de Lyon, où le dossier est soumis à un nouvel examen à partir du 24 février 2023. Retour sur un procès fleuve qui menace d’introduire un précédent juridique désastreux à l’échelle de l’Union européenne.

De militant altermondialiste à fugitif

Engagé dès les années 1990 dans des groupes altermondialistes et écologistes milanais, le natif de Lombardie participe à de nombreuses manifestations qui lui attireront les foudres des autorités italiennes : la marche contre le Sommet du G8 à Gênes (2001) et la marche antifasciste contre la Flamme tricolore à Milan (2006).

Au cours de celles-ci, les heurts entre manifestants et policiers se multiplient, allant même jusqu’à déboucher sur la mort de Carlo Giulani – un militant écologiste alors âgé de 23 ans – sous les balles d’un représentant des forces de l’ordre.

Pourtant – faits que la Cour Européenne des droits de l’homme reprochera à l’Italie – seuls les manifestants altermondialistes seront inquiétés par la justice. Parmi eux, Vincenzo Vecchi, condamné à douze ans de prison pour « dévastation et pillage ». Une loi tout droit tirée du code Rocco, adopté en 1930 sous Mussolini, qui stipule que la seule présence sur les lieux d’un forfait vaut « concours moral ».

Suite au verdict du tribunal italien de première instance, et dans des circonstances troubles, Vincenzo Vecchi a fui son pays vers la France et élit domicile en Bretagne dès 2011. Il fait, depuis, l’objet d’un Mandat d’arrêt européen (MAE) émis par Rome.

« Un voisin, un pote »

Celui qui se fait alors appeler Vincent Papale s’est rapidement intégré dans la communauté de Rochefort-en-Terre, Malansac et alentours. Décrit par son entourage comme « un voisin, un pote, le type avec qui on part se balader ou faire du canoë », le peintre en bâtiment a su gagner le cœur des habitants du coin. Et pour preuve : ce sont eux qui, après son arrestation en 2019 par les autorités françaises, ont monté le Comité de soutien Vincenzo.

Sillonnant la France depuis maintenant plus de trois ans au gré des épisodes judiciaires, Jean-Pierre Guenanten, membre du collectif de soutien et voisin de Vincenzo, développe l’action du comité. Interpellation du pouvoir politique, sensibilisation de l’opinion publique, médiatisation de l’affaire à l’échelle nationale…

Vendredi dernier, ce fut près de 100 personnes venues de Bretagne et d’Italie qui se réunirent 1 rue du Palais de Justice à Lyon pour réclamer la libération du lombard, chants, slogans et banderoles à l’appui.

« Pas de Justice, pas de Paix », « il n’a pas tué, pas volé, mais il a manifesté », scandèrent les soutiens de Vincenzo, dans l’espoir d’infléchir la position du Parquet Général qui souhaite remettre le militant à Rome.

Présence du comité de soutien devant la Cour d’Appel de Lyon, ce vendredi 24 février – Crédit : Gaëlle Welsch

Acharnement judiciaire ou répression d’État

Le comité de soutien dénonce, par-là, l’acharnement judiciaire dont fait l’objet Vincenzo Vecchi. Pour rappel, l’affaire – à savoir, si oui ou non les autorités françaises devraient remettre le principal intéressé à l’Italie – a déjà été jugée à deux reprises.

En novembre 2019, la Cour d’appel de Rennes déclare irrégulière la procédure du MAE pour les manifestations de Gênes. Quelques jours plus tard, le Parquet général se pourvoit en cassation. La Cour éponyme, chargée de juger uniquement en droit, décide d’annuler l’arrêt de la Cour de Rennes et renvoie l’affaire à la Cour d’Angers. Rebelote, un an plus tard, le même scénario se reproduit. L’affaire est alors renvoyée à la Cour d’appel de Lyon pour être rejugée à partir du 24 février 2023.

Seulement cette-fois-ci, la Cour de cassation demande l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur le principe de « double incrimination », selon lequel « la justice des États-Membres fonctionne de manière équivalente et qu’un ressortissant subira une peine équivalente pour une infraction quel que soit l’État dans lequel il est jugé ».

Ce principe se pose à l’émission de chaque MAE, sauf lorsqu’il est motivé par un panel de 32 incriminations – terrorisme, meurtre, vol en bandes…–, pour lequel il a été supprimé. À cette question prioritaire de constitutionnalité, la CJUE a répondu que la condition de double incrimination était satisfaite même lorsque l’infraction porte atteinte « à un intérêt juridique protégé dans l’État d’émission mais pas dans celui d’exécution », explique Chloé Fauchon.

En d’autres termes, « les autorités françaises doivent exécuter le MAE émis par l’Italie, bien que seule une partie des faits constitue une infraction au regard du droit français », poursuit la docteure en droit à l’Université de Strasbourg.

C’est pourtant sur ce principe que repose la défense de Vincenzo Vecchi. Maître Tessier, l’un des trois avocats du lombard déplore notamment le fait :

« que la France puisse exécuter une peine qu’elle-même n’aurait jamais prononcée, car les faits reprochés à Monsieur Vecchi […] auraient donné lieu à l’époque à des condamnations pour contravention ou pour délit, c’est-à-dire des peines qui n’ont rien à voir avec celles encourues en Italie pour ‘dévastation et pillage’, qui elles relèvent du niveau d’un crime ».

Mais, outre l’enjeu de la double incrimination, l’avocat soulève la question plus large de l’atteinte au respect de la vie privée :

« Est-il raisonnable, plus de vingt après, de renvoyer quelqu’un dans un pays pour qu’il exécute une peine, de surcroît prononcée en vertu d’une loi mussolinienne, alors même qu’il présente à ce jour toutes les garanties d’insertion en France ? ».

Deux arguments qui ont à nouveau été entendus lors de l’audience du 24 février.

Le risque d’un précédent juridique

En réaction à l’avis de la CJUE, les avocats de Vincenzo Vecchi et le comité de soutien ont décidé d’œuvrer conjointement pour porter l’affaire sur les bancs des eurodéputés, insistant sur le fait que ce n’est pas simplement l’histoire d’un seul homme mais bien « une histoire collective », pour reprendre les termes de l’inquiété.

Cette affaire met en lumière un bafouement des libertés individuelles qu’entend pourtant garantir la charte de l’UE.

Les défenseurs du militant altermondialiste peuvent notamment compter sur le soutien de Francis Wurtz, ancien eurodéputé PCF. Ce dernier rappelle à la mémoire de la CJUE les débats ayant eu cours lors de l’adoption du MAE sur le principe de « confiance mutuelle ». En vertu de celui-ci, « en l’absence de garantie du respect des droits fondamentaux par chaque système judiciaire national », l’État peut faire obstruction dans ces procédures, détaille Thomas Lemahieu.

D’après l’ex-eurodéputé, de nombreux rapports ont déjà dénoncé les excès de cette procédure, notamment en matière de double incrimination.

Sur les conseils de Francis Wurtz, avocats et membres du collectif ont œuvré pour une saisine de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen, afin d’évaluer si l’avis de la CJUE respecte les droits fondamentaux reconnus par l’UE.

Présence du comité de soutien devant la Cour d’Appel de Lyon, ce vendredi 24 février
Crédit : Gaëlle Welsch

Un lanceur d’alerte ?

Pour Maître Tessier, l’application de ce mandat d’arrêt pourrait avoir des conséquences désastreuses en termes de jurisprudence en introduisant un précédent juridique susceptible de s’appliquer même lorsque les MAE seraient motivés par des lois illibérales ou antidémocratiques.

« Je pense par exemple au sujet de l’incrimination du recours à l’IVG » en Pologne, développe alors l’avocat pour lundimatin.

Concrètement, si l’IVG est interdit et criminalisé dans un État donné, toute personne y ayant recours s’expose à une condamnation. Si cette personne « refuse d’effectuer sa peine fondée sur une incrimination aussi injuste : nous n’aurions pas ici affaire à une criminelle en fuite, mais, comme pour Monsieur Vecchi, à une personne qui lancerait l’alerte – malgré elle – au nom des valeurs démocratiques qui sont les nôtres ».

Dans ce cas, l’État pourrait malgré tout émettre un MAE à son encontre, qui, sur les mêmes motifs que l’affaire Vecchi, serait contesté par la défense.

« Mais si on applique la décision de la Cour de justice de l’Union Européenne, il suffirait que cela ‘ressemble’ à une infraction qui existe déjà chez nous, pour que le mandat d’arrêt européen soit malgré tout appliqué par les juges français ».

L’on voit donc bien comment, en balayant la nécessité d’une équivalence parfaite, l’avis de la CJUE peut servir d’outil liberticide.

« C’est dévoyer le mandat d’arrêt européen », nous confie Jean-Pierre Guenanten.

Comme l’a répété à maintes reprises Vincenzo Vecchi, il est impératif de décentrer le débat. Face aux potentielles dérives qu’impliquerait l’application de l’avis de la CJUE, à la fois pour l’affaire Vecchi mais plus largement pour la protection des libertés individuelles à l’échelle de l’UE, il est plus urgent que jamais de réagir.

C’est donc une décision lourde de conséquences que s’apprête à rendre la Cour d’appel de Lyon, après une période de délibéré qui prendra fin le 24 mars.

Crédit photo couv : Sebastien SALOM-GOMIS / AFP

Gaelle Welsch

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