Trois lieux, trois ZADs le long du tracé de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres : la Crem’Arbre, la Cal’Arbre et le « Verger ». Dans la nuit du samedi 31 août au dimanche 1er septembre, ces lieux de résistance ont tous été pris pour cible. De la destruction totale de la ZAD de la Crem’Arbre à la tentative d’incendie du Verger par des individus cagoulés et habillés de noir, récit d’une nuit où tout a basculé. Par Alain Pitton.
Trois ZADs
Depuis presque un an, les opposants à l’A69 occupaient le bois de la Cremade à Saïx (Tarn), surnommé la « Crem’Arbre ». Confrontés en février/mars à un véritable siège des forces de l’ordre, les derniers écureuils descendent des arbres le 24 mars. La situation sur place s’apaise jusqu’à fin juillet.
Toutefois, le 30 juillet, Atosca, protégée par des gendarmes, entoure la Crem’Arbre de grillages de deux mètres de haut malgré l’illégalité de ces travaux, ce bois étant classé « à fort enjeu écologique ». Ce qui signifie que tous travaux étaient interdits jusqu ‘au 1er septembre.
Autre ZAD du tracé de l’A69, la Cal’Arbre, à Saïx également, est occupée depuis février. Elle est violemment évacuée de ses occupants au sol le 30 août par les gendarmes mobiles.
Ne restent plus que les écureuil.les occupant les chênes multi-centenaires.Dernière ZAD le long du tracé, la plus proche de Toulouse, le Verger à Verfeuil. Il s’agit d’un terrain boisé de 8000 m² avec une maison dont le bail locatif court jusqu’à septembre 2025, sauf si un accord est trouvé entre la locataire, Alex, et Atosca pour un logement correspondant à ses besoins.
Le terrain appartient à Atosca depuis l’expropriation du propriétaire. Suite à l’invitation de la locataire, des zadistes et des écureuil.les ont commencé à s’installer durant le printemps. C’est la seule ZAD à ne pas avoir été confrontée aux forces de l’ordre.
Légalement, le déboisement de la Crem’Arbre et de la Cal’Arbre ne pouvait commencer qu’à partir du 1er septembre. Ou plutôt le déboisement de la Cal’Arbre et la fin du déboisement de la Crem’Arbre, celui-ci ayant été commencé ce printemps en toute illégalité puisque la DREAL n’avait pas changé son appréciation du bois comme « zone à fort enjeu écologique », contrairement aux affirmations du préfet du Tarn de l’époque, Michel Vilbois. Côté Verger, les opposants à l’A69 mènent une veille nocturne depuis une attaque d’incendiaires dans la nuit du 25 août.
Des abattages d’arbres en pleine nuit
Cette nuit du 31 août, les occupants du Verger ont su dès 22h30 qu’il n’y aurait pas de sursis pour les deux autres ZADs et leurs arbres lorsque trois escadrons de GMs et quatre abatteuses sur porte-chars sont passés devant la maison d’Alex et de son fils de 4 ans.
Une heure et demie plus tard, les premières nouvelles de la Crem’Arbre tombent : « ils sont en train d’amputer Majo ». « Majo », le platane consacré « arbre remarquable 2024 » par l’association A.R.B.R.E.S, le 27 avril. La tristesse s’abat sur le groupe du Verger. L’un des écureuils les plus chevronnés de la lutte anti-A69, Nanou, ne peut empêcher quelques larmes de couler alors que le Vieux, lui, se prend la tête dans les mains de colère et de sentiment d’inutilité.
Pourtant, le découragement ne dure pas : il faut rester concentré sur la surveillance du Verger. Grâce à Ubac et Nikita qui jouent de la guitare et chantent, l’ambiance se fait moins lourde. On parle, on discute, de tout et de rien. De politique comme de techniques de grimpe dans les arbres. La nuit s’écoule. On apprend que le dernier arbre de la Crem’arbre est tombé, que ceux de la Cal’Arbre sont en train d’être abattus hormis ceux occupés par les écureuil.les.
Soudain, vers 3h40, des cris retentissent. Des lumières sont apparues, côté gauche de la maison d’Alex. Des zadistes se précipitent. Des gendarmes accompagnent une abatteuse, ils aveuglent les personnes venues voir : impossible de savoir combien de gendarmes sont présents. L’abatteuse se dirige vers un arbre mort situé en lisière du terrain d’Alex et l’arrache.
Après quelques minutes, Alex arrive, réveillée par les cris et le bruit. Elle explique aux gendarmes que c’est du tapage nocturne. En effet, elle s’inquiète du sommeil de son garçon qui doit faire sa rentrée lundi matin. Cela parlemente, un bûcheron s’attaque à un chêne en excellente santé, le coupe. Nanou, furieux, s’éloigne en pestant contre le monde entier après avoir fait une vidéo dans laquelle il exprime toute sa rage et sa tristesse. Les gendarmes et l’abatteuse se retirent finalement et repartent vers Castres aux alentours de 4h40.
Attaque des fascistes contre les écureuils
De nouveau, la tension et le stress retombent. Alex repart essayer de dormir. Certains opposants tentent de se reposer, d’autres restent éveillés. Bien leur en a pris. Vers 7h00, de nouveaux cris retentissent « les fafs ! Les fafs ! ». Deux personnes, dont le compagnon d’Alex, mettent en fuite quatre hommes cagoulés et habillés de noir attendus par un chauffeur, non sans se faire asperger de produit inflammable pour l’un et de liquide inflammable et de gaz lacrymogène pour le deuxième (il aura 5 jours d’ITT) avec l’un des attaquants hurlant « mets le feu ! Mets le feu ! »
Les incendiaires auront néanmoins eu le temps de jeter un cocktail Molotov dans la voiture d’Alexandra qui commence à prendre feu, vite éteint par les zadistes. Quelques secondes plus tard les nervis sont de retour, enflamment les bidons d’essence et les chiffons laissés devant le portail.
Les zadistes réussissent à éteindre le début d’incendie avec des draps mouillés avant l’arrivée des pompiers. Deux gendarmes arrivent, ramassent tout ce que les incendiaires ont laissés derrière eux (chiffons imbibés d’essence, bouteilles de liquide inflammable, cocktails Molotov jusque devant le garage…) Une des gendarmes fait le tour du terrain avec Alex et son compagnon : 5 cocktails Molotov supplémentaires trouvés.
C’est, enfin, le tour de la section de « recherches criminelles » de la gendarmerie de Balma d’arriver et de procéder aux constations. Alex, son compagnon et la 3e personne sont convoquées à la gendarmerie de Balma pour témoigner et porter plainte. Le jour s’est levé, la nuit mouvementée est enfin finie.
Quel bilan après cette nuit ? La ZAD de la Crem’Arbre n’existe plus, ni même ses arbres, la Cal’Arbre non plus, seuls les écureuil.les restent jusqu’au lundi 9 septembre au soir quand le dernier écureuil du dernier arbre encore debout, Julia, descend. Julia sera abattu dès le mardi matin. Quant au Verger, il est toujours occupé par les zadistes, Alex a accepté une offre de relogement d’Atosca dans un HLM à St-Lys, dans la banlieue toulousaine. Elle doit officiellement rendre les clefs le 16 septembre.
Les zadistes du Verger, légalement expulsables dès le 17 septembre, se demandent jusqu’à quand et comment ils pourront tenir face à l’État et Atosca dans l’attente des recours sur le fond contre l’A69.
S’informer avec des médias indépendants et libres est une garantie nécessaire à une société démocratique. Nous vous offrons au quotidien des articles en accès libre car nous estimons que l’information doit être gratuite à tou.te.s. La liberté de la presse s’amenuise de jour en jour et les algorithmes censurent les contenus jugés trop politiques. Pressions et menaces sont notre quotidien pour faire supprimer des articles qui dérangent… Si vous souhaitez nous soutenir, la vente de nos livres financent notre liberté.