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Vague de procès pour les militants climat : le symptôme d’une lutte déterminée contre les dérives de l’aviation

Face à l’urgence et à la gravité de la situation climatique, il s’agit pourtant de redéfinir qui et pourquoi prend l’avion. En novembre 2020, une étude publiée dans la revue « Global Environmental Change » démontrait un fait surprenant : 1 % de la population mondiale cause la moitié des émissions de CO2 dans le secteur aérien.

Lundi 22 février a eu lieu l’un des premiers procès des militants climat luttant contre les dérives de l’aviation, suite à la journée nationale d’action du 3 octobre 2020 pour faire prendre conscience des impacts climatiques et sociaux de la filière aéronautique. Lors de cette journée qui a mobilisé plus de 2000 personnes dans 18 lieux en France, 7 militants d’ANV-COP21 Gironde et d’Extinction Rebellion Bordeaux s’étaient introduit sur le tarmac de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac pour déployer une banderole. Ils ont comparu lundi soir devant le tribunal après plusieurs heures d’attente. A la fin de cette première audience, le Tribunal Judiciaire de Bordeaux a requis 500€ d’amende avec sursis pour chacun d’entre eux. Le verdict définitif sera rendu le 29 mars. Les prévenus risquaient jusqu’à 5 ans de prison et 18 000 euros d’amende. Cette audience intervient alors que le projet de loi Climat & Résilience français n’est pas à la hauteur concernant l’extension des aéroports et l’impact de l’aviation, renforçant d’autant plus le sentiment d’urgence des activistes. Ces derniers accusent également le secteur d’avoir été largement subventionné par le gouvernement durant la crise malgré des plans de licenciement répétés. Décryptage sur ce mal de l’air du XXIème siècle.

« Arrêtons le trafic aérien avant le crash climatique »

Leur action était minutieusement préparée pour être non-violente et sans risque, si ce n’est celui des poursuites judiciaires. Le 3 octobre 2020, comme des centaines d’autres activistes dans une dizaine d’endroits partout en France, Alexandra, Amilcar, Gaëtan, Juliette, Lucie, Marie-Alexandra et Thomas se sont introduits sur le tarmac de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac pour déployer une banderole « Arrêtons le trafic aérien avant le crash climatique ».

Cinq minutes après, ils ont été arrêtés par la gendarmerie et retenus en garde-à-vue pendant six heures. Conscients qu’ils allaient être rapidement interpellés, leur action symbolique a été conçue comme un « coup d’éclat » pour remettre la lumière sur les impacts du secteur aérien.

Crédit : ANV COP 21 et XR Bordeaux

« Au tribunal, on nous a dit de militer « à côté » plutôt que déranger les vols. Une ironie quand on sait que les portes de l’aéroport sont restées fermées ce jour-là car la manifestation officielle avait été déclarée devant. On est le caillou dans la chaussure, on dérange, alors que c’est urgent ! On voit bien que les tribunes, les pétitions et les marches ne suffisent pas. Ce sentiment d’impuissance est insupportable, on a envie et besoin d’agir. L’Etat français a failli à son rôle de protection et de garant de la démocratie. Il n’est pas à l’écoute de ce qu’il se passe et ignore les appels à répétition des scientifiques sur l’état alarmant de la crise climatique. On a d’autres choses à faire que de se retrouver toute la journée un samedi en garde-à-vue pour dénoncer cette urgence. Nous n’agissons pas pour le plaisir mais par nécessité. » explique Marie-Alexandra, une des activistes bordelaises, pour La Relève et La Peste

Ces deux militants d’Extinction Rebellion et cinq d’ANV-COP21 ont été soutenus par une centaine de citoyens lors de l’audience, ce lundi 22 février. Parmi eux : Didier Swingedouw, directeur de recherche au CNRS et témoin au procès, Stéphanie Mariette, chercheuse et Membre du Collectif Scientifiques en Rébellion Bordeaux. François-Joseph Grimault, co-fondateur de Résistance Climatique, ou bien encore Loïc Prud’homme, député de la troisième circonscription de la Gironde (LFI), mobilisé contre les projets artificialisation des sols comme les agrandissements d’aéroports et de plateformes logistiques.

« Je vous parle ici également en tant que citoyen, père de deux enfants. J’ai une immense inquiétude face à ce qui est une urgence majeure. Nous savons aujourd’hui que le dérèglement climatique est une réalité. Le rapport du GIEC établit l’origine anthropique de ce réchauffement. C’est maintenant qu’il faut réduire drastiquement nos émissions, et plus nous attendrons, moins ce sera possible. Si on dépasse les 2 °C de réchauffement, les milieux marins vont monter de plusieurs mètres. » a averti Didier Swingedouw, climatologue au CNRS et auteur du GIEC sur le rapport Océans et cryosphère, lors de son passage à la barre en sa qualité de témoin

Lire aussi : « Rapport du GIEC : les décisions prises aujourd’hui vont décider de la vie ou de la mort des océans et de la cryosphère »

Autres soutiens plus surprenants : des professionnels du secteur aéronautique réunis sous le collectif ICARE, qui a publié une tribune dans Médiapart, dans laquelle ils expriment le besoin de remettre de l’éthique dans ce secteur pour en réduire les impacts environnementaux et sociaux.

Pour eux, il est impératif « de revoir le modèle de développement du secteur aérien compte tenu de sa part de responsabilité dans les crises systémiques en cours, réchauffement climatique, pandémies, pollutions locales, ultra-consumérisme et inégalités sociales. »

Le collectif ICARE a ainsi loué le caractère éthique et responsable de la journée du 3 octobre, assimilant cette mobilisation à la défense d’un des principes fondateurs du développement durable défini en 1987 par l’Organisation des Nations Unies : le principe de responsabilité des générations présentes vis-à-vis des générations futures.

Procès Tarmac Bordeaux – Crédit : Maurice Lafaye

L’impact climatique du secteur aérien

En juillet 2020, une étude du cabinet BL évolution au titre éloquent, « Climat : pouvons-nous encore prendre l’avion », posait l’état des lieux de l’impact du secteur aérien et préconisait les mesures à mettre en œuvre pour respecter les engagements pris par la France lors de l’Accord de Paris. Leur constat est sans appel :

« L’intégralité des efforts nécessaires pour aligner la France sur la trajectoire de la neutralité carbone seraient annihilés par le secteur aérien s’il devait continuer de croître. A moins de subir des chocs majeurs, le transport aérien ne peut plus s’aligner avec une trajectoire compatible avec les 1,5°C, du seul fait des émissions projetées de la flotte d’aéronefs déjà existante. Pour s’aligner avec l’Accord de Paris et ne pas dépasser 2°C de changement climatique, une diminution du nombre de passagers comprise entre 2,5% et 4% par an est nécessaire. En d’autres termes, il faudrait réduire de moitié le nombre de passagers annuels d’ici 20 ans maximum. »

Une mesure pleine de sens lorsqu’on sait que le transport aérien est devenu un vecteur formidable de propagation des pandémies, selon l’étude de Serge Morand, directeur de recherche au CNRS.

En prenant en compte les traînées de condensation et les cirrus qui se forment après le passage d’un avion qui réchauffent autant le climat que le CO2 émis en vol, ainsi que les émissions liées à la production et la distribution du kérosène, le transport aérien serait ainsi responsable de 7,3% des émissions de GES de la France.

L’essor exponentiel du nombre de passagers a été fauché en plein vol par la crise du coronavirus dans le monde entier. A tel point que la fréquentation aérienne est revenue 17 ans en arrière, avec 1,8 milliard de passagers en 2020, loin des 4,5 milliards de 2019, selon l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI).

Sur l’année entière, Air France-KLM a ainsi eu 67,3% de passagers en moins par rapport à 2019, en raison de la fermeture des frontières. Conséquence économique, le groupe Air France-KLM a ainsi affiché une perte nette de 7,1 milliards d’euros en 2020 et prévoit 6000 « départs de salariés » supplémentaires en 2021, après s’être déjà séparés de 5 000 salariés chez KLM et 3 600 chez Air France en 2020.  

Au total, les effectifs ont fondu de plus de 10% entre 2019 et 2020, et ce malgré un prêt de 7 milliards d’euros du gouvernement français, actionnaire à 14,3% du capital, et d’un autre prêt de 2 à 4 milliards d’euros par l’état néerlandais, lui-même actionnaire à 14 %.

Le groupe Airbus a été lui aussi grandement éprouvé par le Covid 19 et son chiffre d’affaires a reculé de 29% en 2020, une perte de 1,1 milliards d’euros. Même conséquence pour Aéroports De Paris (ADP).

Si Airbus et Air France ont tous les deux eu la décence de ne pas verser de dividendes à leurs actionnaires, le patron d’Air France a défrayé la chronique lorsque le groupe a annoncé lui verser une prime de 800 000 euros au titre de l’année 2019.

Crédit : Tim Oun

Un moyen de transport inégalitaire

Il va donc sans dire que la filière aéronautique traverse une crise sans précédent, que l’Etat tente de juguler en investissant 15 milliards d’euros pour qu’elle soit « plus compétitive » et « plus décarbonée » en produisant l’« avion vert » de demain.

A nouveau, l’appareil étatique et productif fait donc le pari d’un solutionnisme technique qui a tout d’une quête chimérique hors-sol, ainsi que le décrit le rapport de BL Evolution.

Encore plus préoccupant, si le secteur aéronautique ne prévoit pas un retour à « l’anormal » avant 2024, il mise quand même pour retrouver sa croissance, avec le soutien de l’Etat, sur une augmentation du trafic aérien à travers des projets d’extension des aéroports.

Si l’article 34 du projet de loi Climat & Résilience, issus des travaux de la Convention Citoyenne pour le Climat, est censé réguler ces projets d’extension, il ne s’applique en réalité à aucun des dix projets existants, ainsi que le montre une analyse de Réseau Action Climat.

En effet, cet article a été détourné de l’ambition première de la Convention Citoyenne pour le Climat car le gouvernement l’a limité aux projets nécessitant d’exproprier des acteurs privés pour l’acquisition de foncier, par le biais d’une déclaration d’utilité publique (DUP). Un scénario peu probable puisque les aéroports possèdent déjà des domaines très vastes.

« Seuls deux projets seraient concernés par le périmètre de la loi (Nantes et Bâle-Mulhouse), mais ils bénéficient d’exceptions ! C’est dire l’hypocrisie de ce texte ! Ce qu’on réclame, c’est une décroissance du trafic et la reconversion du secteur et des salariés. Aujourd’hui, il faut reconstruire sans répéter les mêmes erreurs et prendre des chemins de traverse. Les alternatives à l’avion, on les connaît : le covoiturage, le train de nuit, sauver le secteur ferroviaire, favoriser les réunions skype plutôt que de se rendre à des meetings au bout du monde. On voudrait aussi repenser tout notre rapport au voyage. Revoir nos distances parcourues, partir à l’aventure plus près, autour de chez nous… Il s’agit d’éviter le pire, et si l’on doit transformer chaque secteur, commencer par l’aéronautique est le minimum syndical ! » explique Marie-Alexandra, une des activistes bordelaises, pour La Relève et La Peste

Pour l’instant, la bataille est rude dans l’opinion publique et sous l’influence des lobbies. L’interdiction des vols courts, quand il existe une alternative en train, a ainsi elle aussi été vidée de son ambition initiale.

Alors que la Convention Citoyenne pour le Climat préconisait, en suivant le conseil des experts, de supprimer les trajets d’avion réalisables en moins de 4h en train, le projet de loi du gouvernement a fixé cette limite à 2h30 en train, ce qui représente une baisse de seulement 2% des émission des GES des vols métropolitains.

Lire aussi : « Les lobbies ont détruit les mesures de la Convention Citoyenne pour le Climat »

Face à l’urgence et à la gravité de la situation climatique, il s’agit pourtant de redéfinir qui et pourquoi prend l’avion. En novembre 2020, une étude publiée dans la revue « Global Environmental Change » démontrait un fait surprenant : 1 % de la population mondiale cause la moitié des émissions de CO2 dans le secteur aérien.

Ceux qui doivent d’abord atterrir, ce sont ainsi les voyageurs réguliers désignés comme « super-émetteurs » par l’étude. En prenant l’avion quasiment tous les jours et principalement à l’intérieur de leurs pays, Etats-Unis en tête, ce sont eux les plus impactants.

En 2018, seulement 11 % de la population mondiale a pris au moins une fois l’avion, dont 4 % pour partir à l’étranger, soit 845 millions de voyageurs aériens, sur une population totale de 7,5 milliards d’après les calculs des chercheurs.

Si les usagers de l’avion sont, sans surprise, principalement issus de pays à revenus élevés, une majorité de personnes, y compris dans les pays les plus riches, ne prend donc quasiment jamais l’avion : environ 53 % aux Etats-Unis, 65 % en Allemagne, 66 % à Taiwan ou 48 % au Royaume-Uni.

En France, deux personnes sur trois prennent l’avion moins d’une fois par an.

Un portrait décroché d’Emmanuel Macron a été amené le jour de l’audience – Crédit : Maurice Lafaye

Prendre l’avion ou non est le choix d’une classe privilégiée et aisée, qui refuse de faire des efforts face à la réalité de la situation climatique, ainsi que l’illustre l’explosion des ventes de jet privés avec les restrictions sanitaires.

Rai de lumière au milieu des nuages, Barbara Pompili a récemment annoncé l’abandon du projet du Terminal 4 à Roissy, un signal fort et positif pour les lanceurs d’alerte sur le climat. A Bordeaux, la nouvelle municipalité a ouvert le dialogue avec les militants, leur donnant une lueur d’espoir pour que l’extension de Bordeaux Mérignac soit elle aussi abandonnée.

De la même façon, le jugement rendu le 3 février dernier dans le cadre de l’Affaire du Siècle a condamné l’Etat pour son inaction climatique et lui a donné deux mois pour prouver qu’il peut faire mieux afin de respecter son propre engagement : réduire de 40% ses émissions de GES d’ici à 2030 par rapport aux années 1990.

Tous ces constats ont renforcé la détermination des militants à poursuivre leur mobilisation. Le prochain procès, en lien avec les mobilisations du 3 octobre pour la réduction du trafic aérien, aura lieu le 24 juin au tribunal de Bobigny.

« Lors de l’audience, on a eu le sentiment d’être infantilisés en nous expliquant que nous faisions perdre du temps à la Cour. Mais on a multiplié les signaux d’alerte depuis les années 70, que ce soit des scientifiques, des experts, des médias, des citoyens, et nos dirigeants n’écoutent toujours pas et ça, c’est dramatique. Il faut aussi sortir de notre anthropocentrisme, qui nous fait oublier que nous ne sommes pas seuls et que sans les autres espèces nous ne sommes rien. Or, nous sommes déjà responsables de la disparition de 60% des populations d’animaux sauvages en 40 ans ! Le climat les impacte aussi ! On n’a pas envie de faire perdre le temps de qui que ce soit, mais c’est notre temps qui est compté sur cette planète. On continuera tant qu’il le faudra. » conclut Marie-Alexandra

Laurie Debove

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