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Joseph Lofhtouse fait pousser des melons en pleine terre dans des conditions extrêmes

Ayant reçu et testé des milliers et des milliers de graines, Joseph n’a pas conservé minutieusement toutes les histoires et les origines de ses semences. Pour lui, l’important réside dans le temps présent et la diversité. Une plante, comme tout organisme, est vivante parce qu’elle peut s’adapter, évoluer, et ne reste pas figée dans un certain état.

Dans l’Utah, Joseph Lofthouse réussit l’exploit de cultiver fruits et légumes dans un environnement inhospitalier. Sa méthode : l’agriculture d’adaptation grâce à laquelle il crée des variétés adaptées à son écosystème en hybridant des semences paysannes, dites variétés populations. Son histoire est une ode à l’expérimentation et à la diversité.

Des melons en zone aride

Cette année, La Relève et La Peste s’est rendue à un événement paysan aux couleurs du monde entier : la première édition des Rencontres Internationales des Semences Paysannes. Parmi les merveilleux intervenants, un homme au large sourire et aux yeux clairs venait partager son secret, celui des semences paysannes métissées.

Joseph Lofthouse vit dans la ville de Paradise, en Cache Valley dans l’Utah, dans la ferme familiale. Là-bas, les conditions météorologiques s’apparentent à celles d’un désert, aride à l’extrême, en haute altitude, baigné d’une intense luminosité, et soumis à d’amples variations de température entre le jour et la nuit, d’une saison à l’autre. En cause : la chaîne montagneuse Wasatch qui englobe et refroidit la vallée. Il y neige 5 mois de l’année, et durant l’été le thermomètre peut grimper jusqu’à 40°C le jour pour redescendre à 10°C la nuit. Enfin, il tombe seulement 250 mm de précipitations en moyenne par an.

« Les conditions climatiques sont très, très difficiles. Il y a des hivers très rigoureux avec beaucoup de gel. Et nous avons seulement trois mois dans l’année pour cultiver » raconte Joseph Lofthouse pour La Relève et la Peste

Les Rocky Mountains en fin de journée du 30 octobre 2024 dans la ferme – Crédit : Joseph Lofhtouse

C’est pourquoi les légumes adaptés aux climats chauds peinent à s’y épanouir. Les tomates, poivrons, courges ou melons s’avèrent très difficiles à cultiver. Et pourtant, le melon est le premier fruit que Joseph a choisi de cultiver en pleine terre.

« Il m’était difficile de cultiver des graines provenant d’un catalogue officiel, car elles ne me convenaient pas. Les variétés anciennes ne me convenaient pas non plus, car elles venaient de loin et d’il y a longtemps. Les hybrides ne me convenaient pas, car ils nécessitaient des produits chimiques et des poisons que je ne voulais pas utiliser dans mon jardin. J’ai donc dû trouver comment cultiver mes propres variétés de légumes. J’ai découvert que si je permets à plusieurs variétés différentes de se polliniser entre elles, elles peuvent trouver par elles-mêmes comment prospérer dans mon jardin » explique Joseph Lofthouse pour La Relève et la Peste

Des rangées de tournesol dans la ferme de Joseph – Crédit : Joseph Lofthouse

Sa patience a été couronnée de succès. La première fois que Joseph a planté des melons, il a essayé une trentaine de variétés. Seulement cinq d’entre elles ont survécu et produit des fruits. Mais après quelques années, elles se sont habituées à son jardin et il a pu récolter plusieurs kilos de melons. Aujourd’hui, Joseph Lofthouse cultive différentes variétés de melon dont il fait le semis directement en pleine terre.

De la même façon, dans le projet de métissage des courges moschata, les gelées précoces ont anéanti ces courges 88 et 84 jours après leur plantation durant les trois premières années. Ce phénomène a induit une forte pression de sélection en faveur des plantes aux périodes de maturation les plus courtes, jusqu’à ce que leur culture devienne possible.

L’hybridation, la méthode des semences paysannes métissées

Pour obtenir des plantes spécifiquement adaptées à son terroir, Joseph Lofthouse va donc à l’encontre des objectifs de préservation de la pureté variétale et favorise la mixité. Pour lui, toute la force des semences paysannes métissées résulte de leur capacité à se croiser abondamment et librement. Il utilise pour cela deux méthodes différentes.

« La première méthode consiste à obtenir 10 ou 20 variétés et à leur permettre de se polliniser mutuellement. L’autre méthode consiste à utiliser peut-être deux variétés qui sont mes préférées, à les laisser se polliniser mutuellement et peut-être à ajouter une autre variété un an plus tard. Puis, conserver les graines de tout ce qui pousse dans mon écosystème » détaille Joseph Lofthouse pour La Relève et La Peste.

En 15 ans d’expérimentations, Joseph Lofthouse a créé plus d’une centaine d’espèces adaptées à son jardin avec ce type de culture, que l’on appelle l’agriculture d’adaptation. « Mes préférées sont celles qui sont à pollinisation croisée, les haricots, le maïs, les concombres, les melons » précise-t-il dans son ouvrage « Semences paysannes métissées » qui présente ses travaux.

« Je ne conserve que les graines de ce qui me semble bon au goût, de ce qui sent bon, de ce qui me paraît beau. Je finis par obtenir des cultures qui m’apportent simplement de la joie et du bonheur » raconte Joseph Lofthouse en souriant pour La Relève et La Peste

Joseph Lofthouse présentant son livre aux Rencontres Internationales des Semences Paysannes – Crédit : Laurie Debove

Joseph n’a pas peur de créer de variétés « toxiques », ainsi que le redoutent certains jardiniers lors d’hybridation. Si une variété est mauvaise au goût, immangeable, il ne la mange et reproduit tout simplement pas. Joseph cultive au hasard des terrains abandonnés et des champs laissés en friche au sein de sa collectivité locale, sur une surface équivalente à un tiers d’hectare. Il n’a quasiment pas besoin de désherber sur ses terrains.

« Je suis un agriculteur paresseux et je n’aime pas désherber incessamment. Si mes plantes ne peuvent pas pousser à travers les mauvaises herbes, elles n’ont pas leur place dans mon jardin. Dans mon jardin, les plantes font partie de l’écosystème qui fait 80% du travail de sélection. Il comprend les insectes, les maladies, le soleil, le climat » explique Joseph Lofthouse pour La Relève et La Peste

Les courges métissées – Crédit : Joseph Lofthouse

Ses cultures s’épanouissent en plein soleil, sur une plaine dégagée, sans arbres ni brise-vent, dans un sol limoneux, fertile et alcalin. Seules les variétés capables de pleinement s’épanouir dans un tel environnement ont réussi à survivre. Malgré des semences locales maintenant complètement adaptées à son territoire, Joseph continue d’inclure chaque année des variétés qui viennent d’autres pays. Avec leur patrimoine génétique différent, elles pourraient apporter des propriétés et des caractéristiques qu’il n’aurait pas découvertes s’il n’essayait pas.

Ayant reçu et testé des milliers et des milliers de graines, Joseph n’a pas conservé minutieusement toutes les histoires et les origines de ses semences. Pour lui, l’important réside dans le temps présent et la diversité. Une plante, comme tout organisme, est vivante parce qu’elle peut s’adapter, évoluer, et ne reste pas figée dans un certain état.

« Je fais de la préservation d’héritage en permettant à des centaines de variétés de se croiser. Les semences paysannes métissées, avec leur riche diversité génétique et leur recours à la pollinisation débridée, allient le meilleur des mondes. Elles créent de nouveaux hybrides entre des parents acclimatés au terroir tout en perpétuant l’adaptation au contexte bioclimatique et agricole local, procurant de surcroît la satisfaction émotionnelle d’une forme de souveraineté pour ceux-celles qui les cultivent » développe-t-il

Une magnifique philosophie et histoire de vie qui rappellent à quel point la production alimentaire ainsi que la sélection, la collecte et la sauvegarde des semences font partie du patrimoine commun de l’humanité.

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L’hybridation de la courge Hubbard et Banana a donné une variété orange sucrée – Crédit : Joseph Lofhoutse

Cet article a été validé par le semencier Maxime Schmitt, co-fondateur de la Maison des Semences Paysannes Maralpines.

Laurie Debove

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