Courant 2022, Nestlé annonce sa feuille de route « zéro émissions nettes ». Pour le site Purina de Veauche (Loire), qui produit de la nourriture pour chat, ce plan de décarbonation prévoit le remplacement de deux chaudières gaz par des chaudières bois énergie. Face à l’ampleur de l’exploitation des forêts alentour, les salariés s’y opposent. Le documentaire Le Nid et l’Oiseau, réalisé par Ewen Barraud, revient sur la victoire du syndicat Printemps écologique. Un succès porteur d’espoir qui pourrait devenir un exemple.
C’est « la vitrine d’une fausse décarbonation qui va impliquer une destruction massive de notre environnement ». A l’annonce du projet, Frédéric Madelon, dit Fred, informaticien et automaticien de l’usine, est consulté. Il se lance dans des recherches pour comprendre quelles en seront les conséquences.
Une énergie qui fait débat
Le bois énergie est une énergie renouvelable dont l’impact carbone est largement inférieur aux énergies fossiles. Selon les chiffres du Ministère de la transition écologique, le bois granulé émet 0,027 kgCO2e/kWh et le bois bûche 0,032 kgCO2e/kWh, bien en deçà des émissions du gaz naturel, 0,243 kgCO2e/kWh, jusqu’alors utilisé par l’usine.
La problématique de ce type de combustible réside dans les ressources nécessaires pour approvisionner les chaudières, qui implique la destruction des puits de carbone et des réservoirs à biodiversité que sont nos forêts.
Les estimations des ressources dont aura besoin l’usine ne tardent pas à arriver. Elle brûle 800 m2 de gaz par heure pour stériliser ses produits. La conversion en consommation de plaquettes de bois est vertigineuse. Il en faudrait 20 000 tonnes par an, soit l’équivalent de la surface d’un terrain de foot par jour. La conclusion est rapide, « nos espaces naturels ne peuvent pas répondre à ce besoin » analyse Fred.
Crédit photo : Aoya Ann Miller
Nestlé tente d’atténuer l’empreinte écologique du projet. Le bois utilisé proviendra d’un rayon de 100 kilomètres autour de l’usine. L’entreprise s’engage à replanter des haies et des arbres. « Pour nous, c’était du greenwashing » balaie Fred.
Le Printemps écologique comme syndicat
C’est là qu’Alexandre Joly, dit Alex, technicien métrologie, entre en jeu. Fort de ses 7 années de syndicalisme et de son ancienneté au sein du groupe Nestlé, il va former, avec Fred, un duo « très complémentaire » selon ses mots.
Fred se rapproche du syndicat Printemps écologique, dont l’objectif est de transformer l’intérieur du monde du travail pour l’adapter aux enjeux environnementaux. Ses deux créateurs partent d’un constat simple, « pour s’adresser à la direction, il faut pouvoir être mandaté par ses collègues, et donc pouvoir les représenter, pouvoir être légitime. On a décidé de constituer un éco-syndicat » explique Armand Blondeau co-fondateur du Printemps écologique.
Tous trois commencent à travailler sur le sujet. Le Printemps écologique demande une première expertise à son partenaire, le collectif d’étudiants dans les grandes écoles d’ingénieurs ou de sciences politiques Pour un réveil écologique, qui va apporter un point de vue technique à la lutte.
Construire une alternative au projet
Ensemble, ils construisent un plaidoyer autour de l’usage de la chaleur dans l’usine et les possibilités de réduction de la consommation énergétique. Certains changements apparaissent « facile à mettre en place » : « en isolant les tuyaux », en évitant «les fuites de vapeur».
Le bâtiment a des « besoins assez simples en basse température donc ils peuvent être électrifiés » précise Dan Meller, membre du collectif Pour un réveil écologique. Grâce à cette expertise, le groupe de travail écrit un rapport avec des propositions alternatives pour décarboner la production.
Présenter ce rapport et être entendu par la direction locale et nationale de Nestlé nécessite d’avoir l’appui des autres salariés de l’usine. Alex et Fred lancent une pétition, les autres syndicats se joignent au mouvement, presque tous les salariés, hors direction, la signent. Le combat est lancé.
Convaincre la direction
La démarche syndicale commence à être prise au sérieux par les dirigeants. Fred est convié sur l’un des sites d’Idex, l’entreprise fournisseur en bois énergie. Il en ressort marqué, « sur 35 hectares, il ne reste plus rien », la totalité des arbres a été arrachée. Selon ses calculs, ces coupes représentent seulement une semaine d’approvisionnement pour l’usine.
Après cette visite, Fred et Alex sont reçus par leur direction. « J’ai toujours eu l’impression que l’on était entendus. Le dialogue social a toujours été présent » entre dirigeants et salariés, explique Alex.
Pourtant, une semaine plus tard, les deux comparses tombent des nues. Est inscrit à l’ordre du jour du prochain CSE (comité social et économique) de l’entreprise en juillet, le lancement de la chaudière biomasse. Le mois de juillet, à l’heure des vacances, moment de l’année durant lequel le moins de représentants syndicaux sont disponibles.
Alex nous confie : « Il y a eu des coûts bas, mais qui ne venaient pas du management de l’usine. Cela venait de plus haut ». Plus tard, il comprend que la pression est mise par la direction nationale, voire européenne.
Siéger au CSE
Il faut gagner du temps, Alex demande au secrétaire CSE de l’époque de ne pas signer l’ordre du jour. Ce qui permet au duo de se concentrer sur les élections professionnelles pour être partie prenante du CSE.
Dans leur profession de foi, ils balaient plus large que leurs revendications écologistes, les maîtres mots : « écologie, conditions de travail, justice sociale ». Le Printemps écologique fait carton plein, raflant les sièges titulaires et suppléants sur les collèges cadres et agents de maîtrise.
Chaque CSE dispose d’un budget pour des expertises sur des projets de l’entreprise. L’éco-syndicat décide de l’utiliser pour financer une étude du cabinet de conseil de Jean-Marc Jancovici : Carbone 4.
« On veut quelqu’un qui va être écouté par la direction. Carbone 4 sait parler à des directions et travaille, en général, pour des directions et pas pour des représentants du personnel » explique Armand Blondeau.
L’expertise Carbone 4
Michael Margo, senior manager responsable de Pôle Carbone 4 et spécialiste sur le conseil en énergie, met en lumière les limites économico-écologiques du projet, prenant en compte les perspectives et frein au développement du bois énergie en France.
La Stratégie national bas carbone inclut l’utilisation de bois dans divers types de produits, des constructions, des isolants. « On a besoin de bois de partout. On a beaucoup de demande, et on a besoin qu’il y en ait beaucoup sur pieds » pour stocker le CO2 au sein des puits de carbone que sont nos forêts, analyse Michael Margo, senior manager responsable de Pôle Carbone 4 spécialiste sur le conseil en énergie.
L’objectif est donc de prioriser les entreprises et secteurs qui sont dépendants de cette matière première. « Les usages basses températures (dont l’usine Purina fait partie) sont tout en bas du merit order », traduction, ils ne sont pas prioritaires selon Michael Margo.
Le cabinet de conseil préconise une optimisation des usages énergétiques de l’usine. Cette dernière a besoin de carburant pour stériliser les boîtes de nourritures à 165-170 degrés, puis pour les surgeler.
« Aujourd’hui on est linéaire, on chauffe à bloc et on refroidit à bloc, l’objectif est de créer un système circulaire avec la récupération d’énergie résiduel récupéré à toutes les phases du processus de refroidissement » indique Fred. Carbone 4 a la solution, la mise en place de pompes à chaleur haute température.
La victoire du Printemps Écologique
Nestlé annonce finalement renoncer aux chaudières à gaz. Tout reste à faire pour décarboner le site et mettre en place les alternatives prônées par le Printemps écologique. « On peut devenir une usine pilote pour des pompes à chaleur industrielles de haute température. L’idée c’est de se transformer pour être une vitrine industrielle pour le groupe, » se réjouit Fred.
Pour Alex, cela offre l’espoir de pouvoir « infléchir les positions d’une grosse entreprise sur des dynamiques négatives, notamment pour promouvoir des alternatives bien plus vertes que la biomasse »
« Cette victoire prouve que l’éco-syndicalisme est un levier puissant pour structurer des solutions durables face aux fausses alternatives industrielles. Elle ouvre une voie nouvelle : intégrer pleinement les enjeux écologiques dans les négociations syndicales et peser dans la transition énergétique » conclut Anne Le Corre, cofondatrice du Printemps Écologique.
Le Printemps écologique, fondé en 2020, connaît là une victoire qui pourrait servir d’exemple pour les luttes écologiques, sociales et syndicales de demain.