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Dans le Tarn, un collectif alerte sur la pollution massive causée par une centrale d’enrobé

« Depuis longtemps, les pouvoirs publics eux-mêmes considèrent qu’il n’est plus possible d'avoir des émissions d'oxyde de soufre telles que celles qui sont constatées pour la centrale de Lafenasse. On pourrait faire un arrêté de modification, proposer des seuils un peu plus contraignants. Mais rien n'a été fait »

À Lafenasse dans le Tarn, une usine d’enrobé - un matériau de revêtement utilisé pour la réalisation des routes - suscite l’inquiétude et attise la colère des riverains. La centrale serait en effet la cause de plusieurs épisodes de pollution restés opaques. Mais ce n’est pas tout. Il est également prévu qu’une nouvelle centrale soit érigée, à quelques centaines de mètres seulement de là, sur la commune voisine de Montredon-Labessonnié, dans l’objectif de remplacer la première vieillissante. Dans une enquête publiée fin mars, le collectif Stop Enrobé 81 révèle comment la centrale existante pourrait être à l’origine d’un empoisonnement à feu lent des riverains depuis des années.

Un collectif mobilisé contre une nouvelle centrale

C’est à la suite d’un conseil municipal en février 2022 que des riverains découvrent le projet de construction d’une nouvelle centrale sur des terres agricoles. Ils s’unissent en collectif et forment ensemble Stop Enrobé 81. Le collectif compte aujourd’hui une vingtaine de membres actifs et 250 sympathisants.

Le collectif, d’abord mobilisé contre le projet de nouvelle centrale, va aussi être amené à s’intéresser à la centrale existante à la suite d’incidents répétés de pollution en 2022 et 2023. Jusqu’alors, personne ne s’était réellement préoccupé de cette centrale, vieille de plus de 30 ans et exploitée par Tarn Enrobés, regroupement des sociétés Eiffage, Spie Batignolles et Eurovia.

C’est en creusant davantage sur cette installation usée par le temps que les membres du collectif vont découvrir qu’elle pourrait bien être la cause de pollutions protéiformes survenues sur le territoire depuis plusieurs années.

Leurs investigations se tournent alors vers les seuils de pollution autorisés et les contrôles inhérents à ces taux effectués sous l’égide de l’État et de ses services préfectoraux. Débute alors un véritable combat qui les mènera de surprise en désillusion, et qui, aujourd’hui, est encore bien loin de son épilogue.

Des seuils de pollution erronés ?

Il est important de rappeler ici que les centrales d’enrobé font partie des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) et sont reconnues comme potentiellement dangereuses pour la santé, la sécurité publique et l’environnement. À ce titre, elles doivent faire l’objet d’une surveillance stricte de la part d’un organisme d’État, à savoir, plus précisément, les Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL).

Dans son enquête, le collectif Stop Enrobé 81 remonte le temps et s’aperçoit d’une erreur de calcul dans l’arrêté préfectoral de 1997 autorisant l’activité de la centrale, faussant les seuils de pollution d’oxydes d’azote, d’oxydes de soufre et de poussières totales auxquels elle aurait dû se conformer. Le collectif découvre par ailleurs que, depuis 2019 au moins, le taux d’oxydes de soufre dans les fumées de la centrale est très élevé, beaucoup trop par rapport au taux aujourd’hui considéré comme acceptable.

Pour le collectif, la centrale fonctionne avec un « permis de polluer » bien trop généreux.

« Cela veut dire que, depuis des années, le taux d’oxydes de soufre émis dans l’atmosphère est largement supérieur au seuil prescrit pour protéger, à minima, la santé des gens », précise un membre de Stop Enrobé 81 pour La Relève et la Peste.

Mais la centrale de Lafenasse étant soumise aux dispositions de son arrêté préfectoral d’autorisation de 1997, et non aux nouvelles dispositions établies par l’arrêté ministériel de 2019, qui ne s’appliquent qu’aux centrales d’enrobé établies après cette date, n’est pas en infraction. Selon Stop Enrobé 81, les préfets ont pourtant le pouvoir de faire évoluer les arrêtés d’autorisation.

« Depuis longtemps, les pouvoirs publics eux-mêmes considèrent qu’il n’est plus possible d’avoir des émissions d’oxyde de soufre telles que celles qui sont constatées pour la centrale de Lafenasse. On pourrait faire un arrêté de modification, proposer des seuils un peu plus contraignants. Mais rien n’a été fait », détaille le collectif à La Relève et la Peste.

Une surveillance contestée

Aussi, une centrale d’enrobé est soumise à des contrôles annuels effectués par des prestataires agréés par l’État. En examinant les rapports de contrôle produits par ces prestataires, les membres du collectif Stop Enrobé 81 se sont aperçus que ces contrôles ne sont pas opérés dans des conditions réalistes et que, selon eux, des erreurs s’y glissent.

Mais après des mois de courriers envoyés et d’énergie dépensée par les riverains mobilisés, un plan de surveillance pour cet été 2024 doit être mis en place par la DREAL, avec le concours de l’Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques (INERIS).

Sollicitée, la DREAL explique, pour La Relève et la Peste, que « l’instance de suivi a été réunie le vendredi 26 avril et le plan de surveillance est en cours d’élaboration », afin de répondre aux inquiétudes des riverains et du collectif.

Le Préfet du Tarn prévoit ainsi de « mettre en œuvre un protocole de surveillance des rejets atmosphériques dans l’environnement autour des deux sites, de renforcer le contrôle de l’installation, et de mettre en place une instance de suivi avec un principe de transparence ».

Les analyses porteront sur les 7 familles de substances de l’arrêté ministériel de 2019. Un suivi auquel avait demandé à participer le collectif, chose qui leur a été refusée selon lui. Pour ses membres, cette décision cache toutefois autre chose.

« Leur projet est très clair et la Préfecture ne s’en cache pas : ils mettent en place un plan de surveillance en juillet/août, et en septembre, on annonce à tout le monde que tout va bien. On favorise donc à la fois l’implantation de la nouvelle centrale, mais on légitime également l’installation d’autres centrales d’enrobés qui concernent l’autoroute A69 dans le sud de notre département », ajoutent-ils pour La Relève et la Peste.

En effet, la construction écocidaire de cette autoroute nécessite l’implantation de deux énormes centrales d’enrobé mobiles, qui devraient rester le temps du chantier. De nombreux collectifs, une dizaine en tout, se mobilisent, là aussi, contre ces centrales, dont l’installation pourrait être légitimée par les résultats du plan de surveillance de la centrale de Lafenasse.

À ce jour, les services préfectoraux n’ont jamais répondu à l’enquête publiée par le collectif. « On s’attendait à recevoir une démonstration, pour nous dire que nous faisions erreur. Mais ils ne l’ont jamais fait ».

La justice comme « seul moyen d’action »

Du côté des élus, l’immobilisme semble prévaloir. « Les deux maires des communes concernées ont toujours tenu le même discours : ils répètent qu’ils ne sont pas compétents. Ces personnes sont tout de même là pour l’intérêt de leurs administrés, et, là, ils s’en remettent aveuglément à la préfecture, ce qui revient de fait à être favorable au projet de nouvelle centrale. Ils se défaussent complètement de leurs responsabilités », se désole Stop Enrobé 81 auprès de La Relève et la Peste.

Aujourd’hui, le « seul moyen d’action » du collectif reste la justice. Il a, à ce titre, accompagné une assignation en justice menée par une association de protection de l’environnement contre l’exploitant pour une pollution de la rivière Dadou.

Selon Stop Enrobé 81, « le taux de matières en suspension reversées dans le Dadou représentait plus du double du seuil réglementaire autorisé, et l’exploitant en avait connaissance. Il avait en effet en sa possession des analyses annuelles de ces rejets depuis 2021, analyses que la DREAL a consultées en 2023, constatant l’infraction ».

De son côté, la DREAL Occitanie précise que la procédure judiciaire fait suite à un arrêté de mise en demeure non respecté. Lors d’une nouvelle inspection datant du 31 août 2023, il a été « constaté le retour à une situation conforme ».

L’exploitant pourrait cependant se voir demander une compensation financière. Mais cette possible petite victoire ne résout pas le problème de la nouvelle centrale.

« Le même exploitant, trouvant son ancien outil obsolète, est désireux de pouvoir produire dans de meilleures conditions avec, certainement, des bénéfices plus importants. Cela coûte cher, à force, d’entretenir une industrie vieillissante. Mais aujourd’hui, les conditions d’installation d’une nouvelle centrale ne sont pas réunies pour que soit garantie la protection de la santé des personnes et de l’environnement », explique Stop Enrobé 81 à La Relève et la Peste.

Le collectif se prépare ainsi à déposer un recours devant le tribunal  administratif lorsque la nouvelle centrale aura été enregistrée auprès de la Préfecture, afin de suspendre, au moins pour un temps, le processus d’installation de cette machine à polluer.

Sources : Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), Entreprendre – Service public, 28/03/24

Juliette Boffy

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