À 27 ans, Charles Rose, plus connu sous le pseudonyme « Chasseur de sons », est audio-naturaliste. Ce Strasbourgeois d’origine, qui cartonne sur les réseaux sociaux, enregistre des sons bruts, capturés dans la nature, qu’il met en image. Une façon poétique de sensibiliser aux écosystèmes qui nous entourent et pourtant méconnus et invisibilisés. Aujourd’hui au Canada, où il développe son projet, Charles Rose revient pour La Relève et La Peste sur son parcours et ce qu’il anime dans ce métier venant révéler et sublimer le vivant.
LR&LP : Tu es connu en tant que « Chasseur de sons », notamment sur Instagram, où tu partages des vidéos d’audio-naturalisme avec plus de 2 millions de personnes. Raconte-nous ton parcours pour en arriver jusque là.
Charles Rose : J’ai commencé la vidéo assez jeune. Petit à petit, je me suis intéressé à la musique, que je produisais dans ma chambre. Très vite, j’ai eu cette idée d’aller enregistrer des sons sur le terrain pour composer. C’est ce que l’on appelle du « field recording » (enregistrements bruts, prise de son en extérieur). Ça m’a plu, et est rapidement devenu de l’audio-naturalisme.
Le principe est toujours le même, on sort pour enregistrer des sons, mais tout en s’émerveillant du vivant.
Je découvre alors tout un univers avec des audio-naturalistes comme Bernie Krause, Marc Namblard ou encore Melia Roger, qui vont beaucoup m’inspirer. C’est à ce moment que je décide de lancer le projet « Chasseur de sons », où je peux allier ma passion pour la vidéo, celle du field recording et celle de l’audionaturalisme. L’objectif est vraiment d’aller au contact de la nature et de capter des phénomènes naturels, les partager et sensibiliser.
LR&LP : Le fait de mettre en image des sons, en fait, qu’est-ce que cela permet d’apporter à ceux qui regardent et écoutent, selon toi ?
Charles Rose : L’image a toujours été très importante pour moi. Je peux raconter quelque chose, jouer avec les couleurs, le montage. J’essaie de faire des plans cadrés de manière à apporter un esthétisme et une poésie. L’idée, c’est que le spectateur voyage avec ces vidéos, qu’il se plonge avec moi dans ces univers sonores. L’image est très importante pour l’immersion.
LR&LP : Tu enregistres un tas d’écosystèmes différents, quel matériel utilises-tu et comment est-ce que tu procèdes ?
Charles Rose : Je travaille de deux manières. Soit j’étudie un son avant d’aller l’enregistrer, comme ceux des arbres, des insectes. Il fallait que je trouve en amont des équipements qui me permettent d’enregistrer ces sons-là.
Pour les sons d’arbres, j’utilise un microphone de contact qui me permet de capter les vibrations qui se produisent à l’intérieur, soit par le fait que l’eau y circule, ou encore par les vibrations provoquées par le vent.
Concernant les insectes, j’ai dû fabriquer un petit module que j’amène sur le terrain pour pouvoir enregistrer précisément leurs sons. Je vais donc sur le terrain en ayant un but précis et en allant chercher du matériel spécifique. Mais le plus généralement, quand je capture un son, c’est plus de l’improvisation.
Je me balade en forêt, en ville et je tombe sur une source sonore, un lieu qui m’intéresse au niveau de l’esthétique. Et là, j’enregistre mon son. D’un oiseau avec tel type de micro, de la pluie sur une surface avec un autre. En fait, je vais m’adapter à l’environnement et essayer de trouver le meilleur moyen d’enregistrer le son que je viens de trouver.
Sounds of Tree – France (Vol.2) de CHASSEUR DE SONS
LR&LP : Qu’est ce que cela a changé dans ton rapport à la nature, y compris en ville ?
Charles Rose : J’ai appris à réécouter et à concentrer plus d’attention sur les détails sonores. En pleine ville, maintenant, j’écoute de moins en moins les moteurs, qui sont omniprésents. C’est vraiment un brouhaha sonore, avec les travaux, les avions qui passent. Ce sont des sons qui, lorsque tu les superposes, n’ont pas de cohérence, ce sont des sons humains. Quand je me balade, j’essaie de capter les sons de la nature en ville.
Dernièrement, à Québec, j’ai remarqué qu’il y avait des criquets, des grillons, mais aussi des mouettes de temps en temps. Je capte ces phénomènes de nature, et cela me permet de voir comment la nature a réussi à se faire une place dans la ville et à s’adapter à tout ce son que nous produisons.
Généralement, lorsque les animaux émettent des sons, ils le font à certaines fréquences et ils sont parfaitement organisés, comme un orchestre. C’est super bien fait. Alors que nous, humains, quand on se balade en ville, ou qu’on démarre nos moteurs, qu’on parle, que tout se superpose, il n’y a pas d’orchestre.
LR&LP : Cela fait presque penser à de la bio-acoustique, dans le sens où cette activité va te permettre aussi de te rendre compte que des espèces, et avec elles de nombreux sons, disparaissent petit à petit.
Charles Rose : C’est un travail sur le long terme, en effet. Je suis en train de créer plein de références que je vais pouvoir utiliser plus tard pour analyser la façon dont l’environnement a évolué. C’est un travail que j’ai envie de mener, comme a pu le faire Bernie Krause par exemple. Il a fait des avant-après assez fantastiques pour se rendre compte de ce qu’une déforestation peut avoir comme impact sur un écosystème.
Ce que je constate aujourd’hui, c’est la difficulté d’enregistrer des sons, même en nature, parce que tu as des avions partout, ils sont omniprésents. N’avoir que des sons de nature, c’est assez rare. Au bout de quelques minutes, il y a toujours quelque chose, un moteur au loin, qui vient perturber le paysage sonore naturel.
LR&LP : Quel enregistrement t’a le plus surpris ?
Charles Rose : Celui que je raconte toujours, c’est la mousse. Elle est partout autour de nous, elle ne fait pas vraiment de bruit, mais quand tu viens y poser un microphone de contact, il y a une texture sonore qui s’en dégage qui est incroyable. Il y a tout un écosystème, plein de petites bêtes, et je ne m’attendais pas du tout à ça au moment de l’enregistrement.
Sinon, dernièrement, il y a eu des ultrasons, que je n’entends pas immédiatement lors de l’enregistrement et que je découvre après coup. Tu as alors accès à un monde sonore qui est inaudible, comme celui des chauves-souris, par exemple. Je les avais vues au loin, mais je n’avais pas conscience de les avoir enregistrées.
En réalité, tous les sons que j’enregistre sont des surprises. Il y a parfois une variante, une fréquence en plus. À chaque fois, c’est de l’émerveillement. Et c’est aussi ce que cherchent les gens. Au-delà de l’émerveillement, on me dit souvent qu’on écoute mes sons pour s’endormir, pour étudier, pour se relaxer. La nature est réellement une source de relaxation, pour ceux qui ont la chance de pouvoir y accéder et y passer du temps.
Sounds of Waterfall – France de CHASSEUR DE SONS
LR&LP : As-tu envisagé de mettre tes enregistrements à profit du cinéma, par exemple ?
Charles Rose : J’ai eu des propositions, mais aujourd’hui, j’ai envie de prioriser mon projet « Chasseurs de sons », d’aller dans la nature et enregistrer. Le cinéma ou la production arriveront peut-être plus tard. Par contre, je crée des banques de samples, sur Bandcamp. J’ai quatre albums où les musiciens, vidéastes, cinéastes, peuvent aller récupérer les différents enregistrements et les utiliser dans leurs propres œuvres.
Sounds of Frozen Lake – Germany de CHASSEUR DE SONS
LR&LP : Aujourd’hui, tu arrives à vivre de cette activité ?
Charles Rose : Il y a quelques mois, c’était encore simplement une activité. J’ai d’abord fait des études d’ingénieur mécanique dont j’ai obtenu mon diplôme en 2022. À ce moment, je me suis dit que j’allais prendre un travail alimentaire pour développer le projet « Chasseurs de sons » en parallèle. Un an et demi après, j’ai démissionné et je me suis mis à 100% sur le projet. Aujourd’hui, j’essaye de structurer les choses au maximum pour pouvoir en vivre.
LR&LP : Quels projets as-tu aujourd’hui ? Y a-t-il des sons que tu recherches tout particulièrement ? D’autres qui sont très compliqués voire impossibles à capturer ?
Charles Rose : J’aimerais beaucoup aller enregistrer des sons un peu partout, et essayer de trouver des sources comme les volcans en éruption, le mouvement du magma, de la lave, mais c’est un projet très compliqué à mener. J’aimerais aussi aller enregistrer des espèces en voie de disparition. Là encore, c’est ambitieux, mais pas irréalisable.
Après, il y a des sons partout, et généralement les idées viennent en allant au contact direct de la nature. Là, au Québec, je suis en train d’essayer de capturer le son des écureuils, ce n’est pas évident, je veux faire les choses correctement et le plus naturellement possible. Ce sont des heures et des heures à se poster dans la nature, à attendre. C’est aussi une forme de méditation. Lorsque cela arrive, je suis tellement heureux. Cela m’apprend à être patient, à m’émerveiller, à écouter.
Cela me fait extrêmement plaisir quand des familles ou des profs m’envoient un message et me disent qu’ils ont fait écouter les sons aux élèves et qu’ils ont été émerveillés, ou que des parents sont partis en forêt avec leurs enfants pour écouter la nature, les arbres. J’en suis très content et c’est aussi pour cela que je fais ce travail.