Depuis la rentrée 2022, l’instruction en famille (IEF) fait l’objet d’une demande d’autorisation préalable suite à la loi « séparatisme » de 2021. Si un régime dérogatoire assoupli était jusqu'alors autorisé, la rentrée 2024 a définitivement entériné la nouvelle règle, avec des critères flous et des décisions opaques. Face à ce changement radical, de nombreuses familles sont entrées en désobéissance civile et font l’objet de poursuites judiciaires. Une première victoire, cependant, leur a redonné espoir et pourrait bien faire jurisprudence.
L’école à la maison en procès
Florence est une maman de deux filles, âgées de 10 et 5 ans, vivant en Bretagne. Elle a fait le choix de l’IEF, en accord avec ses enfants, après avoir découvert des ateliers Montessori. Rapidement, suite au changement législatif, la famille décide de rentrer en désobéissance civile.
« Nous avons suivi tout le cheminement du vote de cette loi, c’était intense et compliqué. Ma fille aînée aurait pu avoir le plein droit, puisqu’elle avait des contrôles positifs. Mais nous n’avons pas voulu demander l’autorisation, avec ces nouveaux critères, et par honnêteté. Nous étions soulagés de ce choix, complètement en accord avec ce que l’on pensait », explique Florence pour La Relève et la Peste.
Un an et demi plus tard, la famille reçoit la visite de la gendarmerie. S’ensuit une mise en demeure, augurant donc un prochain procès, avec la particularité d’une évaluation de niveau de connaissances pour les filles de Florence. Pour l’aînée, qui est une enfant multidys (concernée par plusieurs troubles des apprentissages), le contrôle est difficile, pas adapté à son profil.
L’inspection académique déclenche alors une information préoccupante (IP) aux services sociaux, induisant deux ou trois rendez-vous pour vérifier que toutes les connaissances sont acquises.
« Or dans notre cas, ils n’ont pas évalué les connaissances propres de ma fille, mais les connaissances qu’eux recherchaient. Cette IP s’est donc déroulée de la même manière que l’évaluation, c’est-à-dire mal », continue Florence pour La Relève et la Peste.
L’inspection estime alors que la fille de Florence accuse un retard par rapport au niveau scolaire attendu et propose à la famille un accompagnement. Mais cette dernière le refuse.
« Nous étions à la recherche d’un bon orthophoniste que l’on ne trouvait pas, ils n’ont certainement pas cru le fait que nous souhaitions faire un suivi nous-même ».
Résultat, ce refus les mènent tout droit devant le juge pour enfants. Après une audience à laquelle Florence et sa famille n’ont pas pu assister, faute de moyens mis en place par la justice, il est décidé la mise en place d’une mesure judiciaire d’investigation éducative, soit une enquête sur trois ou quatre rendez-vous.
« Ils avaient l’air de comprendre la désobéissance civile »
Le procès, lui, arrive en janvier. « Nous avons décidé d’y aller comme la majorité des autres familles d’Enfance libre, en faisant nous-même notre plaidoirie. Mais dix jours avant, on nous a indiqué qu’un administrateur ad hoc avait été nommé d’office pour nos enfants », détaille Florence.
Florence et sa famille décident donc de prendre un avocat et de faire appel de la présence de l’administrateur. « Les noms des filles étaient inscrits dans la case des victimes. Je crois que c’était la partie la plus dure de voir leur nom, comme ça », confie Florence à La Relève et la Peste.
Après avoir reporté le procès de deux semaines suite à la réception d’une pièce envoyée par l’Éducation nationale le matin même, Florence se rend de nouveau au tribunal.
« Le procès a dû durer 30 minutes, quelque chose comme ça. Les juges étaient plutôt bien à l’écoute. Ils avaient l’air de comprendre la désobéissance civile. Même la plaidoirie du procureur n’était pas complètement en notre défaveur », dépeint Florence.
« Notre avocat a également fait une superbe plaidoirie, et l’avocate qui représentait l’administrateur n’a fait aucune demande supplémentaire, précise Florence. Nous n’avons pas eu le verdict tout de suite, mais fin mars. On nous a annoncé en 20 secondes que nous étions finalement relaxés. On nous a expliqué que l’on recevrait le motif par courrier, mais nous n’avons toujours rien reçu. Nous cherchons encore les différences avec les autres procès, car certaines familles nous paraissaient avoir des arguments solides », conclut Florence.
La question se pose donc aujourd’hui, pour Florence et sa famille, de la suite de cette décision. Pourront-ils continuer librement l’instruction en famille ? Une chose est sûre, Florence et ses filles resteront en désobéissance civile.
Florence et Alexis Godart, parents d’Alissa et de Mélina – Crédit : Enfance Libre
De nombreuses autres familles en difficulté
Mais le cas de Florence et sa famille reste, à ce jour, unique. De nombreuses autres familles du réseau Enfance Libre doivent aujourd’hui affronter des poursuites judiciaires et restrictions en tout genre. Caroline, par exemple, a vu ses aides de la CAF récemment supprimées.
« Comment aurais-je pu expliquer à mon fils en le déposant à l’école que je le reverrai ce soir et que je m’occupais de sa sœur aujourd’hui », commente la mère de famille. Après des recours administratifs acceptés pour la première année, l’an passé, la mère de famille décide de ne plus demander les autorisations et rentre alors en désobéissance civile.
« La seule chose concrète qui change pour les enfants, c’est qu’ils n’ont pas de contrôle pédagogique, et ils en sont ravis. Au petit, ils ont demandé les couleurs, les parties du corps. Ce n’était pas très compliqué. Par contre, pour les grands, il fallait se déplacer dans un collège. L’année dernière, ils se sont retrouvés, aux niveaux 6e et 4e, devant 4 profs. Même dans les conditions du bac, ce n’est pas ça. Il n’y avait aucune bienveillance. Ils ont eu peur et n’ont pas réussi à répondre aux questions », explique Caroline à La Relève et la Peste.
Rapidement, la famille est poursuivie selon l’article 227-17-1 indiquant le fait que, « pour les parents d’un enfant […] de ne pas l’inscrire dans un établissement d’enseignement, sans excuse valable, en dépit d’une mise en demeure ». Interrogée par les gendarmes, mais sans mise en demeure, les poursuites ont alors été abandonnées.
Début mars, cependant, la CAF appelle Caroline dans le cadre contrôle inopiné, sans aucun rapport avec la désobéissance civile selon elle. On l’informe alors qu’elle ne touchera plus les allocations familiales dans « l’intérêt supérieur des enfants ».
Si pour Caroline, le retrait de cette aide reste certes un coup dur mais dont la famille peut se passer, d’autres familles, elles, ont en revanche été dans l’obligation de scolariser à nouveau leurs enfants faute de moyens financiers. Grâce au réseau d’Enfance Libre, toutefois, les parents résistants ayant perdu ce genre d’aides peuvent bénéficier d’une cagnotte durant quelques temps.
Mathilde et Dorian, parents d’Owen, Livia et Mira – Crédit : Enfance Libre
Mathilde, enfin, a connu à ce jour deux procès, desquels elle a fait appel, et attend le troisième en septembre prochain, pour avoir « refusé d’inscrire ses enfants dans un établissement d’enseignement sans excuse valable en dépit d’une mise en demeure des services départementaux de l’éducation nationale ».
« Au dernier procès, le procureur s’est rendu compte qu’on allait certainement venir tous les ans. Après, nous risquons tout de même 6 mois de prison et 7500 euros d’amende chacun, il faut donc voir ce que cela peut donner dans le temps, confie-t-elle à La Relève et la Peste. Mais il est clair que j’aimerais vivre tranquille, sans cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. C’est juste dingue, parce qu’en fait, je veux juste m’occuper de mes enfants, sans déléguer leur éducation à quelqu’un d’autre ».
Aujourd’hui, comme pour beaucoup de familles, Mathilde se bat « pour pouvoir conserver le droit de faire l’instruction en famille ».
« On se bat aussi pour nos petits-enfants, si ils ou elles ont envie de faire l’instruction en famille. Parce que le problème, c’est que l’on risque de perdre ce droit-là. Dans quelques années, ça n’existera plus. Je suis en tout cas très contente de la relaxe de Florence et Alexis. Cela donne quand même beaucoup de poids et d’espoir pour utiliser leurs arguments, aussi, devant nos tribunaux. »
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