« Fais comme l’oiseau », disait Michel Fugain dans la chanson. Un mantra que pourrait bien reprendre les étudiants chinois adeptes du « dang niao ». Lasse de travailler sans répit et sans garantie, la jeunesse chinoise a trouvé une nouvelle façon de se révolter : imiter les oiseaux.
En Chine, le « dang niao » s’empare des étudiants épuisés par une injonction au travail acharné. Pour échapper à la pression sociale autour de la poursuite effrénée de la réussite professionnelle, ils et elles se prennent pour des oiseaux.
Douyin, le TikTok chinois, est inondé de vidéos d’étudiants accrochés aux barreaux de leurs lits, comme des oiseaux sur une branche, et vêtus de t-shirt oversize cachant leurs jambes. En légende, des messages tels que : « Finies les études, je veux être un oiseau ! »
« Les oiseaux peuvent voler librement et sans but dans le ciel », a déclaré Wang Weihan, 20 ans, un étudiant en finance à Shanghai qui a fait semblant d’être un oiseau dans sa chambre d’étudiant. Il a déclaré que ce phénomène des réseaux sociaux exprime « le désir inné de liberté de chaque personne ».
Mais il ne s’agit pas seulement d’une tendance amusante : les étudiants chinois se sentent en cage. Ces « oiseaux » dénoncent par leurs chants les conditions de travail abusives dans une économie chinoise en déclin après la pandémie.
De nombreux messages font ainsi référence au tristement célèbre système « 996 », qui oblige les employés à travailler de 9 h à 21 h, six jours par semaine (soit une semaine de travail de 72 heures). Bien que cette politique soit techniquement illégale en vertu des lois du travail chinoises, des entreprises continuent de l’appliquer, y compris ByteDance, la société mère de TikTok.
« Ce mode de travail, associé à la concurrence acharnée qui s’installe dès l’enfance et à l’anxiété suscitée par un marché du travail compétitif, pèse lourdement sur la jeune génération chinoise. La « mode des oiseaux » devient un moyen d’exprimer cet épuisement, une façon d’échapper symboliquement au confinement des bureaux, des cabines et des salles de classe » explique sur LinkedIn Maurizio Serena, professeur en Chine
Ce n’est pas la première fois que la jeunesse chinoise exprime son mal-être. En 2021, elle s’allongeait par terre dans la rue avec le « tang ping ». Cette protestation non-violente a été interdite par le Parti au pouvoir. Puis, début 2022, le « bai lan » (« laisser pourrir ») inondait les réseaux chinois en référence à la pratique consistant à abandonner délibérément un match lorsque les chances de gagner étaient minces.
En effet, la jeunesse se sent trahie par le système chinois. Alors qu’ils étaient 12 millions de jeunes à être diplômés l’an dernier, travailler dur ne suffit plus à leur garantir une carrière. A la sortie de leurs études, le chômage oscille entre 17% et 21%.
De façon générale, les personnes nées en Chine entre 1995 et 2010 sont considérées comme les plus pessimistes de tous les groupes démographiques. Plus de la moitié d’entre elles se déclarent inquiètes pour leur avenir. Un contraste fort avec les générations précédentes, dont le niveau de vie a considérablement augmenté. Aujourd’hui, le ralentissement économique donne une impression de chute sociale à la jeunesse.
En conséquence, les étudiants chinois sont également plus susceptibles d’être critiques à l’égard du gouvernement. Déçus par la baisse des perspectives d’accession à la propriété et irrités par certaines des mesures COVID-19 parmi les plus dures au monde, cette tranche démographique a constitué l’épine dorsale d’une vague de protestations qui a déferlé sur le pays en 2022. C’était la plus importante rébellion populaire à laquelle l’administration actuelle ait été confrontée, du jamais vu depuis 1989 et le massacre de Tiananmen.
Malgré le fait qu’ils aient réussi à obtenir un revirement dans la politique de confinement du gouvernement, nombre de leurs inquiétudes économiques persistent – et il semble que devenir un oiseau soit un autre moyen d’évacuer leur frustration.
Reste à savoir si cette manifestation d’un nouveau genre aura un impact sur la culture du travail en Chine. Elle pourrait amener les jeunes à exiger des changements de la part des employeurs, à plaider pour des horaires flexibles et à donner la priorité à leur bien-être.
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