« J’aimerais que tous les milliardaires suivent un stage de permaculture »

Starhawk a fait le récit de ses actions dans son livre Rêver l’obscur, paru en 1982, un texte de référence qui alerte sur les dérives d’une société fragmentée où féminin et masculin, nature et culture, puissance et pouvoir, s’entrechoquent dans un dialogue stérile. Entre récit de terrain, réflexion politique et spiritualité, elle livre ici ses réflexions pour tisser des liens féconds à soi, aux autres et à la planète, et revient sur la puissance des rituels.

LR&LP : Vous revenez d’Ukraine. Comment s’est passé votre séjour ?

Starhawk : J’y suis allée en septembre dernier pour animer une formation en permaculture sociale, organisée par mon ami Alfred Decker, avec qui j’ai co-organisé de nombreux stages à destination de réfugiés. Cette fois, j’ai voyagé seule. Pour rejoindre l’Ukraine, je suis passée par la Moldavie, puis j’ai fait 20 heures de train jusqu’à Kiev, avant de me rendre dans un éco-village à la campagne, où avait lieu le stage : un endroit beau et sûr.

À Kiev, malgré les dégâts visibles causés par les bombardements, la ville semblait fonctionner. J’ai eu la chance de ne pas être confrontée à des alertes aériennes durant mon séjour.

La plupart des personnes présentes durant la formation étaient des réfugiés ukrainiens venant des zones de combat. Beaucoup s’inquiétaient pour leurs proches restés dans les zones occupées ou au front. La tension était palpable, mêlée à une profonde résilience. L’une des participantes m’a témoigné son intérêt à suivre cette formation en permaculture pour des questions de sécurité alimentaire, pour des raisons évidentes au vu du contexte.

Starhawk donne un cours de « Permaculture sociale »

LR&LP : Vous aviez déjà été auparavant dans des zones de conflit…

Starhawk : Oui, j’ai été dans les territoires occupés de Palestine et à Gaza pendant la seconde Intifada, ainsi que dans des manifestations contre l’OMC ou le G8, comme à Gênes en 2000, qui ressemblaient parfois à des zones de guerre.

LR&LP : Comment la permaculture — et en particulier la permaculture sociale — peut-elle aider dans ce contexte ?

Starhawk : La permaculture, c’est un système qui vise à répondre aux besoins humains tout en prenant la nature comme modèle. Cela s’applique aux jardins, aux forêts, à l’agriculture, mais aussi aux systèmes humains : cela donne des clés pour organiser des groupes, favoriser la coopération, gérer les conflits et éviter les comportements destructeurs. En Ukraine, la question de fond de savoir comment vivre et travailler ensemble, prenait un sens tout particulier en contexte de guerre.

Les femmes étaient majoritaires durant ce stage. En général, dès qu’il s’agit de psychologie, de spiritualité, d’émotions, ça se passe comme ça. Les hommes présents étaient réfractaires à partir au front : ils avaient fait le choix de s’investir au sein de leur famille et pour la régénération des terres, sans pour autant céder à Poutine.

Formation de permaculture à la ferme « Our Ecovillage » en Colombie Britannique

LR&LP : Pensez-vous qu’un dirigeant comme Poutine puisse changer en suivant un cours de permaculture ?

Starhawk : (rires) Je doute qu’un simple stage transforme quelqu’un dont le but est d’accumuler pouvoir et richesse ! La permaculture permet de comprendre les relations d’interdépendance entre humains et entre écosystèmes. Ses trois principes éthiques sont : prendre soin de la Terre, des liens et du futur — ce qui implique de ne pas s’accaparer plus que sa juste part. J’aimerais que tous les milliardaires suivent un stage de permaculture. Je donnerais cher pour voir Donald Trump essayer de retourner un tas de compost !

LR&LP : Est ce que cette formation était un acte de résistance ?

Starhawk : Pour moi, c’était surtout un acte de soutien et de solidarité. Et c’était aussi une façon de me reconnecter à mes racines : mes grands-parents venaient d’Ukraine. Durant ce stage, nous avons co-créé un rituel. Les gens sont en quête de liens spirituels, surtout en période de guerre.

LR&LP : Quelle est votre définition de la spiritualité, et en quoi est-elle politique ?

Starhawk : Pour moi, la spiritualité n’est pas un dogme : c’est une posture de respect et d’émerveillement envers la nature et ses cycles. La politique, comme la spiritualité, touche à nos valeurs fondamentales. Si la gauche ne va pas sur le terrain de ces valeurs profondes, elle laisse le champ libre à l’extrême droite pour le faire, avec les dérives que l’on connaît.

LR&LP : Comment voyez-vous la montée des extrémismes ?

Starhawk : Nous vivons une période d’anxiété générale, aggravée par les dérèglements climatiques et leurs effets. La peur alimente le repli sur soi et la xénophobie. Pour autant, dans la réalité quotidienne, la diversité est une richesse, je le vois tous les jours dans mon travail avec des communautés variées y compris des peuples racines aux États-Unis où je réside.

LR&LP : Ne craignez-vous pas, dans vos rituels, des phénomènes d’appropriation culturelle ? Comment enseigner tout en respectant les traditions et cultures auxquelles vous empruntez ?

Starhawk : Certaines traditions appartiennent à une culture spécifique et ne doivent pas être sorties de leur contexte sans permission. Mais l’Europe a aussi ses racines autochtones, souvent oubliées ou dissimulées. Mon conseil : se renseigner sur ces cultures, et créer son propre lien à la nature où l’on vit, en se mettant à son écoute.

LR&LP : En ce début de mandat de Trump, dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Starhawk : C’est une période de deuil profond pour les progressistes. Pour être honnête, je m’attendais à une victoire de Kamala Harris. Le problème principal à mon sens vient de la désinformation et de la rareté des médias indépendants et grand public. La droite sait canaliser la frustration des classes populaires, alors que la gauche doit mieux comprendre et répondre à ses besoins.

LR&LP : Comment cultivez-vous l’espoir dans un tel contexte ?

Starhawk : Après l’élection de Trump, j’ai vu des gens se soutenir les uns les autres, renforcer leurs liens, conscients que nous aurons besoin les uns des autres. Cela me donne du courage.

Je suis en train d’écrire un livre, The Movement We Need, publié sur Substack, accompagné de podcasts, où j’explore des moyens de construire un mouvement progressiste plus inclusif, plus puissant et capable de répondre aux besoins humains fondamentaux de sécurité, d’appartenance, de reconnaissance, et de capacité d’agir. J’y parle de la puissance des rituels, qui permettent de créer du lien et un fort sentiment d’appartenance.

Chanter, danser, marcher ensemble : cela unit. On a pu le voir lors des mouvements anti-apartheid en Afrique du Sud, par exemple.

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