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Le géant allemand Bosch a fait changer le nom de 40 entreprises françaises

« Il n'y a pas d'obligation à déposer un nom, c'est une protection. Mais c'est aussi un risque, celui de heurter un monopole », avertit Marie Rouilleaux Dugage auprès de La Relève et La Peste.

Une mésaventure est arrivée à la micro entreprise toulousaine Botch face à la multinationale Bosch. Une histoire de marque qui touche nombre d'enthousiastes lesquels, par reconversion, passion, volonté de mieux faire et d'être indépendants se lancent dans l'univers (impitoyable) du business.

L’affaire avait fait réagir, début mars, lorsque Thomas Gras, co-créateur des vélos cargos Botch, expliquait au détour d’une interview à Ici Occitanie que le géant allemand Bosch lui cherchait des noises pour une histoire de nom. Les réactions ne se sont pas fait attendre sur le mode « C’est le pot de terre contre le pot de fer ! ».

En décortiquant les faits, on entre dans le domaine épineux du nom de marque et ses enjeux. Où l’on découvre qu’en la matière, en se débrouillant bien, on peut aussi s’en sortir comme David contre Goliath.

Bosch contre Botch

En 2020, trois passionnés de vélo, convaincus par l’économie solidaire, décident de monter leur petite entreprise de conception et fabrication de vélos cargos à base de matériaux récupérés. Un défi de fadas. Voilà le nom de la marque trouvée, puisque botch, en occitan catalan, signifie « pas raisonnable, fou ». Botch cargo bikes était né.

Cependant, ce n’est qu’en novembre 2024 que le trio entame les démarches pour enregistrer sa marque auprès de l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI). Peu après, la multinationale Robert Bosch GmbH déclenche une procédure d’opposition auprès de l’INPI. C’est à dire qu’ils demandent que soient retirées la marque et raison sociale de Botch.

« C’est un courrier recommandé reçu début janvier d’un cabinet d’avocats parisien qui nous a informé », expliquait Thomas Gras, le bien nommé « chef de la diplomatie » de Botch.

Il s’avère que Bosch Trademark, un département dédié de l’équipementier automobile, fabriquant d’électroménager et d’appareillage de chantier, est chargé spécifiquement de la protection de la marque partout dans le monde.

« L’INPI a dit que nous avons jusqu’au 7 mai pour nous adapter. Ensuite, ils trancheront, mais ne nous ont guère laissé d’espoir»

Bosch a déjà fait modifier 40 noms de marques françaises, même si celles-ci n’œuvraient pas du tout dans son secteur.

Botch a d’abord tenté de négocier une solution amiable. « Ils nous ont répondu qu’ils étaient évidemment d’accord pour qu’on retire la marque… Mais qu’on devait également cesser toute communication sous le nom de Botch et qu’ils nous laissaient un mois pour changer de raison sociale. C’est beaucoup trop court. »

Car il faut en effet refaire un logo, un site internet, mener les mêmes démarches (et donc, payer à nouveau) que lors de la création de l’entreprise. Ce que redoute Bosch, c’est le parasitage à cause de la consonance du nom plus que la concurrence.

Car, si Bosch fait aussi dans le cycle, c’est par le biais de moteurs électriques et équipements électroniques. Rien à voir avec les vélos cargos des fous occitans. L’idée même que l’entreprise toulousaine, qui a vendu 48 engins l’an dernier, puisse faire de l’ombre à l’Allemand aux 91,6 milliards d’euros de CA en 2023 est risible.

Mais pour l’Allemand, un texte est un texte et il n’est question ni de bon sens, ni d’humanité, ni de compréhension. « Déjà, nous avons obtenu 9 mois au lieu de 2 pour tout changer, c’est bien. », reconnaît Thomas Gras auprès de La Relève et La Peste.

L’équipe de Botch Cargo Bikes

Nom d’une marque !

L’identité de marque s’avère très importante pour une entreprise. Elle véhicule la « philosophie » de l’entreprise, ses convictions, ses goûts, comme s’il s’agissait d’une personne. C’est ce qui la rend identifiable, unique entre toutes. Une marque possède une valeur propre portée au bilan et cela compte dans l’évaluation d’une entreprise. Que l’on songe au prix de la simple virgule de Nike, par exemple…

C’est ce qu’explique Marie Rouilleaux Dugage, responsable du département des marques à l’INPI, que La Relève et La Peste a contacté afin qu’elle nous guide dans les méandres du code de la propriété intellectuelle, plus précisément sur l’article L 711.3.

« Déposer une marque (un nom accompagné d’un logo et d’un signe distinctif), et renouveler ce dépôt tous les 10 ans, permet de distinguer les produits d’une entreprise de ceux de ses concurrents. Il est consigné à l’INPI au titre de la propriété industrielle. Cela donne à l’entreprise un droit exclusif sur ce nom et lui permet de se défendre contre ceux qui voudraient se lancer dans la contrefaçon. »

Bien reçu : en Occitanie, le cas du célèbre couteau Laguiole dont le nom n’a jamais été déposé est dans toutes les têtes, et les contrefaçons en plastique colorés sur tous les étals.

La marque déposée est un titre de propriété exclusif qui donne un monopole à l’entreprise, c’est pourquoi il y a des conditions au dépôt d’une marque. Notamment, l’appellation doit être disponible, ce qui devient difficile alors qu’il y a près d’un million de noms enregistrés auprès de l’INPI et près de 90 000 nouvelles marques déposées chaque année.

« Il n’y a pas d’obligation à déposer un nom, c’est une protection. Mais c’est aussi un risque, celui de heurter un monopole », avertit Marie Rouilleaux Dugage auprès de La Relève et La Peste.

Dans le cas d’une demande d’opposition à l’enregistrement ou d’une requête en annulation, l’INPI doit apprécier le risque de confusion par rapport aux ressemblances qui existent aux niveaux visuel, phonétique et intellectuel. Marie Rouilleaux Dugage admet que ce n’est pas une science exacte, que statuer sur la façon dont « sonne » Botch et Bosch est subjectif.

Mais elle tempère : « 30 % des cas se règlent à l’amiable sur les 4 à 5 000 demandes d’opposition reçues chaque année. » Même si c’est une grosse entreprise contre une PMI.

Le Canard Enchaîné du 4 décembre dernier racontait comment Lacoste s’en était pris aux Ateliers de Nîmes dont le logo est un crocodile sous un palmier. Ce gros lézard étant inspiré d’une monnaie romaine du 1er siècle… Lacoste a depuis passé un accord avec les Ateliers et le crocodile nîmois peut continuer à marquer des jeans. Les demandes en nullités, quant à elles, concernent environ 450 cas par an.

Le logo des Ateliers de Nîmes avait d’abord provoqué les foudres de Lacoste

Au finish, pas de fatalité

Alexandre Lagrange cofondateur de Aemotion/EV4 France avait contacté Thomas Gras pour partager son expérience. Son entreprise travaille sur des véhicules intermédiaires, entre le vélo et la voiture, à assistance électrique.

« Nous avons été sensibilisés assez tôt, par le biais de la chambre des métiers et de l’artisanat. On nous a conseillé alors de faire le dépôt de marque (cela coûte quelques centaines d’euros). En 6 ans, nous avons quand même été confrontés trois fois à des demandes d’opposition. Nous avons préféré nous faire accompagner et nous avons conclu un accord avec obligation de confidentialité avec ces entreprises. »

Pour Aemotion, pas de mauvaise expérience donc, mais Alexandre explique que le milieu des véhicules est à cheval sur la propriété intellectuelle depuis très longtemps. « Vu les enjeux, ils sont très organisés et sur le qui-vive. »

Et de citer cette anecdote : l’emblématique Porsche 911 devait s’appeler 901, mais suite au procès intenté par Peugeot (on était en 1963) qui revendiquait l’antériorité du « 0 » entre 2 chiffres, Porsche a cédé !

Robin Gabuthy, cofondateur d’Ellipse Bikes a lancé sa marque en 2020 par le biais du e-commerce. Puis, comme il avait la volonté d’être distribué en Europe à partir de 2022, il a décidé de déposer sa marque.

Cela lui a été refusé par un grand fabriquant néerlandais de vélos, à cause d’un de ses modèles vieux de 10 ans baptisé Eclipse. Pourtant, la petite entreprise avait bien fait ses devoirs avant le dépôt de marque, en consultant les registres à disposition en France et en Europe.

« Ils ne voulaient rien savoir. Par chance, il existe cette disposition qui dit que, quand une marque n’a pas été utilisée pendant cinq ans, on peut en demander le retrait. » Au final, ce petit Poucet à obtenu de l’ogre qu’il ne s’attaque plus à Ellipse.

Pas de fatalité quand on est bien préparé, disent ces témoins, tout en ayant bien conscience de l’envie des jeunes entrepreneurs de se jeter tout feu tout flamme dans l’aventure. Reste les vers de Shakespeare, peuvent-ils consoler Botch ? « What’s in a Name ? Ce que nous appelons rose, sous un autre nom, sentirait aussi bon.* » ou, ce qui compte, c’est le vélo derrière le nom, le reste n’est que convention.

* Juliette, dans Roméo et Juliette

Valérie Lassus

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