Guidées par l'envie commune de décarboner le transport maritime de passagers, la compagnie Îliens et la coopérative Sailcoop proposent des liaisons à la voile, entre Quiberon et Belle-Île-en-Mer pour l'une et Saint-Raphaël et Calvi pour l'autre. Des alternatives aux ferrys plébiscitées par des passagers en quête de transports plus vertueux comme d'expériences nouvelles.
Le voilier, un transport plus écologique
A l’heure où l’on parle de décarboner l’aviation, certains se sont lancés un autre pari : décarboner le transport maritime de passagers grâce à l’utilisation de bateaux à voile. Une initiative d’abord imaginée par la compagnie Îliens. Fondée en 2019 par Léon Passuello, cette dernière propose depuis 2021 des liaisons en catamaran d’avril à novembre entre Quiberon et Belle-Île-en-Mer, dans le Morbihan (Bretagne).
« A Quiberon, environ 1 million de passagers utilisent le ferry chaque année pour se rendre à Belle-Île, entame Jonas Duvivier, l’un des associés de la compagnie, pour La Relève et La Peste. On a voulu proposer une alternative décarbonée. »
Une ambition partagée par la coopérative Sailcoop. Fondée à l’automne 2021 par Maxime de Rostolan, Arthur le Vaillant et Maxime Blondeau, cette dernière propose notamment une liaison à la voile entre Saint-Raphaël et Calvi, en Corse. Pour ce faire, la coopérative dispose de deux voiliers de 15 mètres, prêtés par des propriétaires qui n’en avaient plus que peu l’usage, et permettant chacun de transporter 8 passagers.
« D’un point de vue réglementaire, ça n’a pas été facile, précise d’emblée Maxime de Rostolan, directeur général de Sailcoop, pour La Relève et La Peste. La législation stipule que les navires à passagers doivent transporter plus de 12 personnes, mais nous avons réussi à obtenir une dérogation dans le cadre d’une expérimentation nationale qui court jusqu’à fin 2024. On travaille d’un point de vue législatif à faire évoluer la situation. »
Des liaisons régulières à la voile
Des difficultés qui n’ont pas empêché les membres de la coopérative de réaliser deux premières saisons à succès. En 2023, la coopérative a transporté 1032 passagers entre le 20 avril et le 20 octobre entre Saint-Raphaël et Calvi, à raison d’un départ par jour entre les mois de juillet et septembre.
« Les trajets durent entre 15 à 18 heures, précise Maxime de Rostolan pour La Relève et La Peste. C’est plus long qu’en ferry, où le trajet dure 11 heures, mais les bateaux sont équipés de couchettes, c’est très confortable. »
Côté breton, la saison 2023 a également été concluante. Avec son catamaran doté d’une capacité de 80 places, la compagnie a transporté 19 000 passagers entre Quiberon et Belle-Île cet été, pour un total de 50 000 passagers depuis l’été 2021.
« Pour parcourir la distance d’environ 17 kilomètres qui sépare Quiberon de Belle-Île, il faut compter environ 1h30 de traversée, explique Jonas Duvivier pour La Relève et La Peste. Une fois, il nous est arrivé de la faire en 45 minutes. Le vent était très bon, forcément, ça a marqué les passagers. »
Des passagers sensibles aux enjeux écologiques
Du côté de Sailcoop comme de celui d’Îliens, l’engouement des voyageurs s’explique par l’envie de voyager de façon plus durable. D’après l’étude de satisfaction menée en 2023 par Sailcoop, 60% des passagers se disent très sensibles aux enjeux écologiques et 73% déclarent vouloir voyager sans polluer.
Une opportunité qui leur est effectivement offerte avec la coopérative, puisque cette dernière « décarbone à 95% par rapport au ferry, précise Maxime de Rostolan pour La Relève et La Peste. En moyenne, on utilise environ 3,2 litres de gasoil par passager par traversée. »
Un argument écologique qui fait également mouche chez les passagers de la compagnie Îliens.
« En cas d’absence totale de vent, le bateau est équipé d’un moteur, mais entre 60 et 80% du temps, on utilise uniquement la voile, détaille Jonas Duvivier pour La Relève et La Peste. Au total, on utilise environ 0,3 litre de carburant par personne et par traversée. »
Au-delà de l’aspect environnemental, les passagers sont nombreux à choisir ce mode de mobilité douce afin de « vivre une expérience extraordinaire, poursuit Jonas Duvivier. Beaucoup ne sont jamais montés sur un voilier. »
Et Maxime de Rostolan de renchérir : « Pendant nos traversées, 80% des passagers voient des dauphins, 50% des baleines. C’est vraiment unique comme expérience. »
Un coût encore élevé
Malgré un engouement réel pour la mobilité douce, certains paramètres refrènent encore certains voyageurs à franchir le cap, comme les incertitudes liées à la météo qui pourraient empêcher les voiliers de prendre le large. Sur ce point, la coopérative Sailcoop comme la compagnie Îliens se veulent pourtant rassurants.
« S’il y a trop de vent et qu’on ne peut pas partir, il y a différences options, assure Maxime de Rostolan auprès de La Relève et La Peste. Soit on rembourse le client, soit il peut attendre que les conditions météorologiques soient réunies pour partir, soit on lui propose de prendre le ferry, étant donné qu’on a conclu des partenariats avec des ferries. »
Du côté d’Îliens, « si les clients peuvent décaler leur voyage, on les incite à le faire, sinon, on les rembourse », assure également Jonas Duvivier.
Autre point important, le prix reste prohibitif pour de nombreux passagers. A titre d’exemple, un aller-retour entre la Corse et le continent peut coûter jusqu’à près de 500 euros pour un plein tarif. Un prix jusqu’à 5 fois plus cher que le ferry selon les compagnies.
En Bretagne, où le trajet est beaucoup plus court, l’écart tarifaire entre le voilier de la compagnie Îliens et le ferry est moins important, mais la compagnie va certainement devoir augmenter ses tarifs l’année prochaine pour faire face au coût de fonctionnement de l’entreprise. Pour la saison 2024, le prix sera de 54 euros en haute saison pour un aller-retour, contre environ 40 euros en ferry.
Des coûts que les membres de Sailcoop comme d’Îliens savent important et qu’ils souhaiteraient réduire, fustigeant de façon unanime l’absence de subventions.
« On se débrouille seul », regrette Jonas Duvivier. Même son de cloche du côté de Sailcoop : « Aujourd’hui, l’État ne nous subventionne pas, alors qu’on permet d’économiser du carbone, revendique Maxime de Rostolan auprès de La Relève et La Peste. On a réussi à lever de l’argent grâce à des financements participatifs et des bourses, mais il faut que l’État s’engage. »
Déterminé à poursuivre son développement, Sailcoop doit notamment se faire livrer un nouveau catamaran au printemps 2024 afin d’entamer des liaisons pour desservir la Bretagne Sud. Une arrivée en terre bretonne que la compagnie Îliens voit avant tout comme une « concurrence positive ».
« Si le marché prend de l’ampleur, on pourra peut-être, à terme, remplacer les ferrys », sourit Jonas Duvivier.
De l’autre côté de la Manche, l’entreprise SailLink, fondée par le Britannique Andrew Simons, a pour objectif d’assurer des liaisons régulières entre Boulogne-sur-Mer et Douvres, en Angleterre, à l’été 2024.