Elles étaient le symbole de la résurrection d’une espèce depuis la fin de leur chasse, voici que le réchauffement climatique vient les décimer. Une étude révèle que le nombre de baleines à bosse a chuté de 20% entre 2012 et 2021 dans l’Océan Pacifique Nord. La cause : le manque de nourriture suite à des canicules marines.
La famine des baleines
Comme tous les grands cétacés du monde, les baleines à bosse du Pacifique Nord ont été la cible d’une chasse intensive jusqu’à la fin du XXe siècle, avec environ 31 785 baleines capturées entre 1900 et 1976. Depuis la fin de leur chasse, actée par un moratoire international en 1982, cela faisait 40 ans que les baleines à bosse repeuplaient les flots pour l’émerveillement de tous ceux qui avaient la chance de croiser leur sillage.
De 1600 individus en 1976, leur population allait grandissant jusqu’à à atteindre plus de 33 000 individus dans le Pacifique nord en 2012. Tant et si bien qu’en 2016, l’UICN avait retiré les baleines à bosse de la liste des espèces en danger. Leur statut était alors passé de « vulnérable » à « préoccupation mineure ».
Pas tout à fait tirées hors d’affaire, à cause des ravages de la pollution et des collisions avec les bateaux, la tendance s’est inversée à partir de 2012, ainsi que le révèle une étude de Royal Society Open Science, publiée fin février 2024. Entre 2012 et 2021, leur population est ainsi passée de 33 000 à seulement 26 000 baleines à bosse. Pour celles hivernant à Hawaï, c’est même plus d’un tiers d’entre elles qui ont péri.
« Dramatiquement, le moment des changements du statut de conservation légal de l’espèce a coïncidé avec le déclin dramatique induit par le réchauffement des océans documenté dans cette étude » alertent les chercheurs
La plupart d’entre elles sont mortes… de faim, à cause du réchauffement des océans, dont l’apogée a eu lieu de 2014 à 2016. Semblable à un incendie sous-marin, la vague de chaleur marine la plus forte et la plus longue jamais enregistrée avait ravagé le nord-est du Pacifique. Les anomalies de température ont parfois dépassé 3 à 6°C, avec des conséquences dévastatrices sur l’écosystème marin.
« J’en suis resté bouche bée. C’est un signal bien plus fort que ce à quoi nous nous attendions », a déclaré Ted Cheeseman, biologiste des baleines et doctorant à l’université australienne Southern Cross, l’un des 75 scientifiques ayant participé à l’étude
Parmi les conséquences directes de ces canicules marines : la raréfaction des proies habituelles des baleines à bosse telles que le phytoplancton, le krill, le hareng, le capelan, le lançon ou les juvéniles de saumon.
Pire, la diminution des vents à la surface de la mer, couplée à la réduction des remontées d’eau et la diminution de celles riches en nutriments « a conduit à une réduction de la biomasse phytoplanctonique et à une restructuration des communautés de zooplancton en faveur d’espèces moins caloriques » précise l’étude.
En clair : non seulement les baleines avaient moins de nourriture, mais de plus les proies étaient moins nutritives qu’avant pour ces mammifères pouvant atteindre 17m de long et peser jusqu’à 40 tonnes.
Cette diminution des « poissons fourrages » (nom donné aux petits poissons) a également exacerbé la concurrence entre leurs autres prédateurs (tels que le poisson de fond et le saumon) et les baleines à bosse. Les conséquences ont été terribles sur les cétacés : une forte diminution des bébés, avec certaines femelles perdant du poids durant la phase d’allaitement, un anomalie jamais observée auparavant, l’apparition de baleines « maigres » à cause de la malnutrition, l’augmentation des échouages et la disparition de baleines emblématiques de certains sites spécifiques.
L’autopsie d’une baleine à bosse, marqueur du changement des écosystèmes
Parmi les mascottes des mers frappées par la famine, la mort de Festus, un mâle observé depuis plus de 45 ans, un record, a provoqué l’émoi de la communauté scientifique. Photographié pour la première fois en 1972, Festus passait les hivers à Hawaï et les étés en Alaska, effectuant une migration saisonnière aller-retour de plus de 8000km.
Les baleines à bosse peuvent vivre jusqu’à 90 ans. Âgé d’environ 65 ans au moment de son décès en 2016, son autopsie a permis de mieux comprendre les facteurs de stress environnementaux dans les écosystèmes marins. Comme ses milliers d’autres compères, Festus est mort de malnutrition et de faim.
Il était émacié, sa peau en mauvais état et criblée de poux de baleine, ce qui indique un système immunitaire en mauvaise santé. Les analyses des tissus de ses organes internes ont révélé divers problèmes de santé, notamment de multiples infections du cœur et des ganglions lymphatiques. La faible teneur en huile de sa graisse et un profil alimentaire d’isotopes stables sur cinq ans, collecté dans ses fanons, ont montré un stress nutritionnel extrême.
Autre conséquence du réchauffement climatique : Festus avait des neurotoxines acide domoïque et saxitoxine dans le corps, ce qui indique une exposition à des proliférations d’algues nocives dans l’environnement. L’examen de son squelette a également révélé comment la tentative échouée de lui poser une balise GPS en 1999 sur son flanc gauche a entraîné une inflammation, puis une déformation de ses os.
Surtout, l’autopsie a révélé une stabilité remarquable durant ses trois premières décennies de vie (1950-1980), à travers le profil hormonal et isotopique de son bouchon d’oreille cireux. Mais dès les années 1980, la variabilité des signatures isotopiques du carbone et de l’azote dans son corps indique un changement majeur dans l’écosystème marin. Les scientifiques y ont même repéré l’exposition au carbone des combustibles fossiles lâchés par la marée noire de l’Exxon Valdez en 1989.
Les baleines ne sont pas les seules touchées par ce changement profond des milieux marins. Plusieurs mortalités massives d’oiseaux ont été documentées telles que les 60 000 marmettes émaciées, mortes ou mourantes en 2015-2016 de la Californie à l’Alaska, apparemment à cause de la famine, avec des taux élevés d’échec de reproduction.
Dans la mer de Bearing, ce sont les macareux huppés qui ont été frappés par la famine, tout comme divers grands poissons de fond prédateurs d’Alaska, les otaries de Californie et les otaries à fourrure de Guadalupe.
Cette étude aux allures nécrologiques montre à quel point le réchauffement climatique peut perturber les écosystèmes et toute la chaîne trophique de façon dramatique. Alors que les politiques tardent à prendre les mesures qui s’imposent pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, la mort massive des baleines à bosse doit nous servir de leçon.
Ces sentinelles maritimes nous rappellent une fois de plus à quel point un Océan sain va de pair avec des baleines en bonne santé.
Sources : Gabriele, C. M., L. F. Taylor, K. B. Huntington, C. L. Buck, K. E. Hunt, K. A. Lefebvre, C. Lockyer, C. Lowe, J. R. Moran, A. Murphy, M. C. Rogers., S. J. Trumble, and S. Raverty. 2021. Humpback whale #441 (Festus): Life, death, necropsy, and research findings. Natural Resource Report NPS/GLBA/NRR—2021/2250. National Park Service, Fort Collins, Colorado / HappyWhale.com /