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France : Derrière les chasses traditionnelles, le braconnage massif des petits oiseaux

Selon une étude de l’association BirdLife (« The Killing »), le nombre d’oiseaux illégalement « prélevés » sur notre territoire s’échelonnerait de 149 000 à 895 000 par an, trois espèces étant particulièrement prisées : le bruant ortolan, le pinson des arbres et le rouge-gorge familier. Tous trois rigoureusement protégés.

Ces dernières années, de scandale en scandale, les chasses traditionnelles ont régulièrement surgi dans l’actualité. Si l’attention se concentre souvent sur la capture à la glu, une technique « cruelle » entre toutes, quelles réalités recouvrent vraiment de telles pratiques que certains ont pu dire anecdotiques, ou marginales ? Des campagnes du Sud-Est ou des Landes jusqu’aux cuisines de la grande gastronomie française, il s’agit bien d’un braconnage massif qui ne dit pas son nom.

L’extermination des oiseaux

« Où sont passés les oiseaux des champs ? » se demandait innocemment, en 2018, la rédaction du Journal du CNRS, le plus prestigieux organisme public de la recherche française. Deux études venaient alors de paraître, indiquant conjointement qu’en l’espace de 17 ans, « un tiers des oiseaux [avaient] disparu des campagnes françaises ».

Alouette des champs, linotte mélodieuse, hirondelle de fenêtre, mésange noire, pigeon ramier, perdrix, le constat est vertigineux : toutes les espèces d’oiseaux, ou presque, sont en déclin dans tous les milieux, boisés ou agricoles, citadins ou résidentiels.

Les auteurs des deux études mettaient en cause les insecticides (et bien d’autres produits phytosanitaires), dont l’utilisation dépravée contamine l’ensemble des écosystèmes, décimant des cohortes entières d’insectes qui ne viendront jamais nourrir les oiseaux. Car ces trente dernières années, l’Europe aurait également perdu 80 % de ses insectes volants.

Devant une catastrophe si avancée, déjà, le combat acharné contre les chasses traditionnelles mené par la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) pourrait paraître bien dérisoire. Et pourtant, il est essentiel, dans la mesure où le laisser-faire envers ces pratiques est identique à celui qu’on accorde aux pesticides, et relève de la même guerre des intérêts privés contre le bien commun.

Chasseurs et tenants de l’agriculture industrielle peuvent toujours se renvoyer la balle : la remise en question des uns ne va pas sans celle des autres.

Les chasses traditionnelles sont un sujet très français. Et pour cause, la directive Oiseaux de la Commission européenne les interdit depuis belle lurette au sein de l’Union. L’écrasante majorité des pays appliquent la règlementation, mais la France s’obstine à défendre ces modes de chasse qu’on prétend hérités des plus antiques traditions, énième effet du lobbying acharné de la Fédération nationale des chasseurs (FNC), dont toutes les chasses sont gardées.

Le gluau (l’oiseau s’accroche à de la colle enduite sur des tiges de bois), la tenderie (il se pend dans un filet), la tendelle (une pierre plate s’abat sur lui), les matoles (de petites cages le piègent) et les pantes (de grands filets qui se referment sur les alouettes), ne sont pas autorisés sur tout le territoire, mais seulement dans certains départements français, en particulier dans les cinq de Provence-Alpes-Côte-d’Azur et dans les Landes.

Ce système en théorie interdit ne fonctionne que par dérogations ministérielles. Tout dépend du type de chasse et de l’oiseau. Chaque année, un ballet d’arrêtés fixent les quotas artificiels de « prélèvement ».  Les espèces chassées — alouettes des champs, vanneaux, grives et merles noirs — sont soit tuées soit capturées pour servir d’appelants.

La technique des pantes, par exemple, consiste à attacher au bout d’un fil une alouette, dont le chant attire les congénères, qui finissent piégés par les filets. Quoi qu’on en dise, ces modes de chasse ne sont pas sélectifs et des espèces non ciblées, bénéficiant parfois d’un statut de protection national, sont sans cesse capturées (notamment par le gluau) puis rejetées dans la nature comme de vulgaires déchets. Les pertes de rapaces et de petits oiseaux rares sont chaque année incalculables. 

Les différents arrêtés du ministère de l’Écologie ont autorisé, au cours de la campagne 2020-2021 qui bat son plein, la capture de 156 030 oiseaux sauvages, dont 42 500 merles noirs, 106 500 alouettes des champs, 1 200 vanneaux huppés…

Comment l’État parvient-il à s’assurer de la bonne adéquation des faits avec ses prévisions ? Il en est bien incapable.

Et même s’il ne le dira jamais publiquement, n’importe quelle cravate de ministère, secrétaire de préfet ou président d’ACCA sait pertinemment que l’autorisation d’un nombre aussi précis de captures revient à les accepter toutes. On ne surveille pas 10 000 chasseurs avec quelques dizaines d’agents.

Un bruant ortolan – Crédit : Pierre Dalous

L’impact écocidaire du braconnage

Mais évacuée la pompe des quotas annuels, les pièges traditionnels servent surtout de couverture à un braconnage dévergondé, béni par l’État. Selon une étude de l’association BirdLife (« The Killing »), le nombre d’oiseaux illégalement « prélevés » sur notre territoire s’échelonnerait de 149 000 à 895 000 par an, trois espèces étant particulièrement prisées : le bruant ortolan, le pinson des arbres et le rouge-gorge familier. Tous trois rigoureusement protégés. 

Le bruant ortolan, par exemple, un petit migrateur de vingt grammes, est recherché pour ses vertus gustatives par les plus grandes tables de la gastronomie française, qui se l’arrachent en échange d’une centaine d’euros la pièce, en moyenne.

Un bruant réussi est acheté vivant, gavé, noyé dans l’armagnac, rôti, puis avalé entier, sans coups de dents — il doit fondre dans la bouche —, en suçant longuement les os, avec un linge blanc posé sur le visage, dont les yeux ne divertiront pas les papilles.

Comment la population des bruants a-t-elle pu chuter de 88 % en cinquante ans ? Mystère, mystère, répondent les chasseurs. Étrange, disent les ministres.

C’est dans les Landes que cette espèce bientôt disparue est la plus capturée. En ce département de la côte Atlantique réputé pour son tourisme culinaire (et le passage des migrateurs), le braconnage est si répandu, les pièges si abondants et comme implantés dans le paysage que les autorités ferment les yeux, consentent, ne punissent presque jamais les braconniers.

Rouge-gorge – Crédit : Jean-Raphaël Guillaumin

Parfois, des chasseurs sont surpris en train d’installer des matoles, mais ils ne reçoivent que quelques amendes qu’ils ne règlent jamais, malgré les arrêts d’une Cour d’appel et de la Cour de cassation. Tout continue dans l’impunité, le monde entier semble aveuglé par cet argumentaire de l’exception. Les braconniers s’en lèchent les babines : il y a là comme toujours beaucoup d’argent.

Les chardonnerets (protégés), quant à eux, présents normalement dans les bois, champs et vergers de toute l’Europe, sont recherchés non pour leur chair mais leurs vocalises. On les capture à l’aide de gluaux et un marché noir bien rodé se charge de trouver preneur, parfois après des enchères qui grimpent à 1 000 euros, quand l’oiseau est un chanteur d’excellence. Mais en moyenne, c’est dix euros le gramme.

Quand il n’alimente pas l’ornement de riches demeures, ce trafic lucratif aboutit à des concours de chant et de beauté, que la police de l’environnement est bien en peine d’arrêter. En dix ans, les chardonnerets ont perdu 40 % de leurs effectifs

Le 19 novembre, un braconnier opérant dans la forêt de Dax (Landes) a été condamné à huit mois de prison avec sursis et 90 000 euros d’amende pour avoir capturé et revendu entre dix et trente euros l’unité plus de 10 000 oiseaux en dix ans. S’agissant d’un seul chasseur, c’est dire l’ampleur du fléau, que nos évaluations les plus noires continuent d’estimer avec optimisme.

crédit photo couv : Chardonneret élégant – Ghislain38

Augustin Langlade

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