Tribunes, pétitions, campagnes d’affichage, mobilisations citoyennes, études économiques : les mouvements contre « Amazon et son monde » se multiplient partout en France. Certains sont destinés à alerter les élus, d’autres à sensibiliser les citoyens, tous à combattre un modèle de commerce qui détruit des emplois, contourne les impôts et entretient un système à l’origine de la crise écologique que nous traversons.
Collectifs, associations et citoyens se battent contre l’implantation d’entrepôts
À l’échelle locale, les actions contre la construction de nouveaux entrepôts d’Amazon battent leur plein. Samedi 28 novembre, tous les regards se sont tournés vers Montbert, une commune de 3 100 habitants au sud de Nantes (à une cinquantaine de kilomètres de Notre-Dame-des-Landes), où plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés près d’une friche hospitalière sur laquelle Amazon souhaite construire une immense plate-forme logistique, destinée à bombarder de colis tout l’ouest de la France.
« C’est la dernière grande surprise en date », déclare, enthousiaste, Alma Dufour, représentante de l’association Les Amis de la Terre, pour La Relève et La Peste. Cette mobilisation lui semble digne d’attention à plus d’un titre. « Entre 2 500 et 3 000 personnes se sont rassemblées au milieu de nulle part, en rase campagne, pour s’opposer à un projet dont elles n’avaient entendu parler que trois semaines auparavant. Parmi elles, il y avait des maires, des petits commerçants, des défenseurs du climat, des gilets jaunes, des militants de la ZAD, des syndicats, des associations, de simples sympathisants… C’est la première fois à ma connaissance qu’une lutte locale fait converger un panel de citoyens si varié, des gens de bords si différents. »
Avec Amazon, l’action locale paie. Après des mois de mobilisation sans relâche, le géant du e-commerce semble avoir abandonné l’un de ses plus grands projets en France, le méga-entrepôt d’Ensisheim, une ville alsacienne située entre Colmar et Mulhouse.
Refusant de reconnaître qu’il cédait à la pression citoyenne, le président d’Amazon France a déclaré début novembre, sur une chaîne d’information, que son entreprise n’avait aucun « projet d’implantation en Alsace ». Pour les Amis de la Terre, il s’agit bien entendu d’un mensonge éhonté.
« Il ne faudra pas baisser la garde dans les semaines et mois à venir, note Alma Dufour. Quand on connaît les pratiques d’Amazon, on n’est jamais à l’abri d’une reprise des hostilités. »
« Noël sans Amazon », cyberattaque et entrave au débat démocratique
Mardi 17 novembre, un collectif de maires, de députés, de personnalités du monde de la culture et d’associations ont lancé une pétition appelant à un « Noël sans Amazon » susceptible de favoriser les petits commerces et l’économie circulaire, particulièrement touchés par les récentes mesures de confinement et la concurrence déloyale de la vente en ligne.
Les pétitionnaires — parmi lesquels figurent Matthieu Orphelin, François Ruffin, Anne Hidalgo, France Nature Environnement, Greenpeace, la Confédération des commerçants de France ou encore le Syndicat de la librairie française — demandaient également au gouvernement des lois « qui profitent à notre économie et pas à la fortune délirante de Jeff Bezos », ainsi que l’interdiction de nouveaux entrepôts.
La pétition a déjà récolté presque 10 000 signatures quand un imprévu bouleverse les événements. Dans la nuit du mardi 17 au mercredi 18 novembre, le site We Sign It et son hébergeur Octopuce sont victimes d’une première cyberattaque, bientôt suivie d’une seconde le 19 et d’une troisième le 21, qui achève celle-ci de bloquer le comptage des signataires.
Les pirates usent de techniques aussi variées que l’ajout à la pétition de milliers de signatures frauduleuses (dont celles de tous les députés et sénateurs), l’envoi de millions de requêtes pour saturer les serveurs, ou encore la redirection de la page vers le site d’Amazon.
Très vite, les ingénieurs informatiques découvrent que l’auteur de la première attaque (au moins) est une entreprise spécialiste en « e-réputation » travaillant pour le compte de grands groupes, dont Amazon… Le géant mondial du commerce en ligne est-il le commanditaire de ces attaques ?
S’il est trop tôt pour juger, rappellent les pétitionnaires, il s’agit de faire la lumière sur cette grave atteinte au débat démocratique. Le député Matthieu Orphelin, l’Assemblée nationale et l’association We Sign It ont ou vont tous trois porter plainte.
Attac : le bilan fiscal noir d’Amazon
Du 27 novembre au 4 décembre, à l’occasion du « Black Friday » (déplacé cette année), Les Amis de la Terre, ANV-COP 21 et Attac lancent une campagne nationale d’information pour alerter la population sur les conséquences néfastes du modèle d’Amazon, qui gagne malheureusement chaque jour en puissance. Au programme : affichages, mobilisations physiques, publication d’articles et d’études, adresse aux députés.
« 30 bonnes raisons de stopper Amazon » : c’est sous ce titre qu’Attac, qui lutte pour la justice fiscale et s’est opposée dès la première heure au commerce en ligne, espère convaincre les citoyens de la nécessité d’agir, maintenant.
Diffusée en ligne ou à l’aide de « kits » d’affichage envoyés à ses comités locaux, aux commerçants et aux particuliers, cette campagne souhaite combattre les contre-vérités qu’Amazon ressasse et que répète le gouvernement, son relais principal.
Pour Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac, il est essentiel de décrypter la communication du géant du commerce en ligne en lui opposant de forts arguments.
« Prenez la question des emplois. En s’installant dans des zones désindustrialisées, Amazon prétend systématiquement créer des emplois et rapporter de nouveaux impôts. En un sens, c’est vrai, mais en s’implantant en France, cette entreprise fraude massivement la TVA et assèche les commerces de proximité. »
Les emplois d’Amazon sont de mauvaise qualité, précaires, pour moitié au moins sous contrat intérimaire, avec une forte pression sur les salariés dont on étouffe la liberté syndicale et desquels on exige des cadences folles, quand ils ne sont pas tout simplement ubérisés comme les livreurs.
« À terme, ajoute Raphaël Pradeau pour La Relève et La Peste, Amazon souhaite robotiser la totalité de ses entrepôts. Les emplois qu’il fournit ne sont donc pas pérennes. Avec un peu de recul, on s’aperçoit très vite que c’est une catastrophe nationale. »
L’association Les Amis de la Terre rendra publique, vendredi 4 décembre, une étude prouvant que chaque emploi créé par Amazon en détruit plusieurs autres, quel que soit le lieu d’implantation.
Comme nous vous l’expliquions en octobre, cette étude a été commandée à deux économistes indépendants, dont les conclusions sont fondées sur des données « orthodoxes ».
« C’est la première étude de ce genre, solide, statistique, effectuée par des économistes non iconoclastes, portant sur l’Allemagne et la France. Elle démontre que les destructions nettes d’emplois engendrées par Amazon sont bien plus importantes que ses créations. » précise Alma Dufour pour La Relève et La Peste
Il y a aussi la fraude à la TVA. Quand un vendeur commercialise un produit sur cette place de marché, Amazon le facture depuis le Luxembourg, où ses organismes financiers sont domiciliés. De la sorte, l’entreprise ne paie pas les 20 % de TVA qui devraient être appliqués à chaque transaction, et c’est justement cette marge qui lui permet de pratiquer des prix à la baisse, impossibles à concurrencer par les commerçants plus modestes.
Amazon arnaque ainsi tout le monde : l’État, le vendeur et indirectement le consommateur.
« Pourquoi les produits sont-ils moins chers en ligne, alors qu’il faut aussi payer une livraison individuelle ? s’étonne Raphaël Pradeau. Ce système est forcément financé par quelqu’un, en l’occurrence l’État, la collectivité. Les géants du e-commerce se sont fondés sur une arnaque globale. Notre campagne à pour but de faire comprendre aux gens qu’ils ne doivent pas raisonner uniquement comme consommateurs, mais aussi comme citoyens. Ce que le consommateur gagne, le citoyen le perd, lorsque la crèche est plus chère, ou quand l’hôpital facture des soins autrefois gratuits. »
Amazon, grand ennemi de l’environnement
Créateur d’emplois plus précaires que les travaux à la chaîne, ce qui est difficilement imaginable, Amazon est aussi l’une des entreprises les plus polluantes du monde.
En 2018, le mastodonte aurait émis 55,8 millions de tonnes de gaz à effet de serre, l’équivalent des émissions d’un pays entier comme le Portugal.
Son système de production et d’acheminement est sûrement le pire modèle que nous puissions adopter à l’heure de la crise climatique : robots, livraisons par drone ou avion afin d’accélérer la cadence, destruction de millions de produits neufs tous les ans, surconsommation, artificialisation des terres par la construction de nouveaux entrepôts au lieu d’employer l’existant…
Depuis le 28 novembre, des membres de l’association écologiste Extinction Rebellion (ER) mettent « hors d’état de nuire » les « lockers » d’Amazon (ces casiers dans lesquels le consommateur peut récupérer ses colis) dans plusieurs villes de France.
Amiens, Bordeaux, Rouen, Paris, Reims, Lyon, toutes les grands centres urbains sont visés par les militants, qui dénoncent « les privilèges inacceptables [de l’entreprise] et son expansion à vitesse grand V détruisant les commerces locaux, les emplois et le climat ». Dans un communiqué de presse, l’antenne amiénoise d’ER explique également que « l’enjeu n’est rien moins que la vie sur terre. »
De nombreux élus et associations demandent aux ministres et aux députés d’appliquer de toute urgence le moratoire sur la construction de nouveaux entrepôts de e-commerce figurant parmi les 149 propositions de la Convention citoyenne pour le climat, une mesure jugée nécessaire pour freiner drastiquement l’artificialisation des sols.
Mais si le gouvernement semble favorable à l’arrêt de la construction des zones commerciales en périphérie des villes, il refuse pour le moment de se prononcer sur les entrepôts.
Crédit photo couv : Estelle Ruiz / Hans Lucas via AFP