Peu nombreuses et largement méconnues du grand public, les vieilles forêts françaises jouent pourtant un rôle essentiel face au dérèglement climatique. En France, des associations ont décidé de les racheter pour les protéger. Explications avec trois passionnés, depuis l'Auvergne et les Pyrénées.
Les vieilles forêts françaises
« Quand on entre dans une vieille forêt, il y a un côté presque un peu magique. C’est un endroit très particulier, où on peut vraiment se ressourcer. »
A l’autre bout du fil, l’émotion est palpable dans la voix de Philippe Falbet. Représentant de France Nature Environnement (FNE) à la Commission régionale de la forêt et du bois (CRFB) Occitanie, ce dernier fait partie des fervents défenseurs de celles que l’on appelle les « vieilles forêts ».
Peu connues des non initiés, ces vieilles forêts françaises se caractérisent à la fois par leur ancienneté et leur maturité biologique.
« Les vieilles forêts sont des forêts anciennes, c’est-à-dire que leur sol forestier a au moins 200 ans, et des forêts matures, ce qui signifie qu’elles ont accompli la totalité de leur cycle biologique naturel, entame Philippe Falbet pour La Relève et La Peste. Pour un œil non aguerri, elles ne sont pas forcément faciles à repérer, mais à bien y regarder, on y voit la présence de gros bois, de vieux arbres, ainsi que des quantités très importantes de bois mort », continue le spécialiste.
Des vieilles forêts résilientes
En France et en Europe, les vieilles forêts sont extrêmement rares, puisqu’elles représentent moins de 5% de la surface forestière en montagne, et moins de 1% en plaine. A l’inverse, les forêts jeunes, qui ont moins de 100 ans, constituent 79% de la forêt française, d’après les données de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). Particulièrement peu nombreuses, les vieilles forêts jouent pourtant un rôle majeur dans la lutte contre le dérèglement climatique.
« Grâce à la présence de très gros bois mort, les vieilles forêts créent des micro-climats humides, ce qui fait qu’en période de canicule par exemple, ces forêts sont les endroits où il fait le meilleur, détaille Philippe Falbet. D’ailleurs, contrairement à l’idée selon laquelle il faudrait se séparer du bois mort, ce dernier participe au contraire au recyclage de la matière organique et des éléments minéraux. »
Des propos largement corroborés par Pierre Mossant, directeur du Conservatoire d’espaces naturels (CEN) d’Auvergne.
« Les vieilles forêts sont des forêts mélangées, avec une grande diversité d’essences, mais aussi des variabilités génétiques au sein d’une même espèce, explique le professionnel pour La Relève et La Peste. Par conséquent, elles sont constituées d’arbres qui s’adaptent au changement climatique. »
Et de renchérir : « Grâce à la diversité des espèces qui la composent, les chances de prolifération des parasites y sont par ailleurs beaucoup plus faibles. »
Un travail de classification
Indispensables, les vieilles forêts ne bénéficient pourtant d’aucune forme de protection juridique adéquate. Conséquence directe, « elles peuvent se faire déstructurer par l’Office nationale des forêts (ONF), dont les objectifs de protection se heurtent parfois aux objectifs de rentabilité », regrette Philippe Falbet.
En domaine privé, les vieilles forêts sont cette fois soumises aux velléités des coopératives forestières, désireuses de les racheter pour tirer profit de la vente du bois. « Des vieilles forêts, il en disparaît tous les mois », déplore Philippe Falbet.
Dans ce contexte de mobilisation accrue de la ressource en bois, des initiatives se développent, à l’image de l’Observatoire des forêts des Pyrénées centrales. Mis en place par l’association Nature en Occitanie (NEP), l’Observatoire fait l’inventaire des vieilles forêts pyrénéennes.
A ce jour, « 10 000 hectares de vieilles forêts ont été recensées sur la chaîne pyrénéenne côté Occitanie, détaille Philippe Falbet, qui y est bénévole. Dans les Pyrénées atlantiques, l’inventaire est en cours ».
L’acquisition foncière, un outil de protection
Parallèlement à son travail de recensement des vieilles forêts, l’association NEO acquière des vieilles forêts du domaine privé. L’objectif : contribuer à l’effort de protection des forêts à fort enjeu écologique, telles les vieilles forêts, grâce à la maîtrise foncière. Un objectif partagé par le fonds Forêts préservées, que Philippe Falbet a cocréé en 2019 afin de contribuer à soustraire toujours plus de vieilles forêts aux risques d’exploitation forestière.
Depuis sa création, grâce à des dons d’organismes et de particuliers, le Fonds a réussi à racheter et protéger pas moins de 114 hectares de vieilles forêts, désormais laissés en libre-évolution.
« En général, les vieilles forêts que nous rachetons à des particuliers sont situées sur des parcelles peu accessibles, qui leur ont été léguées par leurs grands-parents, précise Philippe Falbet. Ils ne savent pas toujours où elles se situent et ne connaissent pas non plus leur intérêt écologique, mais quand on leur rachète, on veille à faire un gros travail de pédagogie », poursuit-il.
Des subventions publiques et des dons privés
Alors que dans les Pyrénées, le prix d’un hectare de vieille forêt varie de 500 à 10 000 euros, selon la présence, ou non, de certaines espèces onéreuses comme le chêne, Philippe Falbet ambitionne, à terme, de réussir à préserver 10 000 hectares de vieilles forêts pour, dit-il, « préserver de manière consciente et réelle une trame de vieille forêt dans les Pyrénées ».
A plusieurs centaines de kilomètres de là, du côté auvergnat, le CEN Auvergne porte une ambition identique à travers son programme Sylvae. Coordonné par Émilie Dupuy, ce programme, né en Auvergne mais qui s’étend désormais à l’échelle nationale, a également pour vocation d’acquérir des parcelles forestières afin de les laisser en libre-évolution et ainsi laisser les arbres accomplir leur cycle biologique complet.
« En Auvergne, sur une surface forestière totale de 750 000 hectares, les vieilles forêts représentent environ 20 000 hectares, explique la professionnelle, pour La Relève et La Peste. Notre objectif serait de réussir à en préserver 10%, de sorte à mailler le territoire avec des zones de biodiversité dispersées ».
Depuis la création du programme Sylvae en 2019, le CEN d’Auvergne a racheté environ 300 hectares, pour un total de 385 000 euros, dont les trois quarts sont issus de subventions publiques, et le reste de dons de particuliers.
Revenir « à sa condition d’être humain »
« On est une petite goutte dans l’océan, mais on avance. Maintenant, il faut qu’on accélère », conclut Émilie Dupuy, pour qui, comme pour Pierre Mossant, la transition énergétique et la demande croissante en bois qu’elle implique ne doivent pas se faire à n’importe quel prix, et certainement pas au dépend de la préservation des vieilles forêts.
« Les vieilles forêts sont des espaces très particuliers où se sent ramené à sa condition d’être humain, sourit-elle. Il est impératif de les protéger face au modèle industriel de culture de la forêt. »
Un constat plus que partagé par Philippe Falbet, lui qui assure que les vieilles forêts sont des endroits « indispensables à conserver pour le psychisme humain car, dit-il, une fois à l’intérieur, on peut respirer, accepter d’arrêter de dominer, et ressentir, surtout, la force des cycles biologiques ».