Il semblait condamné à disparaître. L’urgence écologique l’a fait renaître de ses cendres. Après des décennies de recul, le train de nuit connaît un nouvel engouement en France : dimanche 12 décembre, le ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, a annoncé qu’une dizaine de lignes nocturnes seraient relancées « à l’horizon 2030 ».
Cette annonce a été faite à Paris, depuis la gare d’Austerlitz, à l’occasion d’une cérémonie célébrant le redémarrage de la liaison Paris – Briançon (Hautes-Alpes) après travaux et le rétablissement de la ligne Paris – Tarbes – Lourdes (Hautes-Pyrénées), supprimée en 2017.
Dès 2022, voyageurs et voyageuses noctambules pourront ainsi embarquer, tous les jours de la semaine, à bord de l’une des célèbres voitures-couchettes de type « Corail » que l’on croyait définitivement supplantées par le TGV et l’avion.
Parmi les « nouvelles » lignes annoncées par le ministre délégué aux Transports figurent sans surprise des trains qui circuleront de la capitale vers le sud de la France, comme Paris – Bayonne, Paris – Perpignan ou Paris – Marseille, mais aussi des liaisons transversales telles que Bordeaux – Metz, Bordeaux – Nice et Metz – Genève.
La carte présentée dimanche, lors de la cérémonie, ne comporte pour l’instant aucun parcours en direction de la Bretagne et du nord de la France, mais « les choses peuvent tout à fait évoluer en ce sens », a indiqué Jean-Baptiste Djebbari, qui n’a pas encore précisé les choix d’exploitation.
Un réseau réduit à peau de chagrin
En 1981, 550 villes françaises étaient desservies par au moins un train de nuit. Mais l’émergence du TGV et la concurrence de l’avion, notamment des vols à bas prix, ont peu à peu poussé l’État à se désengager de ce moyen de transport nocturne, jugé trop coûteux, jusqu’à ce que le gouvernement de François Hollande annonce, en 2016, sa quasi-suppression.
Depuis lors, il ne restait plus que deux liaisons nocturnes intérieures exploitées par la SNCF : Paris – Toulouse, Rodez ou Latour-de-Carol et Paris – Briançon, via Crest, Die et Gap.
À ces deux lignes s’ajoutaient cependant un parcours Paris – Venise proposé par la compagnie ferroviaire Thello, ainsi que deux liaisons avec la Russie, Paris – Moscou (le Moscou Express) et Nice – Moscou (le Riviera Express), exploitées par les Chemins de fer russes et la SNCF.
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En mai dernier, le Premier ministre Jean Castex avait déjà inauguré en grande pompe la reprise de la ligne Paris – Nice, fermée depuis plus de trois ans. Ce rétablissement du descendant du mythique Train Bleu avait été décidé dans le cadre du plan de relance, dont 100 millions d’euros avaient été affectés aux trains de nuit.
Le 12 décembre, Jean Castex a également promis qu’un Paris – Aurillac (re)verrait bientôt le jour, de quoi satisfaire les Cantaliens et les Cantaliennes, et plus généralement les Auvergnats, qui ne disposent pas de couverture ferroviaire de grande vitesse comme d’autres départements.
Vers un maillage des capitales européennes
Outre les lignes intérieures, le gouvernement entend engager le retour des trajets nocturnes internationaux.
« Mon ambition, c’est que des trains de nuit relient Paris aux capitales européennes », a en effet déclaré Jean-Baptiste Djebbari, qui a publié dimanche une seconde carte montrant que de possibles liaisons en direction de Madrid, Rome, Copenhague, Luxembourg, Zurich ou encore Prague étaient étudiées par son ministère.
Ce mardi 14 décembre, la ligne Paris – Vienne a d’ailleurs été remise en service, grâce au succès que rencontre actuellement la branche commerciale Nightjet des Chemins de fer fédéraux autrichiens (ÖBB), opérant dans plusieurs pays.
D’ici 2023, un parcours Paris – Berlin devrait être ouvert par la même compagnie, qui espère également mettre en place, l’année suivante, un Zurich – Barcelone via Genève, Lyon et Avignon.
D’autres pays d’Europe adoptent le train de nuit. C’est le cas du Royaume-Uni, où la coopérative ferroviaire European Sleeper a récemment manifesté sa volonté de remettre en place un service nocturne reliant Londres à d’autres grandes villes britanniques et européennes.
De la carlingue aux couchettes
Ce retour en grâce du train de nuit s’explique en partie par ce que certains nomment « l’effet Greta Thunberg » ou le « flygskam », soit la « honte de prendre l’avion », en suédois : à mesure que l’urgence climatique s’impose dans le débat public, de plus en plus de voyageurs renoncent aux moyens de transport aériens, que l’on sait 15 à 45 fois plus polluants que le train.
Mais ce bilan carbone exemplaire n’est pas le seul argument en faveur des liaisons ferroviaires nocturnes. Comme l’expliquent certains observateurs, le train de nuit permet « de voyager dans un temps considéré comme socialement inutile » et de réaliser des « économies non négligeables […] sur la nuit d’hôtel grâce à une arrivée à destination au petit matin ».
Enfin, le voyage de nuit répond au besoin croissant de mobilités douces par lesquelles il est possible, à une échelle plus humaine, de faire des rencontres, de s’acclimater à la traversée d’un territoire et de profiter du temps que dure le trajet.
Oui au train de nuit
Mais pour que les liaisons nocturnes puissent se réinstaller durablement dans les habitudes françaises, de lourds investissements sont encore nécessaires.
Selon un rapport de l’État remis en mai dernier au Parlement, la création d’un réseau structuré de lignes nocturnes, similaire à celui qui existait dans les années 1970-1980, exigerait de financer la fabrication d’un parc de 600 voitures neuves, mises aux normes du confort actuel.
Ce renouvellement complet du matériel coûterait 1,5 milliard d’euros et impliquerait de réhabiliter une bonne partie du réseau ferré, dont les travaux ne pourraient être réalisés que la nuit…
De telles propositions sont défendues depuis des années par le collectif Oui au train de nuit, à l’origine d’une pétition signée par plus de 200 000 personnes. Celle-ci réclame en somme d’ouvrir, d’ici dix ans, 15 lignes nationales et 15 lignes intra-européennes, qui quadrilleraient la majorité du territoire métropolitain et les axes les plus importants du Vieux Continent.
Petit pas par petit pas, mais d’une manière inéluctable, le train de nuit se réimpose comme un mode de transport d’avenir. Mais ce réseau renaissant devra bénéficier d’une forte ambition politique, sans laquelle les enjeux de rénovation, colossaux, ne sauront être remplis.
Crédit photo couv : Intercités de Nuit en Porta – Aleix Cortés