Les 9 et 10 mai se tenaient deux journées internationales d’action contre les principaux financeurs des énergies fossiles. La principale banque visée ? BNP Paribas. Façades d’agences repeintes, distributeurs neutralisés, une désobéissance civile organisée conjointement par les Scientifiques en Rebellion, Alternatiba, Extinction Rébellion, ANV COP 21, STOP EACOP et Dernière Rénovation.
Il est 22h30 le mercredi 10 mai quand les militants d’Extinction Rebellion débarquent à l’intersection de l’Avenue Emile Zola, de la rue Fondary et de la rue Frémicourt dans le 15ème arrondissement de Paris. Un endroit stratégique puisque le carrefour concentre trois agences bancaires. L’une de BNP Paribas, l’autre du Crédit Agricole, et la dernière de la Société Générale.
L’action est rapide. Les devantures sont aspergées d’un liquide noir rappelant le pétrole. Au sol, des pochoirs permettent de marquer à la bombe « Carnage Total », le nom de l’action menée depuis janvier par Extinction Rebellion contre les banques finançant le projet Eacop.
Acronyme de « East African Crude Oil Pipeline », le projet prévoit la construction d’un oléoduc de 1444 km entre l’Ouganda et le port de Tanga en Tanzanie, dont 400km à travers le bassin du lac Victoria. Un plan qui a pour principaux investisseurs TotalEnergies et la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), qui ont obtenu des permis de forages. Au total, 400 puits seront creusés et 216 000 barils de pétrole sortiront par jour des sous-sols Ougandais.
L’opération dans le 15ème arrondissement est venue conclure une opération de deux jours, organisée dans 28 villes françaises et à l’international. Le collectif promet déjà d’autres journées coups de poing le 18 et 26 mai prochain, le jour de l’Assemblée Générale de TotalEnergies, une des entreprises mondiales leaders dans l’hydrocarbure. Le 18 promet d’être une journée de mobilisation « d’ampleur » avec des actions de désobéissance civile « importantes », nous promet une porte-parole d’Extinction Rebellion.
Mercredi, à midi, une quinzaine de scientifiques et des militants d’Extinction Rebellion ont recouvert l’agence BNP de la place d’Alésia d’affiches appelant à stopper les investissements de la banque dans les énergies fossiles.
« On est démunis. Les constats scientifiques sont là. On a tout ce qu’il faut sur la table pour faire l’état des lieux de la catastrophe et puis dessiner différents modes de sortie mais on n’en prend pas du tout la route », nous déclare Kévin Jean, épidémiologiste membre des Scientifiques en Rebellion, collectif international de scientifiques, qui souhaite sensibiliser au réchauffement climatique en passant à l’action.
« Les alertes classiques ne suffisent plus donc il faut passer au niveau supérieur en utilisant cette tactique de désobéissance civile. »
« Arrêter les nouveaux projets liés aux énergies fossiles »
A Marseille, Toulouse, Nancy, Lyon, Lille, Nantes, Strasbourg, Nice, Grenoble ou encore Paris, la même revendication : « arrêter les nouveaux projets liés aux énergies fossiles et entamer une politique de décroissance, la seule compatible avec le respect de l’accord de Paris sur le climat ».
L’accord prévoit la limitation du réchauffement climatique à 1,5 degrés, soit des émissions futures de 300 GT de CO2 maximum, pour réduire les risques de vagues de chaleur extrêmes, de sécheresses et d’inondations.
Problème, il existe aujourd’hui 425 bombes climatiques, ou bombes à carbone, répertoriées à travers le monde. Ce terme désigne les exploitations d’énergies fossiles, les phénomènes de méthanisation des sols ou de fonte du permafrost susceptibles d’accélérer le réchauffement climatique. Combinées, leurs émissions dépasseront de deux fois le budget carbone mondial limitant le réchauffement à 1,5 degré selon le rapport « Bombes à carbone » – Cartographie des principaux projets de combustibles fossiles.
Et pourtant l’industrie des combustibles fossiles continue son expansion. Au total 195 bombes à carbone d’immenses projets pétroliers ou gaziers vont voir le jour. 60% d’entre eux ont même déjà débuté.
Pendant la totalité de leur durée de vie, ces bombes climatiques émettront « chacune plus d’un milliard de tonnes de CO2 et nous empêcheront de respecter l’accord de Paris » dénonce le physicien Julian Carrey.
Les Etats-Unis, le Canada et l’Australie sont en tête de liste des pays ayant les projets les plus extravagants. Selon une enquête du Guardian datant de mai 2022, « la douzaine de plus grandes compagnies pétrolières mondiales sont sur la bonne voie pour dépenser 103 millions de dollars chaque jour sur le reste de la décennie » pour l’exploitation d’énergies fossiles. Parmi les plus gros financeurs de ces entreprises se trouve une des banques françaises les plus puissantes : la BNP.
La BNP a augmenté de 20% ses financements d’énergies fossiles en 2021
Entre 2016 et 2022, l’entreprise a investi quelque 166 milliards d’euros de dollars dans le charbon, le pétrole et le gaz, ce qui en fait la quatrième banque mondiale et la première européenne investissant dans les énergies fossiles. C’est aussi la banque mondiale qui finance le plus les développements d’extractions d’énergies fossiles en Arctique.
La BNP avait pourtant, en avril 2021, rejoint le Net Zero Banking Alliance (NZBA), un accord sous l’égide de l’ONU pour tendre vers la décarbonation du système financier. Un mois après, la banque prêtait 10 milliards d’euros à Saudi Aramco, plus grande entreprise saoudienne spécialisée dans l’hydrocarbure. Puis, un an plus tard, elle accorde un prêt de 14 milliards à cette même compagnie.
« C’est une banque qui se présente comme vertueuse, qui a annoncé une feuille de route climatique, mais qui continue d’investir notamment dans le gaz » assène Kevin Jean.
Dans ce contexte, une lettre ouverte rédigée par plus de 600 scientifiques, dont plusieurs co-auteurs et coautrices des rapports du GIEC, a été publiée le 24 février 2023 dans L’Obs. Ils y demandent explicitement au Conseil d’administration de BNP Paribas de prendre leurs responsabilités en cessant tout soutien à l’ouverture de nouveaux gisements fossiles.
Un jour avant la parution de cette lettre ouverte, le 23 février 2023, les associations Les Amis de la Terre, Notre Affaire à Tous et Oxfam France assignaient la BNP en justice pour non-respect de son devoir de vigilance en matière climatique. Une première pour une banque dans le cadre de sa contribution aux réchauffements climatiques.
Face à l’inaction des géants de l’énergie et de leurs financeurs, les scientifiques en rébellion déclarent vouloir « soutenir » les organisations telles que XR, Alternatiba ou Stop EACOP, « qui demandent des changements radicaux dans la société » et qui sont « du côté du constat scientifique ».
« Ceux-là même que l’on va traiter d’éco-terroristes ou de zadistes sont du côté du constat scientifique » conclut Kévin Jean.