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Plantes médicinales : cueillir, c’est résister face au monopole pharmaceutique

« Les médecins qui connaissent bien les plantes et phytothérapeutes sont unanimes : la tisane est la forme la plus efficace. Il y a un tel travail de dénigrement qu’on a du mal à le croire. Ça parait presque trop simple. »

Nous réapproprier les savoirs ancestraux des plantes médicinales est une manière de reprendre notre liberté sur notre corps, en particulier dans ce contexte de crise sanitaire… C’est la conviction de Thierry Thevenin, paysan-herboriste en colère, qui milite pour une réhabilitation des plantes sauvages et une sensibilisation à leur utilisation, dès le plus jeune âge. 

Une histoire d’Armoise

Une plante a beaucoup fait parler d’elle depuis les débuts de l’épidémie de COVID-19 : l’Armoise annuelle (Artemisia annua), aussi appelée Absinthe chinoise. Ses usages sont connus des phytothérapeutes et des médecins qui soignent leurs patients par les plantes. Elle agit notamment contre le paludisme, la maladie de Lyme, le COVID-19 et même certains cancers… 

Elle est l’exemple-type de ces plantes que l’on craint et qui fascinent à la fois.

« Les plantes font peur, explique le paysan-herboriste Thierry Thevenin, notamment parce que leurs effets ne sont pas démontrés par des études scientifiques comme le sont ceux des molécules isolées. Une plante, c’est un cocktail de 60 à 200 molécules, dont on ignore précisément comment elle marche. » 

Artemisia annua n’échappe pas à la règle. On en trouve des graines et des plants un peu partout en France – seule la plante mature est interdite à la vente. Ceux qui la consomment ne comprennent pas toujours comment elle fonctionne non plus, mais elle les soulage et fait reculer la maladie. Faudrait-il s’en priver ? 

Crédit photo : Cédric Perraudeau

Thierry Thevenin la cultive dans son jardin. Il lui est arrivé d’en donner ces dernières semaines, en prévention ou en curatif, à des personnes qui ressentaient des symptômes légers du COVID. Le paradoxe hypocrite, c’est qu’il n’en n’a pas le droit. Celles et ceux qui cueillent et cultivent les plantes ne sont pas autorisés à vendre de nombreuses espèces, sous monopole pharmaceutique, et encore moins à dispenser les conseils qui vont avec. Un film documentaire de Julien Després est sorti récemment, malheureusement pendant le confinement, sur ces Cueilleurs en résistance

Les Simples, un enjeu de pouvoir 

« Les plantes médicinales sont un enjeu de pouvoir depuis la nuit des temps, raconte le paysan-herboriste. Les souverains des premières métropoles étaient des rois-médecins. (Voir à ce propos le code d’Hammurabi : les premières traces écrites qui mentionnent la médecine.) Chez de nombreux peuples, le/la chamane ou le/la médecin sont dépositaires du pouvoir de la tribu. » 

La querelle qui oppose les pharmaciens et les herboristes ne date pas d’hier : elle remonte à 1258, date à laquelle le monopole des apothicaires est, pour la première fois, affirmée dans le droit français. S’ensuivent de longs siècles pendant lesquels ceux qui soignent par les plantes sont régulièrement arrêtés, jugés, condamnés. Plus tard, les femmes qu’on brûle pour sorcellerie sont aussi accusées de connaissance malfaisante des plantes. Elles aident pourtant à donner la vie et soulagent les douleurs.

Une trêve permet aux herboristes d’exercer en France sans être inquiétés de 1803 à 1941, mais la situation se tend gravement en 1941, quand le gouvernement du Maréchal Pétain supprime le diplôme d’herboriste. Depuis, les herboristes n’ont plus d’existence officielle et les pharmaciens restent seuls habilités légalement à conseiller les usages des plantes. 

Crédit photo : Cédric Perraudeau

Une situation qui révolte Thierry, qui utilise désormais le fameux gros mot pour se définir. « J’ai mis 15 ans à me laisser traiter d’herboriste, confie-t-il en souriant. Mais c’est aussi une provocation pour que les choses changent. » 

Les herboristes comptent quelques alliés de poids, comme le sénateur Joël Labbé, qui a conduit en 2017 une mission d’information sénatoriale.

« 39 recommandations ont été adoptées pour redonner un peu plus de place aux plantes dans la société, au sein des écoles et d’autres institutions sociales. La seule qui n’est pas passée, c’est celle qui redonne une existence légale aux herboristes… » Hasard pétrifiant : de nombreux sénateurs membres de cette mission se trouvent être… pharmaciens. 

Un savoir, plusieurs vertus

Son combat, Thierry Thevenin le mène notamment à travers le syndicat des Simples, dont il est le porte-parole. Les producteurs des Simples s’engagent à respecter un cahier des charges beaucoup plus exigeant que le label bio européen. Ils sensibilisent surtout leurs clients à la diversité des plantes et au respect de ressources régulièrement menacées par une industrie qui a désormais le vent en poupe. 

Comme d’autres cueilleurs, Thierry va plus loin : il transmet.

« Quand on commence à plonger dans l’univers des plantes, c’est comme si on avait un trésor autour de soi et dans la maison. On se rend compte qu’on n’a même plus assez de toute sa vie pour en profiter et pour l’explorer. C’est tellement riche qu’on a envie de partager. »

Dans les stages de son association Vieilles Racines et Jeunes Pousses (mais aussi dans les livres qu’il écrit !), on peut apprendre les rudiments de la botanique et de l’herboristerie, la transformation des plantes en hydrolats, baumes et autres macérats, mais aussi les secrets des plantes tinctoriales (celles qui teignent les tissus) et autres réjouissances naturelles…

Crédit photo : Cédric Perraudeau

Il en est convaincu : intégrer les plantes dans sa vie, par la cueillette par exemple, nous est bénéfique bien au-delà de ce que l’on imagine.

« Cueillir permet de garder les pieds sur terre, même en ville et pas seulement à la campagne ! On est dans la réalité : on va les chercher, on ne fait pas un clic pour les acheter. La gestion du temps est aussi très différente. Ça nous ralentit et nous remet au rythme de la vie normale, et plus de celui d’une espèce d’excitation dans laquelle on ne sait pas après quoi on court… »

Huiles essentielles vs tisanes 

Le soin par les plantes est aussi devenu un vrai marché ces dernières décennies. Les huiles essentielles se sont transformées en produit de consommation de masse.

« Ça fait 5000 ans qu’on distille. Au départ, on les extrayait pour les prières. Aujourd’hui, on le met dans la cuvette des toilettes ou dans l’aspirateur pour parfumer la maison… »

Bien sûr, leur puissance de feu est intéressante pour les infections résistantes ou pour une migraine carabinée que rien d’autre ne fait passer. Mais nous devons davantage connaitre l’origine de ce qu’on consomme. Prendre conscience qu’un petit flacon d’huile essentielle, c’est beaucoup de ressources – à la fois en plantes récoltées mais aussi en énergie pour les transformer, que l’alambic fonctionne au bois, au pétrole ou à l’électricité.

« Les noms populaires sont aussi trompeurs – origan, camomille – parce que quand on y regarde de plus près, les espèces bon marché sont aussi endémiques et menacées et les conditions de travail de ceux qui les cultivent et les récoltent souvent déplorables, comme c’est le cas au Maroc par exemple. Quand on comprend que les choses sont précieuses, on les respecte davantage et on y fait plus attention. » 

Son truc à lui, c’est plutôt les tisanes, qu’il vend au public via sa petite entreprise Herbes de VieUne forme méconnue, ringardisée en « pisse-mémé », parce qu’elle prend beaucoup plus de place et qu’elle est tellement moins rentable qu’une gélule ou un extrait fluide…

« Les médecins qui connaissent bien les plantes et phytothérapeutes sont unanimes : la tisane est la forme la plus efficace. Il y a un tel travail de dénigrement qu’on a du mal à le croire. Ça parait presque trop simple. » 

La meilleure façon d’utiliser les plantes, c’est donc bien la tisane, de manière ponctuelle ou en cure de trois semaines, en fonction des problématiques et de leur chronicité, et toujours en lien avec les thérapeutes qui vous suivent.

« 9 fois sur 10, les effets des plantes fraîches ou séchées sont les mêmes. Tant que les plantes sont fraîches, je leur donne la priorité. Une mélisse fraîche ou sèche, ça n’a pas du tout le même parfum ! Si vous avez un jardin ou des plantes en pot, consommez-les juste cueillies. » 

On l’a dit dans un précédent article, avant de les cueillir ou de se les procurer, il faut connaitre les plantes et apprendre à les aimer. C’est encore plus vrai concernant les médicinales. À ce prix, nous regagnerons une part de notre liberté perdue. Parce que les cueillir ou leur permettre d’être cueillies, c’est résister. Humblement. 

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Petite sélection d’ouvrages non exhaustive

Thierry Thévenin, Plaidoyer pour l’herboristerie, Actes Sud

Thierry Thévenin, Les plantes sauvages, connaître, cueillir, utiliser, Lucien Souny

Bernard Bertrand, Le carnet des Simples médecines, Terran

Ursula Stumpf, Reconnaître facilement les plantes médicinales, Delachaux et Niestlé

Alain Creton, Laurence Chaber, Plantes de santé, baumes et tisanes, Séquoïa

Flora Clodic-Tanguy

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