Les associations Environmental Justice Foundation (EJF) et Défense des Milieux Aquatiques (DMA) saisissent le Conseil d’État pour obtenir l’interdiction du chalutage de fonds dans les aires marines protégées (AMP) de Chausey (archipel normand) et de Bancs des Flandres (mer du Nord).
« La pêche est en train de crever et on continue ». Philippe Garcia, président de Défense des Milieux Aquatiques (DMA), tire la sonnette d’alarme. En France, le chalutage de fonds est encore pratiqué dans 77% des réserves marines Natura 2000.
Cette technique de pêche, pratiquée par une minorité de navires, racle les fonds marins en déployant d’immenses filets, détruisant les « habitats de reproduction de la biodiversité et les zones sources pour la pêche » rappelle l’avocate Raphaëlle Jeannel lors de la conférence de presse.
« La situation dans les deux sites ciblés par le recours est emblématique des défaillances de l’État en matière de protection du milieu marin sur l’ensemble du territoire français » selon les associations.
Violation du droit français et européen
Au total, sur les 565 AMP qui couvrent 33 % de la zone économique exclusive française, seules 1,6 % sont considérées en protection intégrale ou haute. Sur les 5 dernières années, environ 200 000 heures de chalutage ont été effectuées au sein des aires marines protégées françaises d’après Environmental Justice Foundation (EJF) et Défense des Milieux Aquatiques (DMA).
Pourtant, selon la Commission européenne, les AMP sont des zones de protection « stricte », dédiées à la restauration et la protection de la biodiversité où le prélèvement des ressources naturelles et minérales est interdit ou minime.
Un décret du 12 avril 2022 inscrit au Code de l’environnement précise qu’une zone géographique protégée ne doit pas être soumise à des « activités activités humaines susceptibles de compromettre la conservation des enjeux écologiques […] grâce à la mise en œuvre d’une protection foncière ou d’une réglementation adaptée, associée à un contrôle effectif des activités concernées. »
« Le chalutage de fonds est en contradiction avec les engagements juridiques de la France en matière de conservation de la biodiversité et de protection des AMP », déclare Raphaëlle Jeannel.
Philippe Garcia, président de Défense des Milieux Aquatiques, devant le Conseil d’État – Crédit : Alex Raduan
Destruction des Aires Marines Protégées
« Tous les indicateurs sont dans le rouge » avertit Philippe Garcia, « La taille des poissons baisse. On a un effondrement des gros prédateurs. L’âge de maturité diminue ».
Selon l’ONG Bloom, au 5 février 2025, le chalutage dans les aires marines protégées en France métropolitaine a déjà détruit 7161 km2 depuis le début de l’année. L’abrasion des fonds marins est causée à 90% par les grands chalutiers d’après les chiffres de l’organisation.
Ces bateaux sont également responsables de 84% des débarquements issus de stocks surexploités et de 57% des émissions de CO2, détaille Bloom. Pourtant, les chalutiers industriels, captent, à eux seuls, 55% des subventions publiques, quand la pêche côtière, qui est largement majoritaire, n’en reçoit que 16%.
L’économie liée à la pêche s’effondre
« Les politiques actuelles privilégient le profit à court terme et la surexploitation, laissant les écosystèmes se dégrader et les pêcheurs sans perspectives claires pour l’avenir. La durabilité des pêcheries dépend de la santé des écosystèmes marins et, sans action efficace, c’est l’avenir de toute la filière qui est compromis » alerte Philippe Garcia.
La flotte de pêche nationale est composée à 86 % de navires de moins de 12 mètres, à 11 % de bateaux mesurant entre 12 et 24 m, et à 3 % de plus de 24 m. Parmi les navires en activité, 71 % utilisent des engins de pêche passifs, artisanaux.
Le nombre d’emplois a reculé de 15 % par rapport à 2011. Seulement 9292 pêcheurs seraient en activité aujourd’hui. « Plus le bateau est grand, moins il crée d’emploi », synthétise Harold Levrel, professeur d’économie écologique à AgroParisTech et co-auteur du bilan.
Lire aussi : Les aires marines protégées sont toujours victimes de la pêche industrielle en Europe – Crédit : Fred TANNEAU / AFP
Des pêcheurs artisanaux « tétanisés »
En mai 2024, Caroline Roose, ancienne eurodéputée écologiste, nous expliquait être « allée à la rencontre des pêcheurs artisanaux, et ils me disent qu’ils ne sont absolument pas entendus, ni écoutés par le Comité national des pêches. Ils sont en mer quand il y a les votes (pour les élections syndicales). »
Les élections ne totalisent, au maximum, que 20% de votants sur l’entièreté des inscrits.
Les pêcheurs sont « tétanisés » explique Philippe Garcia. Ce sont les Comités de pêche qui attribuent les autorisations et quotas pour chaque bateaux, contredire leur présidence, c’est « risquer de ne plus avoir de travail ».
La sénatrice Les Écologistes Mathilde Ollivier va déposer une proposition de loi pour la protection des AMP et la protection de la pêche artisanale qui sera débattue en juin prochain, pendant la troisième Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC 3) qui se tiendra à Nice. « Nous avons cinq mois pour répondre à cet objectif, pour agir et pour faire de la France un pays à la hauteur » conclut-elle.