Le gouvernement fait un nouveau pied de nez aux défenseurs des forêts. Alors que syndicats et associations étaient mobilisés depuis trois jours aux Invalides, et qu’un débat sur l’avenir de l’Office national des forêts devait avoir lieu à l’Assemblée, la Première ministre, Élisabeth Borne a coupé court aux discussions en déclenchant l’article 49.3 de la constitution.
Les députés examinaient, cette semaine, le projet de loi de finances (PLF) pour 2023, le texte annuel calibrant le budget de l’État pour l’exercice à venir. Au sein de ces kilomètres de tableaux prévoyant les recettes et les dépenses des administrations, l’Office national des forêts (ONF) n’occupe guère qu’une ligne ; de cette ligne dépend pourtant la bonne gestion de 4,3 millions d’hectares de territoire : les forêts publiques, menacées par le productivisme et la privatisation.
Victime des politiques ultralibérales, l’ONF a perdu 38 % de ses effectifs au cours des vingt dernières années. En 2000, l’Office comptait 12 800 agents ; ils ne sont plus que 8 000 en 2022. Tous ne sont pas titulaires : à l’ONF, 3 000 contractuels côtoient 5 000 fonctionnaires, une part qui pourrait augmenter grâce à la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), adoptée en 2020.
Les effectifs baissent et, dans le même temps, la part du couvert forestier public tend à augmenter, tout comme la variété et la complexité des missions que l’on confie aux agents, confrontés à la sécheresse, aux feux de forêt, et à des ravageurs comme les scolytes et les chenilles processionnaires, qui déciment des domaines entiers de l’État, notamment dans le Grand-Est.
Une performance aux Invalides
Pour sauver ce qu’il reste de l’ONF et, qui sait ?, parvenir à le renforcer, la société civile s’est mobilisée. À l’instigation de l’association Canopée et du Snupfen, syndicat majoritaire à l’ONF, une action aux allures de performance a eu lieu entre le 31 octobre et le 3 novembre sur l’esplanade des Invalides, à deux pas de l’Assemblée nationale.
Afin d’interpeller les députés, des dizaines de personnes – forestiers, associatifs, personnalités – se sont relayées jour et nuit, sans interruption, pendant 82 heures pour énumérer les noms des quelque 180 000 signataires de la pétition « Non à la privatisation de l’ONF », créée par Canopée.
Des figures de l’écologie telles que le philosophe Baptiste Morizot, le photographe Yann Arthus-Bertrand ou Thomas Brail, fondateur du Groupe national de surveillance des arbres sont venues apporter leur soutien à cette action à laquelle ont également participé de nombreux élus de gauche.
231 millions de plus
En parallèle de leur action, l’association Canopée et le Snupfen avaient adressé au gouvernement et aux parlementaires un « Cahier de propositions d’amendements relatifs à l’ONF » qui demandait, en substance, d’augmenter le budget de l’Office de 231 millions d’euros en 2023, « pour rétablir les 4 000 postes supprimés depuis 1999 ».
Ce nouvel apport impliquait, cela va de soi, de revenir sur les 475 suppressions de postes supplémentaires prévues à l’ONF d’ici 2025, dont 95 l’année prochaine, une dynamique en totale contradiction, d’ailleurs, avec la promesse récente d’Emmanuel Macron de planter « un milliard d’arbres d’ici dix ans ».
Pour épauler leurs demandes, Canopée et le Snupfen pouvaient compter sur le soutien de députés de la France insoumise, des Verts, des Socialistes, des Républicains et même de Renaissance, dont les amendements, misant tous sur une hausse du budget et des effectifs de l’ONF, avaient fait leur chemin en commission et devaient être incessamment discutés à l’Assemblée.
Le 49.3 met fin aux débats
Mis dos au mur (en partie par sa propre coalition), le gouvernement a préféré déclencher, mercredi 2 novembre, l’article 49.3 de la constitution pour faire passer le PLF 2023 en première lecture, juste avant que le cas de l’ONF soit discuté.
Pour amortir ce camouflet cuisant et désamorcer la polémique, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a annoncé, le même jour, que « les réductions de postes » seraient suspendues l’année prochaine et « les moyens de l’ONF […] renforcés avec 10 millions d’euros supplémentaires », qui porteront son budget à 560 millions d’euros.
C’est donc une victoire en demi-teinte pour le Snupfen et Canopée : pour ne pas avoir à remettre en question les fondements de sa politique forestière – qui transforme de plus en plus les forestiers en « coupeurs de bois », dit Canopée –, le gouvernement gèle sa mesure la plus libérale et accorde un pécule aux travailleurs de l’ONF, dont la voix ne sera pas entendue, cette année, à l’Assemblée.
C’est la quatrième fois, en deux semaines, que la Première ministre emploie le 49.3.
Crédit photo couv : Jérémy Tacheau – Canopée