Deux ans après le lancement d'un vaste programme d'aménagement dans le quartier du Petit Maroc, à Saint-Nazaire, la colère des habitants ne faiblit pas. Réunis au sein de l'association Les Amis du P'tit Maroc, ces derniers se battent contre des projets qu'ils jugent surdimensionnés.
À Saint-Nazaire, les projets urbains foisonnent. Alors que l’actuel site universitaire de Gavy va être transformé en un imposant complexe d’habitat et de loisirs, et que sur le site du Moulin du Pé se dessine un tout nouveau quartier, le Petit Maroc n’est pas en reste. Depuis 2021, ce quartier insulaire fait l’objet d’un vaste programme d’aménagement dont l’objectif, expliquait la Ville au lancement du projet, est de “repositionner le Petit Maroc au cœur du quartier portuaire pour en faire une pièce centrale, représentative de l’identité littorale et maritime de la ville”.
Un repositionnement qui devrait s’opérer grâce à la mise en oeuvre de plusieurs projets d’envergure, espèrent les commanditaires, parmi lesquels la création d’une résidence étudiante sur l’ancien site de l’hôtel du Pilotage. D’une hauteur de 12 étages, la tour, gérée par le bailleur social Silène, prévoit d’accueillir 70 étudiants de l’école des Beaux-Arts de Nantes Saint-Nazaire à l’horizon 2024.
Autre projet de taille, la création d’un îlot nautique, dont la livraison est, elle, prévue pour 2026. Axé autour du monde maritime, l’îlot doit notamment accueillir le premier bassin d’entraînement à la survie en mer de France, le pôle national de formation de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) et l’école de charpenterie marine Skol ar Mor.
Un manque de transparence critiqué par les riverains
Des projets qui, depuis leur lancement, suscitent d’importantes critiques de la part des habitants du quartier, à commencer par la façon dont ils leur ont été présentés.
“On a découvert complètement par hasard le projet de tour étudiante, entame Valérie Ragot, habitante du Petit Maroc. Il n’y a eu aucune consultation, comme si les projets avaient déjà été ficelés avant de les rendre publics.”
Des propos corroborés par les élus d’opposition du groupe Ensembles, solidaires et écologistes, dont fait partie Gwenolé Péronno.
“Quand on a abordé la question du Petit Maroc en conseil municipal, on nous a répondu qu’il n’y avait aucun projet, explique l’élu, alors que quelques jours après, on a appris par la presse que la municipalité avait un projet de tour étudiante. C’était une surprise complète.”
Des projets “surdimensionnés”
Rapidement, habitants du Petit Maroc et amoureux du quartier se réunissent au sein de l’association Les Amis du P’tit Maroc pour manifester leur mécontentement. Aujourd’hui composée d’environ 80 adhérents, cette dernière se bat depuis près de deux ans contre la réalisation de projets qu’elle estime “incompatibles avec ce qu’on expérimente tous les jours en tant qu’habitants du quartier”.
Du haut de ses 12 étages, la résidence étudiante, d’abord, leur paraît “surdimensionnée”. “Une tour de 40 mètres, c’est invraisemblable, fustige Valérie Ragot. En plus, elle cacherait les fresques qui ont été réalisées par des artistes chiliens dans le cadre du festival des Escales. Cacher des oeuvres artistiques pour loger des étudiants des Beaux-Arts, c’est quand même un comble !”
Et de renchérir :
“Et puis il y a une question importante qu’il faut se poser. Au vu des difficultés qu’ont les étudiants à se loger à Saint-Nazaire, pourquoi privilégier ceux des Beaux-Arts ? On ne dit pas qu’il ne faut pas les loger, bien sûr, mais une réflexion plus large doit être menée sur le logement étudiant, ce que la Ville ne semble pas prête à faire pour le moment.”
Des contraintes fortes liées à l’insularité du quartier
Sans compter que, pour l’association, les projets d’aménagement du Petit Maroc ne prennent pas suffisamment en compte la spécificité du quartier :
“Quand les écluses sont ouvertes, le Petit Maroc est coupé du reste du monde, on devient une petite île. Pour le moment, nous ne sommes pas concernés par la montée des eaux, mais cette configuration particulière doit néanmoins être prise en compte dans les projets d’aménagement”, alerte Valérie Ragot.
Habitante du Petit Maroc depuis une dizaine d’années, cette dernière fait notamment référence aux difficultés de circulation et de stationnement inhérentes à la vie du quartier et qui seraient, selon elle, accentuées si certains projets urbains venaient à voir le jour. Annoncé il y a plus de quatre ans aux habitants, avant même le lancement du programme d’aménagement du Petit Maroc, le projet de réhabilitation de l’ancienne usine élévatoire “fait typiquement partie des projets pour lesquels il n’y a eu aucune réflexion réelle sur les possibilités de stationnement”, regrette-t-elle.
Une bataille juridique engagée
Insatisfaits des actions mises en oeuvre par la Ville pour favoriser le dialogue et l’échange, comme l’organisation par la municipalité d’un forum et la mise en place d’une commission extra-municipale, un premier recours a été déposé devant le tribunal administratif de Nantes contre le projet de réhabilitation de l’usine élévatoire. Ses capacités d’accueil, estimées à 600 personnes, sont “surdimensionnées par rapport aux capacités de stationnement”, argumente notamment l’avocat en charge du dossier, Thomas Dubreuil.
Trois recours ont également été déposés contre le projet de tour étudiante afin de contester le déclassement du terrain, le permis d’aménager et le permis de construire. “Visuellement, le projet n’est pas du tout adapté aux dimensions du quartier”, poursuit Thomas Dubreuil, avant de renchérir :
“De façon générale, on a l’impression qu’ils veulent faire du Petit Maroc le symbole d’un développement urbain audacieux. Ce n’est pas forcément gênant, mais il faut que ce soit adapté, tant vis-à-vis des bâtiments déjà présents que du caractère quasi insulaire du quartier”.
Pour l’heure, Les Amis du P’tit Maroc attendent que le tribunal administratif se prononce, soutenus par le groupe Ensembles, solidaires et écologistes. “On continuera à se battre, lâche Valérie Ragot. Il y a beaucoup de projets qui posent questions à Saint-Nazaire. Au fur et à mesure, on commence à se regrouper entre collectifs, à essayer d’unir nos forces”.
Sollicitée, la Ville de Saint-Nazaire n’a pas souhaité faire suite à notre demande d’interview.