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Zep : « soit l’humanité disparaît, soit elle trouve un sens, autre que consommer »

"Ce qui est inquiétant, c'est notre dépendance à la technologie, qui nous déconnecte des gestes fondamentaux appris avec notre environnement. En tant qu'auteur, c'est fascinant, mais en tant qu'humain, c'est préoccupant."

Zep n’est pas que le papa de Titeuf. Il explore aujourd’hui des récits puissants, entre S.F., écologie et philosophie, porté par un regard mature et une envie intacte de raconter le monde. Propos recueillis par Alexandre Sauzedde, pour la radio indépendante Wave Radio, avec laquelle La Relève et La Peste collabore depuis plusieurs années.

Cet entretien a initialement été publié dans le magazine Wave Radio, que vous pourrez retrouver dans sa version digitale gratuite en cliquant ici. La Relève et La Peste collabore depuis plusieurs années à sa rubrique Environnement.

Après Titeuf, qu’est-ce qui vous a poussé à explorer des récits plus adultes, centrés sur les enjeux environnementaux ?

J’abordais déjà ces thèmes dans Titeuf car ils s’imposent naturellement à un auteur. Même en fiction, on reste lié à l’époque dans laquelle on vit, influencé par le contexte social. L’idée, c’était de montrer les préoccupations actuelles à travers le regard d’un enfant, avec une approche plus légère et rassurante.

En vieillissant, j’ai eu envie de parler de choses plus graves, plus adultes. J’aime la science-fiction, l’anticipation : c’est une excellente façon de questionner le présent. Imaginer le futur, c’est réfléchir aux enjeux d’aujourd’hui et à ce qu’ils peuvent produire.

C’est ça, le rôle de la science-fiction : proposer des hypothèses, alerter parfois, et nous faire penser à la société qu’on construit.

Zep @ Valérie Martinez, 2022

Avec des récits plus réalistes et engagés comme « The End » ou « Ce que nous sommes », vous avez pris un tournant. Comment a-t-il été perçu par vos éditeurs, le public et les médias ?

Ce tournant s’est fait en douceur. J’avais déjà en tête des récits plus réalistes, que je notais dans des carnets sans vraiment les revendiquer. Je me voyais surtout comme un auteur d’humour, une posture que j’avais adoptée dès l’enfance pour faire face à une certaine inquiétude face au monde.

L’humour était une façon de tenir à distance l’angoisse. Puis, avec le temps, cette peur s’est estompée.

J’ai commencé à regarder le monde avec plus de recul, parfois même d’émerveillement, malgré la conscience aiguë des menaces qui pèsent sur lui. Ce regard plus mature m’a donné envie de traiter des sujets humains et sociétaux sous un autre angle.

Naturellement, mon dessin a suivi cette évolution, avec un style plus réaliste, ancré dans l’observation. L’accueil a été plutôt positif. Il y a eu de la surprise, évidemment, mais aussi de la curiosité. On m’a demandé si j’abandonnais l’humour, mais non : pour moi, c’est toujours la même envie de raconter.

Ces albums ont aussi touché un nouveau public, parfois éloigné de la B.D., attiré par le format roman graphique, cette étiquette qui rend peut-être la B.D. plus accessible à certains.

Extrait de « Ce que nous sommes » @ Zep

Pensez-vous que la fiction peut avoir un impact sur la prise de conscience écologique ?

La fiction a un impact profond car elle nous immerge dans les histoires de manière émotionnelle, contrairement aux informations qu’on regarde souvent avec distance.

Prenez un sujet comme le clonage. Quand j’étais ado, c’était une question qui revenait souvent dans les débats éthiques, mais ça restait un peu abstrait. Puis vous voyez Blade Runner, et tout à coup, la question vous percute. Elle devient personnelle, émotionnelle.

C’est cette capacité de la fiction à engager et à faire ressentir qui est essentielle. Elle joue un rôle majeur dans la prise de conscience sur des sujets comme la guerre, l’écologie ou les inégalités.

Aux États-Unis, la fiction a parfois eu plus d’impact que les manifestations, en touchant des personnes qui n’étaient pas déjà convaincues et en ouvrant leurs yeux sur l’inacceptable.

Passer de l’humour à des récits plus sombres et philosophiques, ça a changé votre façon d’écrire et de dessiner ?

Oui, complètement ! Ces récits disent autre chose que Titeuf. L’objectif, ce n’est pas de faire peur aux jeunes, mais de les rassurer, de leur montrer qu’ils peuvent agir. Dans Titeuf, il s’agit de comprendre, d’observer le quotidien. Dans The End, on passe à un récit plus apocalyptique, qui fait un peu peur — et c’est aussi ce qu’on cherche en science-fiction.

On aime frissonner, pas forcément être rassuré. Quand la S.F. parle d’extraterrestres, on garde de la distance. Mais dès qu’on touche à l’écologie ou au climat, ça devient très concret. Les scientifiques posent les faits. Nous, auteurs, on a la liberté d’imaginer jusqu’où ces faits pourraient aller. C’est la force de la fiction.

Et quand elle s’appuie sur du réel, oui, elle peut — et peut-être doit — faire un peu peur. C’est une manière de provoquer une prise de conscience.

Dans The End, la nature est presque un personnage à part entière. Comment avez-vous travaillé cette idée ?

Ça commence toujours par un instinct. Puis je rencontre des scientifiques qui ont passé leur vie sur ces sujets, pour confronter mon scénario. Pas pour le faire valider scientifiquement, mais pour échanger. Leurs apports nourrissent souvent la fiction.

Dans The End, par exemple, j’ai rencontré Francis Hallé, grand botaniste français. Ce qu’il m’a raconté était passionnant, parfois même plus poussé que ce que j’écrivais. Ses observations apportaient un socle concret à des ressentis que j’avais déjà.

Je dessine des arbres depuis longtemps, je passe beaucoup de temps avec eux. Je sens bien qu’il existe un monde avec lequel on ne communique pas, mais qu’on devrait écouter.

Si on continue à exploiter notre environnement sans échange, cela finira mal : nous sommes interdépendants. Toutes les autres formes de vie nous permettent de vivre. Mais nous, à quoi servons-nous pour les autres ?

La nature est pragmatique : ce qui ne sert à rien disparaît. Nous, on se sert de tout, mais on ne sert à rien. Alors, soit on disparaît, soit on trouve un sens, autre que consommer.

L’idée que tout a été créé pour l’homme vient de la religion. Elle a eu son utilité, mais aujourd’hui, elle fait des ravages. Il est temps de remettre en question cette vision et de réécrire notre récit.

Extrait « The End » @ Zep

Ce que nous sommes oppose une humanité ultra-technologique à une nature reléguée au second plan. Pensez-vous que notre futur ressemblera à cette vision, ou avez-vous un espoir ?

Je pense qu’un effondrement technologique est inévitable. Avant, c’était une idée fictionnelle, mais aujourd’hui, c’est évident. On s’engage dans une escalade technologique sans avoir l’énergie nécessaire pour la soutenir, ce qui mènera à un effondrement.

Ce qui est inquiétant, c’est notre dépendance à la technologie, qui nous déconnecte des gestes fondamentaux appris avec notre environnement. En tant qu’auteur, c’est fascinant, mais en tant qu’humain, c’est préoccupant.

On voit émerger une vraie vague d’auteurs qui intègrent des thématiques écologiques dans leurs œuvres.

Un de mes auteurs préférés, c’était Philip K. Dick. En B.D., Bilal, Jodorowsky et Moebius m’ont marqué avec leurs visions de sociétés futures. Adolescent, j’adorais qu’on me raconte l’histoire de mon avenir. C’était grisant.

La science-fiction ne promet pas forcément des lendemains qui chantent, mais elle montre que l’avenir change, et c’est rassurant, surtout quand on voit ce qui dysfonctionne aujourd’hui.

Bien sûr, certains récits, comme La Route de McCarthy, sont très sombres — du désespoir pur (rire) — mais chez K. Dick, il reste toujours une petite lueur. Moi, je reste optimiste.

L’humain peut tout détruire, mais il peut aussi comprendre et s’adapter. Avec un cerveau aussi évolué, on devrait pouvoir mieux faire.

Extrait « The End » @ Zep

Avez-vous envie d’explorer davantage ces thématiques dans vos prochains projets ?

Dans le dernier Titeuf, j’aborde pas mal de thèmes liés à l’environnement. Mais en ce moment, je travaille sur un livre qui s’en éloigne. J’y raconte une histoire humaine, sans parler de l’avenir de la société.

Ce discours est saturé en fiction : on en parle tout le temps, au risque de provoquer un rejet. Les gens veulent qu’on les laisse tranquilles, avec leurs SUV, leurs jets… (rire). Ce repli apparaît quand on insiste trop.

Avec les enjeux de l’intelligence artificielle, qui vont profondément bouleverser la société, il faudra repenser la place de l’humain. Aujourd’hui, notre présence est souvent justifiée par notre travail. Mais si beaucoup perdent leur emploi, qu’est-ce qui nous définira ? C’est peu optimiste, mais cela ouvre de nouvelles pistes pour la fiction.

Elle peut nous aider à imaginer des futurs différents et à faire évoluer les mentalités. Les histoires ont ce pouvoir : elles nous touchent, nous font voir le monde autrement. En lisant, on explore d’autres vies, d’autres points de vue.

Ayant grandi à Genève, dans un contexte très protégé, ce sont les récits qui m’ont ouvert les yeux sur le monde et ont éveillé ce désir de l’améliorer.

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