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La Norvège taxe les ultra-riches, et ça marche !

En 2023, 654 947 citoyens étaient concernés par cette taxe, soit 12% de la population. Elle a rapporté 2,5 milliards d’euros cette année-là.

Alors qu’en France, les débats sur l’imposition des grandes fortunes continuent autour de la taxe Zucman, la Norvège est brandie comme l’exemple à ne pas suivre : celui d’un pays où l’impôt sur la fortune serait à l’origine d’un exode fiscal si important, qu’il couterait plus à l’État que les recettes engendrées. Mais ces propos alarmistes ne représentent en rien la situation réelle du pays, dont le modèle fiscal demeure largement bénéficiaire et reste au cœur d’un choix de société assumé.

Les déclarations du député Philippe Juvin (LR), le 20 octobre dernier en commission des finances, ont ravivé les débats autour du modèle norvégien. Selon lui, « en 2022, la Norvège a taxé ses hauts patrimoines. 315 Norvégiens fortunés se sont exilés avec leur entreprise, l’emploi a chuté de 33 %, et les investissements de 22 % ».

Le pays scandinave connaîtrait donc un scénario catastrophe, présenté comme l’illustration parfaite de la courbe de Laffer : l’idée qu’au-delà d’un certain seuil, “taxer plus” ferait “gagner moins”, notamment à cause d’une prétendue fuite massive des grandes fortunes.

Mais comme l’a rectifié l’AFP, les chiffres sur l’emploi et l’investissement viennent d’une étude regardant les effets de l’impôt sur la fortune en Suède et au Danemark. Rien à voir avec la Norvège donc. En ce qui concerne l’exode des plus riches, il existe, mais dans des proportions qui n’ont rien d’alarmantes.

Alors qu’en est-il réellement du formuesskatt – la taxe sur la richesse norvégienne – et de ses effets concrets sur l’économie ?

Taxer les riches, une vieille tradition norvégienne

En vigueur depuis 1892, cette taxe est différente de l’impôt sur le revenu. Elle est prélevée chaque année sur le patrimoine net des ménages, c’est-à-dire sur l’ensemble des biens immobiliers, l’épargne, les actions, les parts de sociétés, auxquels on soustrait les dettes. C’est donc la richesse globale – produite concrètement ou non – qui est prise en compte.

Aujourd’hui, la taxe sur la richesse norvégienne s’applique aux personnes dont le patrimoine excède 1,76 million de couronnes – soit environ 150 000 euros –, qui sont alors taxés à hauteur de 1 %. Pour les personnes qui possèdent plus de 20,7 millions de couronnes – l’équivalent de 1,76 millions d’euros – ce taux s’élève 1,1%.

L’Institut norvégien de statistique (SSB) révèle qu’en 2023, pas moins de 654 947 citoyens étaient concernés par cette taxe, soit près de 12% de la population. Cette même année, l’État norvégien a perçu 30,4 milliards de couronnes, ou 2,5 milliards d’euros, par le seul biais du formuesskatt.

Un exode fiscal réel, mais temporaire

Pourtant, dans les récents débats autour de l’imposition des grandes fortunes, le cas norvégien est présenté comme un exemple à éviter, en partie dû à l’exode fiscal qu’il génère.

La Norvège a effectivement vu une augmentation du nombre de milliardaires et de millionnaires quittant le pays ces dernières années. Une étude du think tank Civita révèle que sur les années 2022 et 2023, 505 personnes dont le patrimoine excède 10 millions de couronnes ont quitté la Norvège, marquant une nette augmentation avec le nombre de départs observés entre 2014 et 2021.

Cette évolution ne peut toutefois pas être imputée à la seule taxe sur les grandes fortunes, mais s’explique par un ensemble plus large de réformes fiscales et de choix politiques.

En septembre 2021, une coalition de partis de gauche a remporté les élections législatives, mettant un terme à huit ans de gouvernance du parti conservateur. L’arrivée du gouvernement Støre au pouvoir s’est suivi de la mise en place d’une régulation plus stricte en matière de fiscalité.

En 2022, il a notamment augmenté le taux d’imposition des fortunes supérieures à 150 000 euros de 0,25%, pour le faire passer à 1%. C’est également ce gouvernement qui a mis en vigueur la nouvelle tranche d’imposition pour les patrimoines supérieurs à 1,76 million d’euros. En parallèle, il a renforcé la taxation sur les dividendes et les plus-values, les portant respectivement à 35,2% et 37,8% en 2023 – soit +3,5% et +6,1% par rapport à 2021.

S’ajoute un élément indispensable pour comprendre cette hausse de l’émigration des plus riches : l’exit tax, un impôt qui concerne les avoirs détenus par les Norvégiens au moment où ils s’installent à l’étranger. Initialement, l’obligation de payer cette taxe disparaissait au bout de cinq ans, et des voies pour la contourner existaient.

En 2024, le gouvernement a justement durci l’exit tax en fixant son taux d’imposition à 37,84 %, à régler dans les douze ans suivant le départ. De quoi rendre l’exil fiscal beaucoup moins attractif. Depuis ce durcissement, les données récoltées pour l’année 2024 montre une diminution des départs des plus riches.

Cette hausse des départs s’explique donc aussi par le fait que certains grands patrimoines ont exploité cette brèche, leur permettant de partir avant que l’exit tax ne devienne réellement contraignante.

Une “catastrophe” économique fabriquée

Malgré la mise en place d’une politique fiscale davantage exigeante vis-à-vis des plus fortunés, le système d’imposition norvégien n’est pas à l’origine de conséquences économiques “mortifères”, comme l’ont relaté certaines personnalités publiques ou certains médias.

Ce scénario alarmiste – qui a trouvé un certain écho dans les sphères libérales – trouve son origine dans une analyse réalisée par l’entreprise CitizenX. Au-delà de la légitimité questionnable de cette analyse – CitizenX étant une entreprise suisse axée sur les stratégies de mobilité et d’optimisation fiscale des riches contribuables –, les données qu’elle met en avant sont surtout erronées.

L’AFP a décrypté cette analyse et a soulevé des erreurs notable. Les calculs de CitizenX se basent sur les fortunes brutes, et non sur la base imposable après abattements. Une confusion entre dollars et couronnes aurait également gonflé les chiffres.

Selon l’AFP, comme détaillé dans leur article, le montant des pertes causées par le départ de grandes fortunes norvégiennes se chiffre entre 100 et 200 millions d’euros entre 2022 et 2024. Pour rappel, le formuesskatt a rapporté 2,5 milliards d’euros en 2023, et les estimations du gouvernement élèvent cette somme à plus de 3 milliards d’euros en 2025.

La fuite des grands capitaux est donc un phénomène bien réel, mais à relativiser, car le manque à gagner qui en résulte ne représente que 1,1% à 2,2% des recettes globales de cette taxe.

Un outil politique de justice sociale

Au-delà de cette bataille des chiffres, le formuesskatt est un outil politique que la gauche norvégienne revendique comme instrument de redistribution et symbole de justice sociale.

Tandis que les milieux libéraux agitent le risque d’une fuite des capitaux et de conséquences nuisibles pour les investissements engendrées par ce système d’imposition, les citoyens norvégiens ont récemment choisi de le conserver par une nouvelle victoire de la gauche aux législatives.

Le cas norvégien montre ainsi une autre réalité que les scénarios alarmistes présentés dans certains médias, notamment en France dans le cadre du vote de la taxe Zucman. Si, effectivement, une partie des riches refusent de participer à un effort de solidarité nationale et quittent le pays, leur proportion reste marginale.

La taxe sur la richesse se révèle particulièrement rentable pour les pouvoirs publics, et continue d’alimenter l’État providence norvégien.

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Louis Laratte

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