Agriculture biologique (AB), Label Rouge, Haute Valeur environnementale (HVE), Demeter, Bleu Blanc Cœur, Appellation d’origine protégée (AOP)… Ces dernières années, certifications privées et labels publics ont littéralement envahi les commerces, du fromager aux grandes surfaces. Des analyses de Greenpeace France, le WWF France, BASIC et l’UFC-Que Choisir révèlent de grands écarts entre les promesses et la réalité. Parmi les labels particulièrement problématiques : le Label Rouge et ceux de certification environnementale, comme la HVE, qui servent de greenwashing à des pratiques douteuses.
Une prolifération de labels
Ces labels sont censés garantir aux consommateurs que les denrées qu’ils achètent présentent une qualité supérieure, ne nuisent pas à l’environnement, assurent de bonnes conditions de travail à leurs producteurs ou respectent le savoir-faire d’un terroir. Bien souvent, elles constituent les seuls repères venant guider l’achat.
Mais sont-elles vraiment exemplaires ? Toutes se valent-elles ? Peut-on leur faire confiance ? Pour répondre à ces doutes légitimes, Greenpeace, le World Wide Fund (WWF) et l’UFC-Que choisir ont mené deux études conjointes « sur la fiabilité et les impacts » respectifs d’une vingtaine de démarches alimentaires « responsables ».
Publiés ce 28 septembre, leurs résultats sont formels : dans de trop nombreux cas, de grands écarts existent entre les « promesses » des labels et la « réalité » des produits, si bien que leurs principaux bénéficiaires, les consommateurs, peuvent parfois être induits en erreur.
Produite par Greenpeace, le WWF et le bureau Basic, la première analyse a évalué la « durabilité » de onze labels alimentaires différents. Elle se fonde sur l’examen de leurs cahiers des charges, sur une revue de la littérature qui leur est associée (articles scientifiques, études d’impact, etc.) et sur des entretiens réalisés avec leurs promoteurs.
« Notre étude a regroupé ces onze labels en trois catégories, explique Arnaud Gauffier, directeur des programmes de WWF France : ceux qui partagent le socle européen de l’agriculture biologique, comme Démeter, Nature & Progrès et AB ; ceux qui proposent une certification environnementale (HVE, Zéro résidu de pesticides, Agri Confiance) ; enfin les démarches définies par les filières elles-mêmes, telles que Label Rouge, AOP, Bleu Blanc Cœur, etc. »
La « durabilité » de chaque label a ensuite été mesurée à l’aide d’une grille d’analyse systémique comprenant sept indices environnementaux (climat, biodiversité, ressource en eau, qualité des sols, gaspillage, etc.) et sept indices socio-économiques (équité, santé humaine, bien-être animal, conditions de travail…).
Chaque indice comprenant lui-même plusieurs critères d’évaluation, les auteurs de l’étude ont pu attribuer, in fine, une double note de 0 à 5 aux labels, la première environnementale (couleur verte), la seconde socio-économique (couleur bleue).
Aucune certification environnementale sérieuse
Sans surprise, les labels ayant comme socle l’agriculture biologique ont obtenu les meilleurs scores, toutes catégories confondues. Le signe AB reçoit une note verte de 4/5 et une note bleue de 3/5. La certification Bio Équitable en France, quant à elle, récolte le maximum de points, soit une double note de 5/5.
« La démarche Bio Équitable en France s’en sort le mieux, commente Arnaud Gauffier, car elle intègre des aspects environnementaux et des aspects sociaux. » Ce résultat confirme selon lui le grand intérêt des labels aux exigences « systémiques ».
Pour les démarches de certification environnementale (HEV, Agri Confiance et Zéro résidu de pesticides), c’est une tout autre histoire : il n’y a que des 1/5. Ni plus ni moins.
« C’est dans cette catégorie qu’on trouve les effets positifs les plus faibles et les moins avérés, continue le responsable du WWF. Cela s’explique par un seuil d’entrée très bas et un nombre trop réduit d’interdictions. »
La certification HVE est de loin la plus polémique. Créée en 2012, elle doit en théorie assurer les consommateurs que les produits estampillés sont issus d’exploitations durables, ayant récolté suffisamment de points dans quatre grandes thématiques : biodiversité, stratégie phytosanitaire, fertilisation, gestion de l’eau.
Mais en pratique, elle n’interdit ni l’usage de produits chimiques ni l’élevage industriel, et reste très facile à décrocher. Dans une note confidentielle, l’Office français de la biodiversité confiait même au ministère de l’Agriculture, fin 2020, que la certification ne présente aucun bénéfice environnemental dans la plupart des cas.
Lire aussi : « Une lanceuse d’alerte condamnée à 125 000 € d’amende pour avoir révélé des pesticides dans des vins certifiés HVE »
Or, dans le cadre de la nouvelle Politique agricole commune (PAC), promise « plus verte » et « plus équitable » par l’Union européenne, le label HVE devrait bénéficier, à partir de 2023, d’un soutien financier égal à celui réservé au label AB, bien plus strict et vertueux.
Pour Joseph D’halluin, chargé de campagne Agriculture à Greenpeace, cette orientation de la nouvelle PAC est « assez scandaleuse », dans la mesure où l’agriculture biologique « a fait la preuve de son impact », là où le label HVE en reste encore aux « intentions ».
Un manque de rigueur au sein des labels
Enfin, les démarches proposées par les filières elles-mêmes (AOP, Label Rouge, etc.) comportent de grandes disparités.
« Dans cette catégorie, analyse Arnaud Gauffier, on compte plusieurs centaines de démarches différentes et à l’intérieur d’un même label il peut y avoir un écart immense, qui devient incompréhensible. »
L’AOP Cantal reçoit par exemple une double note de 1/5, alors l’AOP Comté obtient le meilleur score au sein des deux indices. Même chose pour Label Rouge : la filière Volaille s’en sort avec des résultats moyens, la filière Porc écope des notes les plus basses. Ici, les labels sont donc en échec : impossible, pour le consommateur, de faire un choix raisonné.
La seconde étude, produite cette fois-ci par l’UFC-Que choisir en collaboration avec un expert de l’Institut national de la recherche agronomique (IRAE), a examiné les cahiers des charges de huit AOP fromagères et de quatre filières viandes Label Rouge.« La promesse de l’AOP, c’est la reconnaissance d’un savoir-faire dans une zone géographique donnée, le lien avec un terroir, indique Alain Bazot, président de l’UFC-Que choisir. Pour Label Rouge, c’est celle d’une qualité supérieure par rapport à des produits équivalents. »
Les fromages AOP sont soumis à une multitude de critères, dont trois ont semblé « déterminants » à l’association : la fabrication avec du lait cru, non pasteurisé, non thermisé ; l’interdiction de nourrir les bêtes avec du fourrage fermenté issu de l’agriculture intensive (ensilage) ; la race des vaches, qu’on exige « locale et rustique ».
Pour trois des huit AOP – Saint-Nectaire, Cantal et Munster –, « les productions d’entrée de gamme se révèlent très peu différentes des productions industrielles sans AOP », souligne l’UFC-Que choisir dans un communiqué. Au vu de leur cahier des charges, les trois AOP « ne devraient pas pouvoir bénéficier de l’appellation ».
Lire aussi : « One Voice révèle des images choquantes d’un élevage de chiens destinés à des tests en laboratoire »
En ce qui concerne Label Rouge, quatre critères permettent d’attribuer une « qualité supérieure » à la viande : une race spécifique, une alimentation de bonne qualité nutritionnelle, un âge d’abattage supérieur au standard, une forte proportion de la vie de l’animal passée à l’extérieur.
Là encore, l’association constate de fortes disparités : tandis que la filière « poulet » honore ses engagements, le label ne joue presque aucun rôle dans la filière porcine.
Rien, ou presque, ne différencie le porc Label Rouge du porc industriel, par définition de très basse qualité. Même chose pour le veau, il ne correspond pas aux critères que promet la certification.
Comment expliquer un tel écart ? L’UFC-Que choisir relève « trois causes principales ». D’abord, la création et la révision du cahier des charges dépend de la seule initiative des professionnels, seuls maîtres à bord lorsqu’il s’agit de définir les exigences d’une qualité supérieure.
Plus important encore, la gouvernance de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), l’établissement public censé garantir la conformité des labels, accuse « une surreprésentation des professionnels, au détriment des représentants de l’administration et des consommateurs ».
« Enfin, les contrôles sont trop peu indépendants, ajoute Alain Bazot. Ils sont délégués par l’INAO à des organismes certificateurs qui manquent d’impartialité, car trop liés aux professionnels. »
Lire aussi : « Pour préserver le climat, nous devons réduire de 90 % notre consommation de viande »
Au vu de leurs études, les trois associations demandent au gouvernement « de conditionner le soutien public aux impacts réels des labels, non pas à leurs simples intentions ».
La HVE est ici particulièrement visée car, outre la PAC, cette certification est éligible à la loi EGalim, qui impose à la restauration collective publique d’acheter 50 % de produits durables, dont 20 % issus de l’agriculture biologique.
Greenpeace, le WWF et l’UFC-Que choisir exigent également que la gouvernance des labels intègre davantage la société civile (ONG et consommateurs), que des études d’impact publiques soient réalisées et des contrôles plus fréquemment mis en œuvre.
« La prolifération des labels génère de la confusion pour le consommateur, conclut Arnaud Gauffier. C’est la jungle, personne ne s’y retrouve. Du très bon cohabite avec du très mauvais. »
Une réforme de grande ampleur paraît donc nécessaire.