Protégée à l’échelle européenne depuis les années 1970, la grue cendrée, l’un des plus grands oiseaux d’Europe, investit les parcs naturels de Camargue, de Lorraine ou encore de la Marne durant les périodes hivernales. Symbole d’une politique de préservation réussie.
Dans les zones humides la nuit, loin des nuisances humaines, la grue cendrée s’envole vers les champs céréaliers en journée pour y trouver sa nourriture. Craintive et particulièrement exposée à la prédation en raison de sa taille – de 1,10m à 1,30m de hauteur pour une envergure comprise entre 1,90m à 2,30m – elle a été classée comme espèce vulnérable jusque dans les années 1990.
Cet oiseau connaît depuis un essor considérable. Entre 52 000 et 80 000 couples vivaient en Europe il y 30 ans, ils sont aujourd’hui plus de 200 000. La Tour du Valat, institut de recherche pour la préservation des zones humides, en a recensé 39 800 hivernant sur 19 sites de Camargue en janvier 2025.
Une politique de protection réussie
L’espèce est entièrement protégée sur le territoire français depuis 1976. Elle est également inscrite à l’Annexe I de la Directive OIseaux (1979) qui engage les Etats européens à prendre des mesures pour la conservation de « toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen » ; et à l’Annexe II de la Convention de Berne (1982) qui liste les « espèces de faune strictement protégées ».
Ces politiques de protection ont porté leurs fruits. Selon la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) Champagne-Ardenne, les effectifs de grues cendrées transitant par la France étaient proches de zéro au début des années 1980, et ont bondi à 400 000 individus en 2023. Une même dynamique est observée en ce qui concerne le nombre d’hivernants en France, proche de zéro en 1980, et environ 170 000 en 2023.
L’augmentation des populations est également liée à la protection des milieux humides qui offrent une « tranquillité dans des zones protégées ou très peu chassées et où la nourriture, dans les rizières ou les champs de blé, est abondante » explique Thomas Blanchon, chercheur à la Tour du Valat, pour La Relève et La Peste.
La France est contractante de la convention de Ramsar depuis 1986, traité qui engage les États cosignataires à conserver et à utiliser durablement les zones humides, notamment pour protéger les populations d’oiseaux qu’elles abritent.
Grues cendrées – Crédit : Peter Rohrbeck / Wikimedia Commons
De nouvelles voies migratoires
« L’augmentation des populations crée une recherche de nouvelles zones habitables et nourricières pour les grues cendrées » précise Thomas Blanchon pour La Relève et La Peste.
Les populations nichent principalement en Europe de l’est et du nord, qui offrent des étendues sauvages et calmes pour leur reproduction. En hiver, elles descendent vers le sud de l’Europe et le nord de l’Afrique pour un climat plus tempéré.
Une nouvelle voie de migration s’est développée « au sud des Alpes. Celles des pays scandinaves, les polonaises de l’ouest et les allemandes descendent par la France, en transitant par le lac du Der (Marne), puis vont hiverner en Espagne. »
De plus en plus de grues passent la totalité de la saison au sein de ce lac, y trouvant nourriture et températures adéquates.
Les individus des pays baltes migrent en Espagne, en Afrique de l’est et au Proche-Orient (Israël, Liban…). Une partie s’arrête dans une énorme zone humide en Hongrie, le parc naturel de Hortobágy. A partir de ce point central pour leur migration, certaines bifurquent désormais vers l’Europe de l’ouest, la Camargue et l’Espagne notamment, d’autres se rendent en Tunisie ou en Algérie.
« Cette nouvelle voie nous a envoyé un maximum de nouveaux individus. Avant, les grues ne passaient pas par la Camargue et ne pouvaient pas deviner qu’il y avait des zones attractives » analyse Thomas Blanchon pour La Relève et La Peste.
Ces arrivées hivernales en constante augmentation obligent les agriculteurs à s’adapter. Venant s’alimenter dans les champs céréaliers, des techniques d’effarouchage, notamment sonores, sont mises en place pour effrayer les oiseaux.