Intimidations, agressions, saccages, les violences contre les militants écologistes, lanceurs d’alerte ou journalistes connaissent une recrudescence sans précédent. Les manifestations de la FNSEA et leur déchainement d’agressivité ne sont pas étrangers à cette flambée. Face à ces actions, un État complaisant.
« Va faire la soupe grosse salope », beugle un vigneron aux visages de Marine Tondellier, première secrétaire d’Europe Écologie Les Verts, et de Sandrine Rousseau, députée EELV, alors en déplacement dans l’Aude pour alerter contre un projet de golfe et d’hôtel de luxe sur des terres agricoles. Les deux femmes politiques sont accusées d’agribashing.
Face à la multiplication des agressions contre les élus, les lanceurs d’alerte ou les scientifiques, Europe Écologie Les Verts a lancé fin mai un « Observatoire des violences contre les militants écologistes ».
« Va faire la soupe salope, grosse salope ».@sandrousseau et moi nous sommes vues hier barrer la route par des vignerons de l'Aude.
Discuter ok (ce que nous avons fait d’ailleurs).
Les insultes, les entraves et les intimidations par contre, non.
On vous explique 🧶⤵️ #EELV pic.twitter.com/tx4Mx4U6dk
— Marine Tondelier (@marinetondelier) June 13, 2023
En janvier dernier, l’agression de l’agriculteur Paul François, qui a fait condamner Bayer-Monsanto pour son intoxication à l’herbicide Lasso, a choqué l’opinion publique. Le paysan est capturé par trois hommes. Ses jambes sont ficelées, ses bras sont liés. Menacé avec un couteau sous la gorge, les criminels tentent de lui faire avaler un liquide.
« On en a marre de t’entendre » lui dit un des trois hommes. L’enquête est en cours.
En mars, la voiture de la journaliste bretonne Morgan Large est sabotée pour la deuxième fois en deux ans. Les écrous de sa roue arrière gauche sont desserrés. Les médias pour qui elle travaille estiment que sa « vie est en danger ».
Morgan Large est reconnue pour son travail sur l’agro-industrie et les atteintes à l’environnement. Reporters sans frontières avait déjà demandé sa mise sous protection policière, ce qui lui avait été refusé. Les gendarmes lui conseillent d’installer une caméra de chasse.
Politiques, journalistes, lanceurs d’alerte mais aussi activistes et associations sont pris pour cible. Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, en a fait les frais fin mars. Une quarantaine de pêcheurs pénètrent dans son jardin. Plusieurs dizaines de caisses de poissons vides y sont déposées.
L’un des marins présents diffuse l’adresse de la militante sur les réseaux sociaux. Il a été condamné le mercredi 5 juillet à deux amendes de 800 et de 1 300 euros pour dommages et intérêts. L’histoire finit bien, Lamya Essemlali ayant réussi à maintenir un dialogue avec les pêcheurs le jour de leur intrusion chez elle.
À propos de la venue des pêcheurs au domicile de Lamya Essemlali @SeaShepherdFran : "il était prévu qu'on fasse cramer la maison"… L'impunité de ces gens 😶 https://t.co/RhByAqI2ku
— Charlotte (@Chr_Cobblepot) April 28, 2023
Symbole du conflit entre lobbies agro-industriels et écologistes, les méga-bassines sont au cœur des tensions. Le quotidien des militants anti-bassines est inondé de menaces. Le 18 novembre 2022, Valentin Gendet est passé à tabac par deux hommes. Visage tuméfié, minerve au cou et béquilles ont dicté le quotidien du niortais pendant plusieurs semaines. Une enquête a été ouverte. A ce jour, le résultat des investigations n’est pas connu.
Ces derniers mois, un bon nombre de permanences d’élus écologistes ont été murés ou détériorés. Plus les contraintes environnementales pèsent sur le milieu agricole et le secteur de la pêche, plus les violences flambent. Une expansion attisée par l’Etat.
UN MILITANT ANTI-BASSINES AGRESSÉ BRUTALEMENT ET BLESSÉ DEVANT SON DOMICILE
Communiqué de Presse dans ce fil
Aujourd’hui, notre camarade Valentin Gendet a déposé plainte à la gendarmerie de Melle, suite à l'agression dont il a été victime le 18 Novembre à son domicile. pic.twitter.com/wKl1HUEMfC
— Les Soulèvements de la terre (@lessoulevements) November 24, 2022
L’impunité de la FNSEA
Demandée expressément par la FNSEA, la dissolution des Soulèvements de la Terre intervient dans un temps politique où la mainmise du syndicat agricole sur le gouvernement est plus que jamais d’actualité. En privé, certains de ses membres se sont vantés d’avoir obtenu la dissolution du mouvement tout en déclarant « sinon on aurait tout cassé ».
Des pratiques violentes et des menaces à l’égard des militants écologistes, des élus et des bâtiments institutionnels, qui ne datent pas d’hier et qui ne font qu’augmenter avec le temps.
Depuis une soixantaine d’années les débordements lors des manifestations de la FNSEA accompagnés maintenant par le syndicat Jeunes Agriculteurs sont monnaie courante. Avec l’augmentation des réglementations environnementales, notamment au début des années 2010, ils se sont encore accrus. En septembre 2013, la maison et l’arboretum du parc naturel régional du Morvan (Bourgogne Franche-Comté) ont été mis à sac.
Un an plus tard, en septembre 2014, le centre des impôts et la mutualité sociale agricole de la ville de Morlaix sont incendiés à l’aide de palettes et de pneus. Les manifestants protestent contre les contraintes fiscales et administratives. Les sapeurs-pompiers avaient été empêchés d’accéder au bâtiment des impôts et d’éteindre l’incendie.
Mi-mai, après plus de huit ans de procédures judiciaires, trois agriculteurs ont été condamnés à des peines allant de un à deux ans de prison avec sursis. Le montant des dégâts qui condamnera les trois hommes à payer une amende sera estimé en octobre prochain.
A l’époque, le président de la FDSEA (Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) Thierry Merret déclarait : « je tire un coup de chapeau à ceux qui ont osé faire ce qu’ils ont fait ». Même son de cloche chez Xavier Beulin, le président de la FNSEA de l’époque qui avait refusé de condamner les violences, interprétant l’action d’acte de « détresse très forte ».
En octobre 2014, à Nevers, une manifestation à l’appel de la FDSEA, Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles, dénonce la surcharge administrative qui pèse sur la « compétitivité » des productions agricoles. Du fumier est déposé devant la préfecture de la Nièvre, et des heurts éclatent avec les forces de l’ordre.
Quelques jours plus tard, en novembre, le mobilier urbain et le centre-ville de Valence sont détruits lors d’une manifestation de la FNSEA contre les contrôles et les réglementations. Des dommages estimés à 70 000 euros.
A Quimper, en juillet 2015, lors de la « Nuit de l’élevage en détresse » organisée par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, un supermarché Lidl est saccagé. Une voiture de police est renversée en centre-ville.
Encore une fois Xavier Beulin avait refusé de condamner les agissements expliquant que « les éleveurs, à bout, n’ont plus rien à perdre». A Vannes, des arbres sont arrachés sur le parking d’un hypermarché Leclerc, des abris de caddie sont incendiés.
Un mois plus tard, en août, une manifestation escargot en présence du président de la FNSEA dégénère à Grenoble. Le bâtiment de la direction départementale du territoire est visé, les vitres sont brisées, un feu allumé devant le site. Plus tôt dans l’après-midi, la boîte aux lettres du lieu avait été incendiée, un mur de parpaings avait été bâti pour empêcher l’accès au lieu. Aucune interpellation n’a lieu.
Le salon de l’agriculture 2016 connaît également son lot de violence. Des militants de la FNSEA saccagent le stand du ministère de l’agriculture. Dominique Barreau, secrétaire général du syndicat agricole déclare alors être « aux côtés des agriculteurs d’ile de France ». Deux membres de la FNSEA sont arrêtés. Après un contrôle d’identité, ils sont relâchés sans être poursuivis.
Une recrudescence des violences depuis le début de l’année
Comme évoqué précédemment, la criminalisation des mouvements écologistes entraîne une accentuation des violences à leur égard. Ainsi, en février dernier, les locaux de France Nature Environnement (FNE) de Toulouse sont pris pour cible. Des détritus sont déversés devant le bâtiment. Des menaces sont proférées. Des projectiles sont lancés. Un manifestant agresse physiquement le directeur de l’agence. La FNE a porté plainte, l’instruction est en cours.
Des faits similaires s’étaient déroulés en février 2020 devant le Maison de l’environnement de Midi-Pyrénées. Des affaires restées sans suite par la justice.
L'APECS exprime son soutien aux agents #brestois de l'@OFBiodiversite suite à l'incendie qui a touché leurs locaux et déplore tout acte de violence.
L'OFB est un acteur incontournable de la protection de la biodiversité et de la concertation entre les acteurs de la mer. pic.twitter.com/gBa2MhayhW— Association APECS (@AssoAPECS) April 3, 2023
Plus récemment, en mars, la maison du vice-président de France Nature Environnement de Charente-Maritime située à La Rochelle est saccagée et recouverte de tags homophobes en marge d’une manifestation de la FNSEA. Joint par FranceTvInfo, Cédric Tranquard, le nouveau président du syndicat agricole « ne cautionne pas » les agissements mais a déclaré « comprendre les gars », avant de rajouter « peut-être aussi que cette personne a bien cherché ce qui lui arrive ».
En mars 2023, le maire de l’Humeau en a fait les frais, lui qui s’est vu menacé d’être “séquestré dans sa maison” par le président de la FNSEA du canton de La Rochelle. Son tort ? Vouloir convertir 44 ha de terres agricoles en bio. Assorti de cette menace, un mélange de pneus, de gravats et de fumier avait été déversé par les agriculteurs industriels en colère. Le maire de l’Houmeau a porté plainte pour se protéger.
L’apothéose a lieu début avril à Brest quand, au lendemain d’une manifestation de pêcheurs, l’Office de la biodiversité est incendié.
Des bâtiments d’État incendiés face à quelques salades arrachées. Des passages à tabac contre quelques coups de cutters sur les bâches de bassines géantes. Des « agriculteurs en colère » face à des « écoterroristes ». L’État a choisi son camp !