En pleine polémique sur la fermeture des commerces de proximité, le préfet du Haut Rhin Louis Laugier s’apprête à autoriser ce jeudi 5 novembre la construction du méga-entrepôt d’Amazon à Ensisheim. Face aux dégâts sociaux et environnementaux causés par la mainmise de ce géant sur le marché français, une fronde citoyenne et politique dénonce aujourd’hui la façon dont ce projet a été décidé arbitrairement et mis en place de façon opaque.
Une prise de décision opaque
Après l’accord de la municipalité, le projet géant d’entrepôt Amazon à Ensisheim repose désormais dans les mains du nouveau Préfet du Haut Rhin, Louis Laugier, qui devrait signer son coup d’envoi ce jeudi 5 novembre lors du Conseil de l’Environnement et des Risques sanitaires et technologiques (CODERST).
Si le Préfet Louis Laugier valide le document comme prévu, le projet Amazon à Ensisheim aura un impact carbone mortifère avec plus de 200 millions de produits importés par an, et la bétonisation de 15 hectares de terres agricoles, selon les chiffres fournis par les syndicats d’Amazon France.
Ce méga-entrepôt logistique de 190 000 m2 aurait une surface de 44 000 m² au sol (286 m x 153 m) sur 4 niveaux et d’une hauteur voisine de 23 mètres au sein de la tranche n°2 du Parc d’Activités de la Plaine d’Alsace (P.A.P.A.) sur la commune d’Ensisheim, à une dizaine de kilomètres au nord de Mulhouse.
Un bâtiment colossal dont les 3 derniers étages seraient entièrement automatisés et gérés par des robots et l’intelligence artificielle. Les associations et collectifs locaux ont dû mener l’enquête pour vérifier qu’Amazon était bien derrière le méga-entrepôt, faute de données publiques transparentes disponibles.
« Après avoir signé une clause de confidentialité leur interdisant de révéler qu’Amazon serait l’exploitant final, les élus ont refusé de répondre à la presse sur le projet. L’enquête publique s’est déroulée pendant le premier confinement. L’ensemble des contributions, toutes opposées au projet, ont été balayées d’un revers de main. L’autorisation de ce projet par le préfet en plein reconfinement est une nouvelle insulte à la démocratie locale. Nous avons donc décidé de nous mobiliser tout en respectant les consignes de sécurité. » détaille Yeliz Gencer, médecin et membre du collectif d’opposant le Chaudron des alternatives
De fait, dans les documents qu’a pu consulter La Relève et La Peste, le pétitionnaire cité sur les dossiers est la société Eurovia 16 Project, « spécifiquement créé pour porter ce projet », une filiale à 100% de la société LCP Hold Co Lux, holding du groupe Luxembourgeois Logistics Capital Partners. Pour l’heure, Amazon n’a donc pas officiellement confirmé son implication dans le projet.
« Comme à chaque fois sur ce type de gros projets, ce n’est pas Amazon qui demande l’autorisation directement mais l’opérateur en charge de la construction de l’entrepôt. Assez souvent, Amazon est ensuite directement associé aux négociations avec les élus. Une clause de confidentialité les oblige à garder le silence. A chaque fois qu’on les demande dans un litige, ils refusent de nous les transmettre. Pour cacher le nom d’Amazon, les clauses de confidentialité durent bien souvent jusqu’au recours en justice, même après que l’autorisation de construire ait été signée. » explique Alma Dufour, chargée de campagne aux Amis de la Terre, pour La Relève et La Peste
Dans le cas présent, les associations de protection de l’environnement alertent notamment sur le manque, dans l’étude d’impact du projet, d’un bilan sérieux autour des émissions liées à la circulation de plus de 1 000 poids lourds et 4 500 utilitaires supplémentaires par jour.
Et cela alors que le Haut Conseil pour le Climat vient de publier un rapport précisant à quel point il est nécessaire et urgent de réduire l’empreinte carbone nationale liée aux importations, dont les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de plus de 78% entre 1995 et 2018.
Le visage d’une société numérisée
Ironie du calendrier, cette autorisation intervient alors que les élu.e.s multiplient les prises de position publiques, plus ou moins assumées, à l’encontre du géant américain. En effet, la décision de maintenir fermés les commerces de proximité, au profit des sites de e-commerce, pour cette nouvelle phase de confinement a déclenché une vague d’indignation face à la précarisation que cela risque d’entraîner.
En France, plus de 200 000 commerçants déjà rudement éprouvés par le premier confinement sont inquiets de louper une manne financière nécessaire à la pérennité de leurs activités la veille des fêtes de Noël et au maintien des emplois.
Or, une récente étude menée par les assureurs Allianz et Euler Hermes l’a prouvé : aux États-Unis, la croissance du commerce en ligne aurait entraîné la destruction nette de 670 000 emplois entre 2008 et 2020.
« Les PME françaises vendant sur Amazon ne représentent que 4,7% des vendeurs tiers d’Amazon.fr qui mène une politique d’écrasement des marges des petits vendeurs. Ces derniers se retrouvent en plus en concurrence directe avec des entreprises étrangères qui font de la contrefaçon et ont des coûts de production bien plus bas. Aux Etats-Unis, où le marché n’a pas été régulé, Amazon a une politique de domination totale sur les petits vendeurs en leur interdisant de vendre moins cher sur d’autres sites d’e-commerce… Depuis qu’on a des preuves émises par des cabinets d’assurance sur la destruction d’emplois qu’Amazon entraîne, cela fait trois mois que le gouvernement ne nous répond plus sur ces questions, est-ce que la pression va suffire ? » s’inquiète Alma Dufour, chargée de campagne aux Amis de la Terre, pour La Relève et La Peste
Comme l’a précisé Bruno Le Maire qui veut « accélérer les transformations digitales des petits commerces », c’est pourtant bien le e-commerce qui est encouragé depuis le début de la crise par le gouvernement. Mais qu’il s’agisse de grandes structures américaines ou françaises pour le mettre en place, le résultat sera le même.
Quant aux 400 millions d’euros prévus dans le plan de relance sur la transformation numérique des PME, ils ne feront pas le poids face au 1000 milliards de dollars de valeur financière d’Amazon pour mettre en place un service logistique aussi rapide, auquel de trop nombreux consommateurs se sont malheureusement habitués.
Les Amis de la Terre se sont alliés avec l’association Alsace Nature sur ce dossier pour porter plainte ensemble. Un premier recours gracieux a été émis pour demander au maire d’annuler son autorisation, les deux ONG se tiennent maintenant prêtes à déposer un recours contentieux sur l’autorisation environnementale qui sera probablement délivrée jeudi ou vendredi.
Autre espoir ténu sur lequel s’appuie les deux ONG : que le moratoire demandé par la Convention Citoyenne pour le Climat sur les équipements commerciaux de périphérie intègre comme c’était prévu les entrepôts de e-commerce. Les associations suivent le dossier avec attention, mais pour l’heure aucune date n’a été annoncée pour sa mise en œuvre.