Explorée dans le plus grand des secrets après sa découverte lors d'une plongée en 1985, la grotte Cosquer est révélée au monde en 1991, puis étudiée depuis par deux générations d’archéologues-plongeurs. Véritable œuvre témoin du passage des Homo sapiens sur Terre il y a plus de 20 000 ans, ce vestige paléolithique unique au monde, situé à 37m de profondeur, est aujourd’hui en partie englouti et voué à disparaître à cause de la montée des eaux.
La grotte Cosquer, une découverte sous-marine incroyable
Tous les ans, ou presque, une nouvelle grotte ornée est découverte dans le monde. Mais la grotte Cosquer, située au cœur du massif des Calanques, à proximité du cap Morgiou entre Marseille et Cassis, est bien différente des autres. Avec son accès sous-marin, ses gravures peu habituelles et des techniques artistiques pointues, ce fleuron de l’art paléolithique est désormais classé Monument historique depuis 1992.
C’est lorsqu’Henri Cosquer, plongeur-scaphandrier professionnel tombe de façon inattendue en 1985 devant l’entrée de la grotte sous-marine et s’aventure étape par étape dans le long couloir, qu’il découvre une grande cavité creusée par l’eau et le temps dans le massif calcaire. Pour les préhistoriens qui considéraient le peuple humain quasi-inexistant dans cette zone géographique où ce type de patrimoine n’est pas le plus fréquent, la surprise fut de taille. Il s’agit à ce jour de la seule grotte paléolithique ornée avec un accès sous-marin connue au monde.
Avant que le site ne soit officiellement déclaré auprès des autorités maritimes six ans après sa première exploration, des plongeurs se sont engouffrés dans ce défi qui relève de l’exploit, où toute expérimentation flirt avec le danger. Techniquement compliquée et physiquement éprouvante, elle a valu la vie de trois d’entre eux.
Désormais sécurisée et non-autorisée aux plongeurs non-accrédités par le ministère de la Culture, il faut remonter un tunnel long d’environ 120 mètres débouchant sur une cavité d’une superficie de 2500 m2 en partie immergée, nichée à 37 mètres de profondeur, pour admirer ce trésor.
Une caverne paléolithique unique au monde
C’est à partir des prélèvements de charbon de bois que l’expert en préhistoire Jean Courtin affirme qu’il s’agit bien d’un site paléolithique. Les fouilles archéologiques actuelles nous apprennent que des hommes et des femmes ont fréquenté, sans y habiter, cette grotte pendant des millénaires « entre 33000 et 18500 avant le présent » qui leur servaient de sanctuaire ou lieu de réunion, et « site d’extraction de mondmilch, matière blanche des parois utilisée pour des peintures corporelles ou les peintures et gravures », explique Michel Olive, ingénieur d’étude au Ministère de la Culture.
Le site abrite des parois ornées d’animaux qui témoignent de leur présence sur les lieux. Pas moins de 229 figures et 13 espèces, retrouvés classiquement dans l’art pariétal, y sont représentées : bisons, bovidés, cerfs, bouquetins, félins et ours.
Mais la singularité de la grotte Cosquer repose sur la représentation d’animaux aquatiques. Du jamais-vu dans des grottes préhistoriques.
« C’est intéressant parce que la représentation d’oiseaux n’est pas courante dans l’art pariétal. Il faut s’imaginer des pingouins et des phoques dans un paysage marseillais épique, au même titre que l’Islande » commente Gabriel Beraha, archéologue préhistorien, pour la Relève et le Peste.
Des traces humaines d’Homo Sapiens y sont également répertoriées à travers la présence de 69 pochons de mains rouges et noires, ainsi que des centaines de signes géométriques et huit représentations sexuelles masculines et féminines.
« La Préhistoire interroge vraiment sur le rapport de l’humain à la nature. On a souvent tendance à les opposer alors qu’avant, les gens avaient une relation beaucoup plus intime avec la nature puisqu’ils en dépendaient » affirme le scientifique.
La grotte Cosquer, un joyau de l’humanité en voie de disparition
Le niveau de la mer dépend du climat et n’a pas toujours été le même. « À l’époque, on était en pleine glaciation, le niveau de la mer se trouvait 135 mètres plus bas et le littoral 10 km plus loin », livre l’archéologue Michel Olive, chargé de l’étude de la grotte au service régional de l’archéologie (DRAC).
« L’entrée de la grotte, légèrement en hauteur et exposée plein sud, faisait face à une vaste plaine couverte de graminées et protégée par les falaises, un lieu extrêmement favorable pour l’homme préhistorique », dit-il.
La grotte fut définitivement abandonnée à la fin de la glaciation il y a environ 10 000 ans, quand la forte remontée du niveau marin finit par engloutir son accès. « La Terre connaît depuis des millénaires un réchauffement climatique et naturel issu des cycles astronomiques et climatiques » indique Gabriel Beraha.
Bien que de nombreuses énigmes planent encore et questionnent les archéologues, la grotte Cosquer pourrait les enfouir à jamais en seulement quelques décennies. Si on part du principe que les surfaces actuellement immergées étaient aussi peintes et gravées, les œuvres observées à Cosquer ne sont que le reliquat d’un corpus pariétal autrefois bien plus étendu.
Le réchauffement climatique couplé à la pollution marine menace cet art pariétal. C’est en 2011 que l’archéologue Luc Vanrell alarme d’une montée de la mer brutale équivalente à 12 cm, et qui continue de progresser de quelques millimètres chaque année.
« Aujourd’hui, on est dans une phase où l’activité humaine a une incidence grave sur la montée des eaux, notamment à cause de la fonte des glaces terrestres, qui accélère ce phénomène de variation climatique » livre l’archéologue pour la Relève et la Peste.
L’homme bouleverse les équilibres naturels. Il arrête par des barrages l’arrivée des alluvions qui haussent les deltoïdes des grands fleuves. Il empêche par des digues les débordements naturels de ces fleuves. Il pompe l’eau douce et provoque l’enfoncement des sols et les infiltrations de sel. Il cultive des champs sous le niveau de la mer et extrait le sable marin, ce qui est la première cause d’érosion des côtes. L’eau grignote les murs, détache les pigments et rabote les tracés. Ajoutons à cela des secousses sismiques et la pollution de morceaux de plastiques qui se déposent sur les parois.
« Il y a des dessins qui s’effacent, qui s’abîment et notamment des gravures de chevaux qu’on ne voit quasiment plus » informe Gabriel. En plus d’avoir englouti 4/5 de la grotte depuis la dernière glaciation et engendré la perte d’un très grand nombre d’œuvres, la montée des eaux menace la surface restante.
« On sait que d’ici quelques décennies, l’ensemble des dessins aura disparu. Il y a pourtant encore des choses à découvrir, c’est un peu l’urgence. La solution initiale pour sauver les vestiges était de pouvoir les sortir physiquement de la cavité, mais c’est une solution qui demande de gros travaux, avec un accès à la grotte très limité » déclare l’archéologue.
Les prévisions alarmantes indiquent que la rade de Marseille devrait monter de 80 cm d’ici 2130. Une équipe de recherche a été constituée par l’État, afin de récolter un maximum de données avant sa disparition et de sauvegarder par l’étude ce qui tend à disparaître sous nos yeux.
« La numérisation complète de la grotte est donc en cours depuis des années » indique Gabriel Beraha. L’accès au grand public à la grotte Cosquer par le biais du projet de restitution et les moyens mis en place pour sa protection sont donc aujourd’hui essentiels.
Si le site originel est désormais étroitement protégé et réservé à quelques expéditions scientifiques, le grand public peut admirer la restitution de la grotte Cosquer à la Villa Méditerranée, à Marseille. Ouverte au public depuis le 4 juin 2022, cette réplique partielle de la grotte Cosquer offre au regard ses œuvres pariétales les plus marquantes et un véritable saut dans le temps.