Face à un système qui nous mène droit vers le crash, ils et elles ont décidé de prendre leur destin en main et de se battre pour le Vivant. Leurs histoires et leurs combats, nous les suivons chaque semaine dans les colonnes de La Relève et La Peste. Alors dans un monde en crise, nous avons voulu leur donner la parole pour savoir comment ils donnent du sens au présent. Ces 11 jeunes engagés ont pris la plume dans notre dernier livre-journal pour nous expliquer leurs luttes, et comment ils gardent leur fougue dans ce marasme ambiant, et ça fait du bien !
Des militants écologistes, un black block, deux paysans – père et fils – , un reporter indépendant sur les luttes sociales, une néoféministe 2.0, un « jeune de banlieue », une journaliste, un futur politicien, un naturaliste en devenir et un marin dépollueur sont les profils variés qui composent la mosaïque d’auteur.es de notre livre-journal Générations.
Ils et elles viennent d’univers, et même de continents différents, mais tous et toutes ont un immense point commun : « un engagement coriace » pour protéger le Vivant et une volonté de fer pour prendre leur destin en main.
Kevin Ossah est un jeune togolais de seulement 23 ans, pourtant cela fait déjà sept ans qu’il s’investit sans relâche pour sensibiliser et aider les populations locales à s’adapter au changement climatique. Pour cause, les pays d’Afrique de l’Ouest sont les premiers touchés par la crise climatique et le Togo n’y fait pas exception.
L’urgence, Kevin Ossah la constate un peu plus chaque jour : le niveau de la mer augmente de 5 à 10 mètres tous les ans et les activités agricoles sont rudement malmenées par la crise climatique, mettant les populations locales en péril. Pourtant, ce n’est pas la peur qui motive Kevin mais l’amour.
« Pour moi, la forêt, la mangrove et les Océans représentent la Vie. Je ne peux pas tout expliquer mais ce que je sais c’est que mon amour pour la Nature est indescriptible. » nous a-t-il confié
Un amour proclamé aux arbres par les photographies sublimes de Max Gonzales qui nous rappelle qu’humus, le mot désignant le sol des forêts, est aussi le terme latin pour Terre et la racine des mots pour humain et humilité. Nous sommes interdépendants avec notre environnement et les Anciens l’avaient bien compris.
Cet amour du Vivant, ils sont nombreux à la ressentir, parfois confusément, souvent intensément, et à le transformer en puissance motrice pour vaincre les projets destructeurs et se rebeller contre des décisions politiques hors-sol et inégalitaires.
Etudiant en informatique, Mathieu est aussi un anarchiste black block. Le photographe Maxime Reynié l’a suivi pour montrer l’envers du décor et casser les clichés qui entourent son action.
Pour lui, les black blocks ne sont pas des « casseurs » attirés par la violence, mais des rêveurs convaincus par la philosophie de Bakounine pour qui « la violence n’est pas le fondement d’un processus révolutionnaire et n’est pas souhaitable en elle-même ; mais reste cependant inévitable dans un premier temps, comme l’a toujours montré l’histoire ».
« Au sein des blacks blocks, on est très différents dans les utopies qu’on défend mais on est côte à côte. » explique Mathieu, également militant antispéciste
Avec un ennemi commun : l’Etat et son système capitaliste dont la police est devenue le chien de garde du système, créée sous Vichy en 1941 et dont l’origine noire fait écho aux relents racistes en France, « causés par la colonisation et le passé impérialiste de notre pays ». Si cette vision peut sembler manichéenne, elle est malheureusement le résultat d’expériences de terrain douloureuses, ainsi que le subit régulièrement Cemil Sanli.
En tant que franco-turc et reporter indépendant, Cemil a souvent affaire aux violences policières et a vécu trois agressions sur le terrain en deux ans. Dans un article factuel, il détaille comment les gardiens de la paix sont devenues les forces de l’ordre, plongeant le pays dans la terreur pour mieux tuer dans l’œuf les velléités de manifestations et mouvements sociaux.
« Peu formés, excédés, apeurés, armés et impunis, les policiers sont logiquement devenus violents. Après les banlieues, c’est le mouvement des Gilets Jaunes qui en a fait les frais : ces centaines de milliers de manifestants qui réclamaient de la justice sociale et fiscale, plus de démocratie et une vie meilleure en exprimant leur colère légitime ont été écrasés à la fois par le mépris de la caste bourgeoise incarnée à ce moment-là par Emmanuel Macron et par la violence physique de sa milice armée que sont les forces de l’ordre » dénonce-t-il
Une analyse concrète qui se traduit en chiffres : la police française est l’une des plus armées d’Europe, et la tendance va s’accentuer.
Sous le quinquennat Macron, le ministère de l’intérieur a vu son budget s’envoler de +2,5 milliards d’euros de 2017 à 2021 auxquels viendront s’ajouter 900 millions d’euros en 2022. Dans le même temps était voté une baisse de 800 millions d’euros dans le budget de l’hôpital public, en pleine pandémie.
Cette violence exercée par un monde qui se meurt, suffoque et ne veut pas lâcher ses privilèges a été ressenti dans leur chair par Yohann et son père Hubert qui nous racontent la répression policière et judiciaire hors-norme à laquelle ils font face en Loire-Atlantique. Malgré tout, ces deux paysans gardent les mains dans la terre, la tête dans la lutte et le cœur vibrant au son du vivant.
Quand il n’y a aucune aide de l’Etat, et qu’il devient hostile à l’intérêt général pour maintenir les privilèges de l’oligarchie, ces jeunes se retroussent les manches, quitte à le rappeler à ses devoirs ou s’engager pour changer la politique : un enjeu crucial en France la veille des élections présidentielles de 2022.
Malgré une mobilisation de deux ans pour faire bouger les choses, la Convention Citoyenne pour le Climat s’est traduite par une trahison politique et un échec : elle n’atteint même pas 10% de ce qu’il faudrait faire.
C’est ce qui a décidé Hugo Viel de quitter sa casquette de bénévole dans l’association Climates pour reprendre le pouvoir politique et participer à la construction d’un mouvement uni, écologique et social à travers la Primaire Populaire.
« Alors que nous sommes dans une décennie critique, cette irresponsabilité politique me met en colère. A mesure que les tonnes de CO2 s’envolent dans l’atmosphère et que les températures de la planète augmentent, l’urgence d’agir se meut en rage de vivre. » explique-t-il
En France, huit millions de personnes ont entre 15 et 24 ans. Hugo en est convaincu : ensemble, ils peuvent changer la donne.
A l’image de l’Arbre qui est rarement seul et « prend toute son ampleur quand il devient forêt », cet appel au collectif est partagé par tous les auteurs du livre-journal. Les formes de discrimination sont peut-être différentes, mais la violence et la domination sont bel et bien systémiques.
La féministe Marie Bongars écrit ainsi : « Je crois qu’il est possible de se réunir pour atteindre un but commun. Considérer la diversité – et l’accumulation – des oppressions nous permet de rester lucides, de réfléchir à nos propres privilèges et de donner un impact positif, un élan, une cohérence à nos luttes, de porter notre parole plus loin et plus fort. »
Ces jeunes sont à la fois vigies et soldats : ils s’informent, relaient, alertent sans relâche sur la destruction du vivant et le prix que nous en aurons à payer, et luttent pour obtenir justice et équité. A l’image de Camille Etienne qui alerte et interpelle les politiques sans relâche, jusqu’à oser brandir la notion de décroissance face aux entrepreneurs libéraux du Medef.
« Bourdieu le disait avant moi : le savoir c’est le pouvoir. Nous sommes en train de créer les conditions de notre propre extinction. C’est triste d’être vivant dans un monde qui se meurt. Ça doit être ça le sens de notre génération : participer modestement à bousculer ce paradigme qui n’est pas soutenable. »
Les auteurs du libre-journal Générations croient en leurs utopies, envers et contre tous, quitte à être traités de naïfs. Même si le chemin est long et difficile pour celles et ceux qui veulent incarner leurs idéaux, comme nous le montre l’histoire incroyable de Julien Wosnitza pour protéger l’Océan.
Sans sponsor, il s’est accroché à son rêve contre vents et marées, y a mis tout son cœur et embarqué sa famille avec toutes les économies familiales dans un projet dingue : dépolluer les océans avec un voilier. De pannes sèches en escroqueries, le périple n’a pas été de tout repos. Julien a vécu le pire et le meilleur de l’humanité.
Au final, c’est faire société ensemble, mais autrement, que propose cette jeunesse avant-gardiste, car « bousculer nos manières d’être vivants, c’est aussi prendre conscience que nous ne sommes pas seuls à l’être ». Un retour aux choses simples prôné par le photographe Marvin Bonheur, un jeune de banlieue qui rappelle qu’ils sont comme tout le monde.
« Ici en vrai on est comme vous, on veut réussir nos vies, tomber amoureux, avoir une belle maison, des potes sur qui compter, être heureux et en bonne santé »
Les chiffres sont glaçants, le constat implacable, mais l’énergie et la flamme de la jeunesse ne se laisseront pas éteindre par le cynisme des puissants. Pour cette fin d’année, nous avons voulu vous transmettre l’espoir et la flamme que ces profils variés nous inspirent au quotidien. Vous retrouverez leurs histoires, leurs découvertes, leurs peurs mais surtout leur courage et au fur et à mesure des pages du livre-journal Générations.
Crédit photo couv : Frédéric Scheiber / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP