On prend les mêmes et on recommence. Après un bénéfice net multiplié par 23 en un an au troisième trimestre 2021, TotalEnergies vient d’annoncer sans surprise un bénéfice historique de 14 milliards d’euros pour l’année 2021. Pour éviter la colère populaire, la major pétrolière française accorde 50 millions d’euros d’aides aux consommateurs. Une bien piètre compensation pour les ONGs qui dénoncent les nombreuses aides publiques captées par une entreprise ayant supprimé 1850 emplois en France, et dont l’impact écocidaire continue partout dans le monde.
Un bénéfice jamais-vu en France
La crise énergétique n’en finit plus d’augmenter le coût de la vie ; mais alors que les citoyens se serrent la ceinture à la fin du mois pour payer l’essence qui leur permettra de se rendre au travail, les producteurs d’énergies fossiles encaissent les billets.
Ce tableau manichéen pourrait être dépeint par un journal satirique mais force est de constater que la pandémie a seulement permis aux « champions du monde d’avant » d’encaisser encore plus de profits dans « le monde de pendant ».
Ce jeudi 10 février, TotalEnergies a ainsi défrayé la chronique en annonçant un énorme bénéfice net de 16 milliards de dollars (soit environ 14 milliards d’euros) en 2021 sur un chiffre d’affaires de 205 milliards de dollars (179,4 milliards d’euros). Du jamais-vu pour une entreprise française.
« C’est le bénéfice le plus important de toute l’histoire de toutes les entreprises en France. » relève la journaliste économie et politique de Blast Salomé Saqué
Ces profits sont les plus hauts du géant français de l’énergie depuis au moins quinze ans. Ils font suite à une perte de 7,2 milliards de dollars (environ 6,1 milliards d’euros) en 2020 en raison de la crise du Covid-19, mais surtout à la hausse du cours des hydrocarbures. Ainsi, le troisième trimestre 2021 représente une forte progression de 66% par rapport au troisième trimestre de 2019, avant la crise du Covid-19.
Conscient du tollé général qu’allait provoquer cette annonce, le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, a annoncé octroyer deux petites aides à destination des ménages français. La première : une ristourne de 10 centimes pour un litre de carburant, soit 5 euros de remise pour un plein dans ses stations rurales. L’offre sera valable durant trois mois, à compter du lundi 14 février.
En y regardant de plus près, ce prétendu cadeau ressemble plus à un alignement sur la concurrence, ainsi que le note ce journaliste de Franceinfo : « Dans un supermarché de la Vienne, les carburants coûtent environ 10 centimes moins chers. Avec cette remise, Total espère revenir dans la course. »
Deuxième aide : un « chèque gaz » de 100 euros pour ses clients en précarité énergétique. Selon le groupe, le coût de cette « solidarité » s’élèverait à environ 50 millions d’euros. Pour certains, cette somme n’est rien de moins qu’un écran de fumée destiné à faire oublier les 14 000 millions d’euros de bénéfices.
Une inégale répartition des richesses, même en interne
Ces mégaprofits relancent le débat sur la répartition des richesses. Sur les réseaux, les observateurs rivalisent d’ingéniosité pour donner des ordres de grandeurs pertinents. Ainsi, Mickaël Correia, journaliste au pôle écologie de Mediapart et auteur du livre « Criminels Climatiques » décrypte :
« Le coût de ces mesurettes sera de 50 millions d’euros pour la firme. Soit 0,3% des 15 milliards des bénéfices records de TotalEnergies pour 2021. Des miettes jetées au pauvres pour cette multinationale qui émet à elle seule autant de CO2 que l’ensemble des Français. »
Même les salariés du grand groupe français n’auront pas leur part du gâteau. L’économiste Maxime Combes, cofondeur de l’Observatoire des Multinationales, ne mâche pas ses mots.
« Verser des miettes, c’est aussi ce que font TotalEnergies et Patrick Pouyanné pour leurs salariés : en novembre 2021, 33 M€ de primes exceptionnelles, soit 0,4% de ce que les actionnaires ont touché dans l’année (plus de 7,6 Mds € de dividendes et rachats d’action). »
Or, chez TotalEnergies, tous les salariés ne sont pas logés à la même enseigne. Ainsi, les salariés de l’entreprise Hutchinson, une filiale du groupe TotalEnergies comprenant au moins 8 000 personnes en France et 40 000 dans le monde, n’ont pas reçu la prime de 500 dollars versée aux autres collaborateurs.
Et ce, alors que ces salariés figurent parmi ceux les moins bien payés de la major pétrolière, avec « des salaires très proches du smic » (1 603 euros brut par mois) pour certains, affirme Didier Godde, coordinateur CGT de cette filiale spécialisée dans le caoutchouc, pour LeMonde.
En 2020, la rémunération annuelle du PDG du groupe Patrick Pouyanné s’élevait encore à 3,9 millions d’euros, après une une baisse de plus d’un tiers par rapport à l’année précédente. Les grands gagnants de ces bénéfices records sont donc, une fois de plus, les actionnaires :
« Au titre de l’exercice 2021, au moins la moitié (8 milliards de dollars) des profits de TotalEnergies iront rémunérer ses actionnaires en dividendes. En complément, le groupe compte dépenser 2 milliards de dollars en rachats d’actions au seul premier semestre 2022. Une pratique censée soutenir le cours du titre en Bourse. » explique le journaliste économie de LeMonde Adrien Pécout
Durant l’année 2020, au plus fort de la crise sanitaire, et malgré le prix du baril de brent au plus bas, TotalEnergies avait ainsi maintenu le versement des dividendes aux actionnaires pour un montant de 7 milliards d’euros, racheté des actions pour 0,6 milliards d’euros et cela malgré 7 milliards d’euros de pertes.
Au-delà de l’inégale répartition des richesses, les versements aux actionnaires sont problématiques pour les associations environnementales dans le sens où ils empêchent l’entreprise d’investir correctement dans les énergies renouvelables, c’est à dire à la hauteur des enjeux écologiques et climatiques en cours.
Malgré les belles promesses de la major qui veut consacrer plus de 20% des investissements nets du groupe dans les énergies renouvelables et l’électricité entre 2022 et 2025, les associations sont sceptiques, habituées au greenwashing du groupe pétrolier.
Ainsi, TotalEnergies produit aujourdʼhui 447 unités d’hydrocarbures pour 1 seule unité dʼ énergies renouvelables, comme le révèle une note de Greenpeace datée du 10 février.
Dans son rapport sur le greenwashing de TotalEnergies, Oxfam France explique : « En 2050, ce ratio sera de 1 pour 25 – ou seulement 4%. Certes, il sʼ améliore, mais les fossiles resteront toujours au cœur du modèle de lʼ entreprise. Le pétrole est la machine à cash du groupe, lui permettant de maintenir sa politique de dividendes. […] Selon le rapport du Carbon Disclosure Project basé sur des données non publiques, en 2018 Total nʼ avait investi que 271 millions dʼeuros dans ses projets renouvelables, soit 1,9% de ses investissements bruts totaux. Difficile de connaître le chiffre réel pour les années suivantes. »
Surtout, ce pourcentage inclut toujours le gaz destiné à la production d’électricité, or le « gaz naturel » n’est rien de plus qu’une énergie fossile. Un discours hypocrite et une opacité qui rappelle les pratiques historiques de l’entreprise, qui a alimenté le climatosceptiscime pendant 50 ans afin de se dédouaner de ses responsabilités.
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Preuve que l’entreprise française reste focalisée sur l’exploitation d’énergies fossiles, TotalEnergies vient d’annoncer en fanfare un accord d’investissement de 10 milliards de dollars avec l’Ouganda et la Tanzanie pour ses projets Tilenga et EACOP.
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Ils ont pour objectif de construire plus de 400 puits de pétrole et le plus long oléoduc chauffé au monde, et ce en dépit de leur impact écocidaire sur l’un des plus grands havres de biodiversité d’Afrique, le lac Albert, et le parc des Murchison Falls, le plus vaste et plus beau parc naturel de l’Ouganda ; mais aussi des violations des droits humains – liées à l’expropriation de plus de 100 000 personnes.
Pour arrêter l’impact mortifère de la multinationale, inutile de compter sur le gouvernement français qui soutient activement ces projets dangereux en Afrique, quitte à faire des alliances avec un dictateur au pouvoir depuis 35 ans.
Sur ce dernier dossier, Total devra néanmoins faire face à ses responsabilités devant la justice française dans les prochains mois puisque, suite à la victoire des Amis de la Terre France, Survie et de leurs partenaires ougandais devant la Cour de Cassation au sujet du tribunal compétent, l’affaire sera enfin jugée sur le fond devant un tribunal judiciaire.
Une plus juste répartition des richesses en France, elle, se fait toujours attendre. C’est pourquoi un mouvement de grève a débuté mercredi parmi la vingtaine d’usines de la filiale Hutchinson, pour une meilleure rémunération, en écho à de très nombreuses grèves similaires dans toute la France.
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Crédit photo couv : Fabian Sommer / dpa Picture-Alliance via AFP
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