Alors que des décisions de justice ont interdit la pêche fluviale de cinq poissons migrateurs dans les Landes et les Pyrénées-Atlantiques, pour protéger leurs populations, les préfectures des deux départements refusent d’appliquer la loi, et les pêcheurs professionnels de cesser leurs activités.
L’affaire est « un cas d’école pour illustrer le non-sens écologique scandaleux largement répandu dans ce pays », selon les termes employés par l’organisation Sea Shepherd, qui veille à la protection des milieux aquatiques.
Le 22 avril dernier, le tribunal administratif de Pau, saisi en référé par une quinzaine d’associations, a choisi de suspendre deux arrêtés relatifs à la pêche dans l’Adour, un fleuve classé Natura 2000. Ce jugement confirmait ceux du tribunal de Bordeaux contre les « Plans de gestion des poissons migrateurs » de la région Nouvelle-Aquitaine, rendus quelques semaines plus tôt.
Émanant de la préfecture des Landes et de celle des Pyrénées-Atlantiques, les deux arrêtés attaqués autorisaient, dans l’Adour, la pêche « au filet dérivant » et « aux engins » de cinq espèces migratrices – lamproies marine et fluviatile (menacée d’extinction), grande alose (en danger critique d’extinction), alose feinte et saumon (classé comme « vulnérable ») –, et ce en pleine période de reproduction.
La situation n’avait rien d’exceptionnel : chaque année, les services déconcentrés de l’État tolèrent, voire encouragent le prélèvement amateur et professionnel de maintes espèces fragiles à un moment crucial de leur cycle de vie, celui où elles quittent les eaux salées de l’océan pour se reproduire, en eau douce, dans le creux des fleuves.
Les temps évoluant parfois plus vite que les mœurs, la justice s’est pourtant montrée sensible, cette fois-ci, aux arguments des défenseurs de l’environnement, et c’est ainsi que le tribunal administratif de Pau a suspendu la pêche des cinq espèces dans les Landes et de deux d’entre elles – grande alose et lamproie marine – dans les Pyrénées-Atlantiques, le temps d’examiner la légalité des deux arrêtés.
Une première « depuis des siècles »
Dans leur décision, les juges palois ont retenu « une violation du principe de précaution qui relève du bon sens et revêt une valeur constitutionnelle du fait de l’existence d’un risque de dommage grave et irréversible sur l’environnement », explique Sea Shepherd dans un communiqué, tout en rappelant que l’Adour est l’un des rares fleuves d’Europe à posséder encore des frayères à saumons.
Pour l’instant, les préfectures ne peuvent donc plus autoriser la pêche de ces espèces « en amont de l’Adour », c’est-à-dire à partir du pont d’Urt, qui marque la limite entre la zone maritime et la zone fluviale du cours d’eau.
« Les poissons qui auront la chance de passer sains et saufs à côté des filets des pêcheurs maritimes de l’estuaire pourront espérer frayer sans être inquiétés », s’est félicitée Défense des milieux aquatiques, l’une des seize associations requérantes, selon laquelle ce cas de figure ne s’est pas présenté « depuis des siècles ».
« Attitude voyou de l’État »
L’avancée toute théorique que représentait ce jugement n’a cependant pas été suivie d’effet : depuis le 22 avril, saumons, lamproies et aloses continuent d’être pêchés en amont de l’Adour, avec la bénédiction des préfets qui – sans aller jusqu’à appeler les pêcheurs à désobéir – ont bien fait comprendre qu’ils refusaient le caractère immédiatement exécutoire de la décision du tribunal.
Dans une lettre du 16 mai adressée à l’Association des pêcheurs professionnels et à la Fédération de pêche du département, la préfète des Landes, Françoise Tahéri a invoqué l’article R436-37 du Code de l’environnement pour justifier la poursuite des captures.
« Quand un cours d’eau ou un plan d’eau est mitoyen entre plusieurs départements, indique le texte de loi, il est fait application, à défaut d’accord entre les préfets, des dispositions les moins restrictives dans les départements concernés. »
Le jugement le moins restrictif viendrait dès lors s’appliquer aux Landes, où l’alose feinte, le saumon et la lamproie fluviatile pourraient encore être l’objet d’une pêche on ne peut plus légale, du moins dans les zones de l’Adour mitoyennes avec les Pyrénées-Atlantiques…
Ce tour de passe-passe juridique confondant « accord entre les préfets » et « différence entre deux jugements » a fait bondir les associations, dont l’action (tout comme la loi, en l’occurrence) est ouvertement piétinée.
« Ce refus constitue une véritable négation de la protection des espèces, des écosystèmes et une violation des droits à un recours effectif garantis par la Constitution et la Cour européenne des droits de l’homme, a ainsi dénoncé Sea Shepherd le 18 mai. Cette attitude “voyou” de l’État […] entretient un sentiment d’impunité totale et décomplexée chez tous ceux qui portent illégalement atteinte à la biodiversité. »
Crédit photo couv : Défense des Milieux Aquatiques