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Quitter X : reprendre le contrôle des réseaux sociaux

« Les réseaux des GAFAM présentent désormais un risque systémique pour les démocraties, il faut en sortir collectivement », explique le mathématicien, chercheur au CNRS et spécialiste des réseaux sociaux, David Chavalarias

C’est l’eXode. Le 20 janvier, jour de l’investiture de Donald Trump aux Etats-Unis, nombreux sont celles et ceux qui ont quitté définitivement X (anciennement Twitter). En cause : la mainmise du milliardaire Elon Musk qui amplifie la désinformation et cautionne la haine en ligne. Un pas vers une meilleure hygiène numérique alors que nous sommes devenus dépendants de réseaux sociaux détenus par des multinationales toutes-puissantes.

X, le grand départ

De nombreuses institutions, collectivités, universitaire, médias, associations, politiques et personnalités publiques ont choisi de quitter X (anciennement Twitter). Parmi les médias faisant sécession : TheGuardian, l’espagnol La Vanguardia, LeMonde, les groupes de journaux régionaux Ouest-France et Sud Ouest ou encore Mediapart. En cause : un climat toxique pour la démocratie depuis son rachat par Elon Musk en 2022.

« Cette réalité est un frein majeur à nos missions : informer, alerter, et éclairer le débat public. Cette plateforme agit comme un poison, à un moment où nos sociétés devraient au contraire trouver des espaces d’échanges pour s’accorder sur les moyens de faire évoluer nos modes de vie en profondeur pour faire face au changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité » expliquent ainsi les chercheurs qui désertent à l’initiative d’une tribune publiée dans le NouvelObs

Parmi les frasques du milliardaire américain Elon Musk : le nouveau PDG a modifié les algorithmes de X pour que ses tweets soient vus en premier par le plus grand nombre, participé à alimenter des campagnes de cyber-harcèlement contre d’anciens modérateurs de Twitter. Il a réhabilité des comptes anciennement bannis comme celui du masculiniste Andrew Tate, récemment arrêté en Roumanie pour trafic d’êtres humains, et de Donald Trump dont il a activement soutenu la campagne présidentielle en échange d’un poste au gouvernement étasunien.

C’est pourquoi une équipe de chercheurs du CNRS a lancé la plateforme « HelloQuitX » permettant la migration rapide et gratuite de toutes les données d’un compte aujourd’hui hébergé sur X vers un compte Buesky et/ou Mastodon.

« Les réseaux des GAFAM présentent désormais un risque systémique pour les démocraties, il faut en sortir collectivement », explique le mathématicien, chercheur au CNRS et spécialiste des réseaux sociaux, David Chavalarias, dans un grand entretien à Ouest-France. « On est face à un problème de convention sociale : tout le monde est sur X… parce que tout le monde est sur X, ajoute-t-il. À l’heure où X est instrumentalisé jusque dans l’algorithme par Elon Musk à des fins politiques, il est temps de changer de convention. »

En 2024, six millions de personnes en France se connectaient chaque jour sur le réseau social d’Elon Musk, dont deux tiers d’hommes. Si quelques personnalités politiques françaises, principalement de gauche, ont décidé de quitter X, les départs sont encore trop timides pour ceux qui ont pris l’habitude de remplacer les communiqués de presse par des tweets.

La « broligarchie », machine à désinformation contre l’Europe

Or, après « Make America Great Again », ce sera au tour de « Make Europe Great Again » ainsi que l’a partagé sur X Elon Musk. Les aspirations de Donald Trump à prendre possession du Groenland ou les tweets d’Elon Musk appelant à un changement de régime au Royaume-Uni sont les manifestations les plus évidentes de leurs ambitions géopolitiques.

X fait déjà l’objet de plusieurs enquêtes européennes pour s’assurer que le réseau social respecte le Digital Services Act (DSA), le règlement historique de l’UE sur la modération des contenus en ligne, en vigueur depuis le 17 février 2024. Au regard du droit européen, X se doit notamment de protéger la liberté d’expression, respecter le pluralisme des médias, et modérer les contenus toxiques.

Malgré cela, Elon Musk s’implique activement depuis quelques semaines dans la campagne du parti d’extrême droite AFD, en vue des élections fédérales allemandes qui auront lieu le 23 février. Ce soutien a commencé par le « tweet » suivant : « Seul l’AFD peut sauver l’Allemagne ». Il a été suivi d’une interview de plus d’une heure sur X de la dirigeante de l’AFD Alice Weidel. Quelques temps avant, il avait appelé à la libération d’une figure de l’extrême-droite britannique, Tommy Robinson, tout en réclamant la démission du Premier ministre britannique, Keir Starmer. Une ingérence directe sur les démocraties européennes.

« En septembre dernier, le vice-président J. D. Vance a dit en que si l’UE légifère sur X, les USA se retiraient de l’OTAN… On voit bien en quoi X est un véritable outil géopolitique » rappelle Magali Payen, fondatrice du mouvement onestprêt, pour La Relève et La Peste

Et Facebook est loin d’être plus vertueux. Une enquête réalisée par Amnesty International a révélé comment les algorithmes de Facebook ont promu la haine contre les Rohingyas, contribuant aux atrocités commises par l’armée du Myanmar en 2017. Le chercheur du CNRS Paul Bouchaud a également démontré comment la propagande prorusse a inondé Facebook de messages politiques visant à influer l’opinion publique sur la guerre en Ukraine.

Face à la menace, d’autres pays ont déjà réagi. La Cour Suprême brésilienne a suspendu X d’août à octobre 2024 au nom de la lutte contre la désinformation. En plus du versement d’une amende de 4,8 millions d’euros, le Brésil a obtenu la suppression de comptes soupçonnés de disséminer de fausses informations, ainsi que la nomination d’un nouveau représentant légal de X au Brésil.

Le Sénégal, lui, a annoncé vouloir créer une nouvelle autorité de régulation des médias et des réseaux sociaux d’ici à la fin d’année. Reste donc à savoir quelle position vont adopter les États européens face à la menace d’ingérence des géants du numérique dans leur vie politique ? Vont-ils se plier aux menaces des Etats-Unis sur les droits de douane ou s’inspirer du Brésil ?

De surcroît, alors qu’il vient de mettre fin au fact-checking au profit de « notes de communautés », Mark Zuckerberg a effectué un demi-tour radical après des années d’opposition à Trump en rejoignant les rangs de la « broligarchie », une expression popularisée par Martine Delvaux, écrivaine québécoise, dans une tribune publiée dans Libération.

« Ces avocats, hommes d’affaires, investisseurs, banquiers, stars de la télévision et, surtout, milliardaires et multimillionnaires défendront, avec [Donald Trump], l’individualisme et le fantasme du self-made-man, contre l’État profond (une thèse complotiste, ndlr). Ces bros, qui jouent au golf, à la finance, à la tech et au sexe, se protègent les uns les autres. Peu importent les crimes dont ils sont accusés ou dont ils ont été coupables, le pouvoir est désormais entre leurs mains. Ou à l’intérieur de leur poing, viril, brandi vers le ciel. »

Jeff Bezos (Amazon, Blue origin, Washington Post), Sam Altman (OpenAI) et Mark Zuckerberg (Meta) ont tous les trois sponsorisés la cérémonie d’investiture du président Donald Trump. Et leur influence se fait déjà sentir. La semaine dernière, sur Instagram (propriété de Meta avec Facebook, Whatsapp, et Messenger), le #democrat a été censuré plusieurs heures, tandis que les contenus politiques sont ouvertement invisibilisés par les algorithmes.

Car le projet de cette nouvelle droite techno-libertarienne est clair : remplacer l’État par des structures privées sous contrôle d’une oligarchie. Au nom de la liberté d’expression, Musk et consorts veulent abolir tout type de modération, d’abord sur les plateformes numériques, et dorénavant dans les institutions politiques.

Crédit : Paul Bouchaud / ISCPIF-CNRS

Reprendre le pouvoir sur l’information

Ce sont donc tous les réseaux sociaux détenus par des milliardaires qui posent des soucis déontologiques et démocratiques, quand les campagnes de harcèlement en ligne pullulent parfois directement contre des scientifiques renommés, à l’instar de Valérie Masson-Delmotte.

« L’absence de modération et le paramétrage des algorithmes y favorisent la prolifération des contenus haineux et la circulation de théories complotistes et climatosceptiques. Par ailleurs, X a été le théâtre de campagnes de cyberharcèlement orchestrées par l’extrême droite dans de nombreux pays, dont les Etats-Unis et la France » rappelle un collectif de 86 associations françaises quittant X à l’appel d’Emmaüs France.

YouTube, détenu par Alphabet, la maison-mère de Google, et LinkedIn (détenu par Microsoft, créé par Peter Thiel, milliardaire président de Palantir Technologies et premier soutien de Trump), récemment condamné à 310 millions d’euros d’amende pour enfreinte au règlement européen sur les publicités ciblées, n’échappent pas à la règle. Aux Etats-Unis, les recherches internet pour quitter les réseaux sociaux des GAFAM ont fortement augmenté. Côté français, d’après un sondage Harris/Pulse, 71 % des Français estiment qu’ils pourraient se détourner ou boycotter les réseaux de Meta.

« Notre propos est de privilégier Bluesky et Mastodon dans nos publications. On veut investir ces nouveaux espaces démocratiques qui permettent un dialogue pluraliste où les personnes sont propriétaires de leurs données » explique Magali Payen, fondatrice du mouvement onestprêt qui co-organise la campagne HelloQuitX, pour La Relève et La Peste

Bluesky reprend quasi à l’identique l’interface de Twitter dont il est issu. Son objectif est de créer un réseau social qui sera à terme décentralisé pour permettre, à terme, aux utilisateurs de changer d’hébergeur à tout moment et aux plateformes qui l’utilisent d’être interopérables. Ce premier février, Bluesky a franchi la barre des 30 millions d’utilisateurs et 1 milliard de publications. Mais si jamais un magnat de la tech venait à le racheter, comment garantir son éthique ?

Mastodon, pensé et conçu comme un bien commun, se veut plus éthique. Il a été créé il y a huit ans par Eugen Rochko, alors jeune Allemand encore à l’université. Eugen Rochko a récemment déclaré son intention « de transférer sa propriété personnelle des marques et des actifs de Mastodon, y compris les droits d’auteur sur mon code, à l’association à but non lucratif Mastodon ». La structure souffre cependant de son manque de financements pour prendre plus d’ampleur. En 2023, Mastodon a récolté 545 000 euros de dons sur lesquels reposent la quasi-entièreté de son budget, comme le précise notre confrère Bastamag. La plateforme cherche à sécuriser sa pérennité à travers la création d’une fondation dédiée.

En attendant la régulation des empires numériques que sont devenus les réseaux sociaux, ce sont donc aux citoyens de décider pourquoi et comment ils ont accès et propagent l’information. Préférer un fil d’actualité régi par des algorithmes, c’est déléguer son pouvoir de décision à une IA sur ce que l’on apprend.

« Ces plateformes fonctionnent selon les règles d’un État failli. S’y exerce une prédation sauvage de notre attention à des fins mercantiles. Il en résulte une sélection par le pire : une forme de méritocratie inversée où l’égotisme, le mensonge et l’outrance l’emportent par défaut sur la modestie, la vérité et la nuance. Il n’y a rien d’étonnant à ce que les seigneurs de la bêtise humaine y prospèrent » résume Arthur Grimonpont, ingénieur et auteur du livre « Algocratie »

La Relève et La Peste, comme nombre d’autres médias, a fait le choix de quitter X. Si nous restons présents pour l’instant sur d’autres plateformes, nous encourageons nos lecteurs à s’abonner à notre newsletter, le seul outil numérique qui vous garantit une presse indépendante.

 

Laurie Debove

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