Dans la lutte contre la crise climatique, les rapports et les chiffres sont maniés avec plus ou moins de rigueur scientifique par les médias. Depuis quelques temps, CNews semble se distinguer en la matière. La chaîne du milliardaire Vincent Bolloré s’est attirée les foudres des climatologues en invitant dimanche soir un « négateur du changement climatique » notoire pour promouvoir son nouveau livre. Face à la gravité des fake news propagées par l’essayiste sur le climat, les scientifiques ont lancé l’alerte auprès du CSA.
Un invité douteux
Après avoir été mis en demeure par le CSA pour avoir trop donné la parole à l’extrême-droite lors des élections régionales, CNews va-t-elle recevoir un nouveau blâme pour climato-scepticisme ?
Présenté par Thomas Lequertier, son émission « Les points sur les i » recevait en troisième partie un invité venu faire la promotion de son nouveau livre « La religion écologiste », se targuant de faire la part entre « la réalité et la fiction ».
En sous-titre, un bandeau au titre évocateur : « Climat : sommes-nous trop alarmistes ? ». L’invité, Christian Gerondeau, est présenté comme un « bienfaiteur de l’humanité » par le chroniqueur Ivan Rioufol, pour avoir inventé la sécurité routière et participé à imposer des limites de vitesse sur les routes en 1973.
Quarante ans plus tard, le haut fonctionnaire est devenu essayiste et a trouvé une nouvelle passion : le climat et l’écologie. Son objectif : « dénoncer l’imposture de l’idéologie écologiste et les mensonges organisés de cette idéologie ».
La première question posée à l’expert auto-proclamé tourne autour des fuites du projet de prochain rapport du GIEC : « Comment avez-vous recueilli les alarmes apocalyptiques du GIEC ? »
Notre expert improvisé y voit « des mensonges, tellement de mensonges que je ne saurais pas par où commencer ». Christian Gerondeau se lance alors dans une longue diatribe pour expliquer à quel point des sujets aussi consensuels scientifiquement que la montée des eaux, ou le réchauffement climatique sont des « croyances perpétrées par le fondateur du GIEC » depuis le sommet de Rio en 1992.
Ironie de l’histoire, alors que Christian Gerondeau reproche aux experts du GIEC de ne pas en être, il n’est lui-même pas un climatologue. Ce qui ne l’a pas empêché de faire du climat son fond de commerce.
En 2015, il a pris la tête du groupe X-Climat, composés de climato-sceptiques. Il est également membre du conseil scientifique d’un think tank notoirement connu pour être aussi climato-sceptique, le Global Warming Policy Foundation.
De l’infox sur le climat
Parmi les trois chroniqueurs face à lui, aucun pour remettre en cause ses propos, ou établir un peu de fact-checking, si ce n’est la maigre tentative de Véronique Jacquier pour rappeler le dernier record de chaleur de 18,3°C enregistré au mois de février 2020 en Antarctique.
Ce à quoi l’expert auto-proclamé lui répond que les phénomènes sont locaux, « d’ailleurs sa famille à Montréal a plutôt froid », et qu’il s’agit d’ « une courbe de 1°C par siècle qui monte mais qui peut descendre ». C’est cette petite phrase, graphique à l’appui, qui a déclenché le courroux des climatologues.
Une des plus réputées d’entre eux, Valérie Masson-Delmotte, une directrice de recherche au CEA et coprésidente du groupe nᵒ 1 du GIEC depuis 2015, a ainsi effectué un signalement au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel en débunkant sur Twitter « cet ensemble spectaculaire de fausses informations concernent l’état des connaissances scientifiques sur le climat, le niveau des mers, la démarche scientifique du GIEC. »
« Le réchauffement tel qu’il est observé, et ses multiples caractéristiques, avait été correctement anticipé depuis plus de 20 ans, et même davantage. Une série de publications scientifiques ont confirmé par une analyse systématique la rupture que représente le réchauffement en cours par rapport aux petites variations précédentes, sur cette période : inédit en amplitude, inédit en vitesse sur 50 ans… Le réchauffement actuel est aussi fondamentalement différent des fluctuations précédentes (anomalies douces pendant la période romaine ou médiévale) par sa cohérence spatiale. » rappelle ainsi la paléoclimatologue française
Ce n’est pas la première fois que CNews se distingue par son incompétence sur les questions relatives au climat. En 2019, Pascal Praud avait défrayé la chronique en remettant en cause le changement climatique face à Claire Nouvian, ancienne journaliste et présidente de l’association BLOOM qui s’est distinguée dans la lutte contre la pêche électrique dans les eaux européennes.
Plus récemment, Eric Zemmour accusait « la surpopulation » d’être la cause du réchauffement climatique, une intox à la vie dure que de nombreux scientifiques tentent vaillamment de combattre en rappelant un fait tout simple : ce sont les plus riches qui ont le mode de vie le plus écologiquement et climatiquement destructeur, en terme d’émissions de gaz à effet de serre et d’accaparement des ressources.
Ainsi, les 1 % les plus riches sont responsables de deux fois plus d’émissions que la moitié la plus pauvre de l’humanité.
« Il y a actuellement deux problèmes. Non seulement les sujets du climat et environnement ne représentent que 1% des sujets traités par les médias, mais en plus, ils sont très souvent mal traités. Malheureusement, cela ne s’arrête pas à ces deux sujets : c’est un festival de mensonges et de bêtises depuis le début de la Covid, période où nous aurions eu besoin d’indications claires. Nous pouvons l’affirmer sans risque : les bêtises et mensonges de certain(e)s ont tué depuis un an, et vont continuer de tuer. Il faut rapidement y mettre un terme. » plaide le vulgarisateur scientifique BonPote
Les chroniqueurs de CNews ne sont d’ailleurs pas dupes. Durant l’émission, ils ont ri eux-mêmes d’être régulièrement « catalogués de négationnistes », sans aucunement se remettre en question. Une attitude peu sérieuse comparée aux récents évènements météo extrêmes qui ont frappé différentes régions du monde et aux défis que l’humanité affronte déjà.
Car CNews bénéficie malheureusement d’une audience impressionnante, et a même brièvement dépassé sa consœur BFM-TV, autre chaîne habituée à relayer polémiques et clashs remplis d’inepties. A chaque spectateur de développer son esprit critique face au tissu de mensonges qui sont relayés en toute impunité.