Huit ans après l’entrée en vigueur de réglementations fortes sur l’éclairage nocturne, de nombreux commerçants et promoteurs immobiliers rechignent toujours à éteindre les lumières. France Nature Environnement a mené l’enquête et lance l’alerte sur la présence de 1592 « éclairages illégaux » relevés dans 122 villes et villages de France. Or, cette pollution lumineuse entraine un gaspillage énergétique important et a un impact mortel sur la biodiversité.
A la poursuite des éclairages illégaux
Tous les automnes depuis 2009 a lieu en France l’évènement national « Le Jour de la Nuit ». Il a pour but d’attirer l’attention du grand public sur les conséquences de la pollution lumineuse. C’est à cette occasion que FNE a mené l’enquête sur les éclairages illégaux ne respectant pas la règlementation.
« Un éclairage illégal, c’est un éclairage inutile : allumé toute la nuit, souvent orienté directement vers le ciel, il ne répond à aucun besoin. En revanche, il a des impacts importants. Énergétiques bien sûr, mais aussi de santé publique. » explique l’association dans un communiqué
Dès le 1er juillet 2021, les bénévoles de la fédération se sont rendus dans les rues pour observer, trouver ces points et sensibiliser les habitants. Le résultat est accablant : 1592 faisceaux lumineux illégaux ont été relevés dans 122 villes et villages.
Les mairies sont les premières concernées et sont à l’origine de 40 lumières illégales. Carrefour, le Crédit Agricole et Orpi sont responsables de 13 lumières illégales chacun.
Vincent, bénévole et recenseur en Loire-Atlantique, témoigne : « Environ 20 % des communes visitées disposent d’un ou deux panneaux d’information communale numérique, et la quasi-totalité des communes le laisse allumé. Nous sommes collectivement responsables de l’empreinte carbone et de l’usage des ressources limitées sur Terre. Je suis consterné par le laisser-aller des élus des collectivités ou de la préfecture, selon la compétence de police concernée. »
Les bénévoles du mouvement ont également rendu visite à des centaines de commerces et entreprises en France pour questionner et informer. De vrais résultats ont suivi : un tiers des structures ont modifié leurs pratiques deux mois après leurs passages. Mais la majorité a décidé de rester en infraction.
Pourtant, les collectivités gagneraient au change économiquement en coupant le courant. En effet, la lumière artificielle nocturne représente un immense gaspillage économique et énergétique. L’éclairage public mondial représente aujourd’hui 6 % des émissions de gaz à effet de serre.
L’International Dark-sky Association estime qu’aux Etats-Unis, au moins 30 % de la totalité de l’éclairage extérieur est dépensé inutilement, en parallèle avec un coût de 3,3 milliards de dollars et 21 millions de tonnes de dioxyde de carbone éparpillées dans l’atmosphère par an.
Un impact mortel pour la biodiversité
La lumière artificielle a également un impact néfaste sur la santé de la biodiversité. La lumière bleue affecte directement les être humains, dégrade notre vision et dérègle notre horloge biologique. La faune et la flore sont quant à eux les plus impactés par le problème, car les halos lumineux perturbent la biodiversité sur des dizaines de kilomètres.
Selon Christopher Kyba, chercheur sur les impacts de la lumière artificielle sur la biodiversité : « L’introduction de la lumière artificielle représente probablement le changement le plus radical que les êtres humains ont fait à leur environnement »
La quasi-totalité des animaux ont une biologie rythmée par le photopériodisme (le rapport entre le jour et la nuit). Les variations annuelles saisonnières ont une importance capitale dans les changements biologiques et comportementaux de nombreuses espèces.
Avec l’avènement de la lumière artificielle de nuit, leur sommeil se trouve perturbé, et certains animaux nocturnes disparaissent totalement de leur habitat lorsqu’il est éclairé. Un grand nombre d’entre eux réalisent leurs besoins essentiels de nuit.
Des oiseaux migrateurs et certains mammifères comme le sanglier attendent la fin du jour pour circuler et sont dépendants de la variation entre le jour et la nuit, d’autres s’alimentent essentiellement la nuit, comme les oiseaux d’eau littoraux.
La plupart des invertébrés fuient la lumière, les espèces qui y sont sensibles voient leur environnement fragmenté et s’y perdent. Le système proie-prédateur en est ainsi profondément affecté. Certaines espèces dont une grande quantité de végétaux voient également leurs capacités de croissance et de reproduction bouleversées.
Stephen Kerckhove, directeur de l’association Agir pour l’environnement (APE) estime que l’éclairage nocturne est un insecticide invisible : « Une étude a montré que les prairies soumises à la pollution lumineuse enregistrent une baisse de 62 % des visites des pollinisateurs. »
En 2013, un premier arrêté ministériel règlementait les éclairages inutiles des bâtiments non résidentiels, à grande majorité les commerces et les bureaux. Si ce dernier était respecté, l’émission de 250 000 tonnes de CO2 serait évitée chaque année. Fin 2018, les nouvelles réglementations ciblent d’autres structures telles que les parkings, parcs, monuments et chantiers.
Pour cette 13ème édition du Jour de la Nuit, APE demande une plus grande ampleur de dispositifs et réclame la fin des panneaux publicitaires de nuit, qui fonctionnent bien souvent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et sont inutiles.
L’économie que présente l’arrêt des éclairages non-essentiels a déjà fait ses preuves. Depuis septembre 2017, à Mérignac (Gironde), une ville de 66 000 habitants, 170 000 euros sont économisés tous les ans grâce à l’extinction de l’éclairage public toutes les nuits, entre 1h30 et 5h du matin.
En France, l’éclairage artificiel représente 11 millions de points lumineux pour l’éclairage public et 3,5 millions d’enseignes publicitaires. Et ce n’est pas près de s’arrêter, la pollution lumineuse augmente de 6 % par an en France. Notre pays possède pourtant l’une des meilleures règlementations de l’Union sur le sujet.
Il est donc du devoir des maires de faire respecter ces mises en vigueur non seulement dans leurs locaux mais également sur leurs territoires : en informant et en discutant avec les habitants, en les sensibilisant et finalement en sanctionnant les acteurs refusant de faire respecter la loi.
En attendant, l’application Sentinelle de la Nature de FNE permet à tout habitant de signaler les éclairages illégaux.
Crédit photo couv : Artur Aldyrkhanov