La longue lutte entre Nestlé Waters et les habitants de Vittel et Contrexéville n'en finit plus ! Ces derniers accusent Nestlé Waters d’être à l’origine d'un déficit chronique de la nappe phréatique inférieure de leurs communes. Opposés à la privatisation de l’eau, le collectif eau88 est en poursuite judiciaire contre la multinationale qui a illégalement pompé plus de 10 milliards de litres d’eau entre 2007 et 2022 en exploitant neuf forages sans autorisation.
Un combat de longue haleine
Depuis plusieurs années, les associations environnementales et des habitants s’opposent à l’accaparement et à la commercialisation des nappes phréatiques par Nestlé Waters. En cause : la raréfaction de l’eau dans la nappe phréatique des Grès du Trias Inférieur qui menace l’approvisionnement en eau potable de la population, alors que l’industriel continue de pomper pour commercialiser son eau en bouteille.
En octobre 2019, voté officiellement en mai 2023 le comité de bassin Rhin-Meuse a ainsi rejeté la proposition de créer un pipeline pour acheminer l’eau de plus loin et a imposé la priorité de l’usage de la nappe aux habitants. Pour y parvenir, le comité préconise de prendre en compte les deux nappes phréatiques (supérieure et inférieure) dans la répartition des volumes attribués à chacun des usagers avec l’objectif de rétablir l’équilibre de la nappe d’ici 2027.
« Si nous sommes ravis de la décision du comité de bassin, la date est un problème : 2027, c’est beaucoup trop tard. A la base, l’objectif d’équilibre de la nappe devait être atteint en 2015, puis en 2021. La Commission Locale de l’Eau veut maintenant reporter l’échéance à 2027, contre l’esprit de la délibération qui voulait un échéancier mis en place rapidement. 2027 devait être la date de la reconstitution de la nappe pour faire remonter le niveau, pas celle de l’équilibre ! » explique ainsi Jean-François FLECK, porte-parole du collectif eau88, pour La Relève et La Peste
Durant la pandémie, en 202 et face au refus du Préfet des Vosges de leur transmettre le dossier de Nestlé pour une demande d’autorisation de forages, elles ont dû faire appel à la Commission d’accès aux documents administratifs. C’est là qu’elles ont découvert la demande de régularisation de l’industriel sur 9 forages… déjà actifs depuis des dizaines d’années.
Une demande de régulation a posteriori
En 2016, le préfet avait alerté Nestlé Waters sur l’absence d’autorisations de certains forages. En février 2019, la compagnie a donc déposé une demande pour régulariser sa situation et obtenir une autorisation de prélèvement. Cette autorisation, normalement obligatoire, est délivrée par la Préfecture au titre du code de l’environnement. Elle permet notamment de s’assurer que le prélèvement d’eau ne nuise pas au bon état écologique de la nappe phréatique impactée.
En l’absence d’autorisation en bonne et due forme, les associations ont calculé dans une première estimation qu’au total, Nestlé Waters aurait illégalement pompé plus de 10 milliards de litres d’eau depuis 2007.
Cette infraction est un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Plutôt que de demander un dossier pour régulariser la situation sans aucune sanction, le Préfet aurait théoriquement dû saisir le procureur. C’est pourquoi les associations avaient décidé de porter plainte en 2020, dans le but que le procureur ouvre une information judiciaire pour enquêter et faire lumière complète sur le dossier.
En octobre 2022, retournement de situation : l’ancien préfet des Vosges, Yves Séguy, a reconduit les autorisations de prélèvements en eau pour le minéralier juste avant son départ, et en a profité pour régulariser tous les forages illégaux au grand dam des associations environnementales. Mi-2023, nouvel épisode dans la saga judiciaire : le procureur régional d’Epinal a été obligé de rouvrir l’affaire à cause du parquet environnemental régional. Les associations sont dans l’attente de nouvelles de la procédure depuis.
L’eau, intérêt privé ou bien commun : un enjeu sociétal
En pleine crise climatique et avec des sécheresses de plus en plus importantes sur le territoire français, ce conflit devient le symbole d’un débat de société crucial sur la gestion d’un bien commun aussi vital que l’eau.Un premier protocole d’engagement volontaire, que La Relève et La Peste a consulté, veut engager les services de l’État et les acteurs privés, en particulier Nestlé Waters mais aussi la fromagerie L’Ermitage, dans une démarche de restauration quantitative des aquifères du secteur de Vittel. Là où le bât blesse, c’est que Nestlé est invité à réduire ses prélèvements dans une nappe, pour mieux les puiser dans l’autre.
« Ce qui nous met en colère, c’est qu’en parallèle des forages de la nappe supérieure, Nestlé Waters a obtenu deux forages d’un total de 300 000 m3 acquis par arrêté préfectoral et a fait une nouvelle demande pour un forage de 100 000 m3 déjà construit et branché à Suriauville ! Ils n’attendent plus que le feu vert ! Il s’agit quand même de 400 000 m3 encore attribués à Nestlé pour son eau industrielle ! C’est quand même extraordinaire alors que ça va priver les citoyens de leur eau ! » s’indigne Jean-François FLECK, porte-parole du collectif eau88, pour La Relève et La Peste
Depuis 2020, c’est chose faite, avec même certains forages en utilisation depuis 2014 en anticipation de l’arrêt de l’exploitation de la nappe la plus profonde, cette des Grès du Trias Inférieur. Après avoir pompé la ressource en eau de Vittel, Nestlé a eu besoin d’exploiter la ressource en eau de Suriauville uniquement pour le process industriel de l’usine.
« Il y a une quinzaine d’années, Nestlé consommaient 3L d’eau pour produire une bouteille d’1L. Aujourd’hui, ils prétendent en consommer seulement 1,4L mais comme il n’y aucun contrôle administratif de l’État, personne n’a contrôlé leurs dires sur l’amélioration du process industriel. Ce qui nous tue avec toutes ces autorisations, c’est qu’elles sont systématiquement faites avec le recours de l’État. Le public ne peut pas avoir d’expertise là-dessus car nous avons été abandonnés par l’État aux mains de Nestlé sans aucun contrôle sur les données précises des nappes phréatiques » explique Bernard Schmitt, porte-parole du collectif eau88, pour La Relève et La Peste
En effet, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ne contrôle que l’évolution des nappes phréatiques publiques. L’opacité est donc totale sur l’état des nappes phréatiques qui sont exploitées par des entreprises privées.
Ironie du sort, les autres sources où puise Nestlé sont considérées comme étant trop minéralisées pour répondre aux critères d’eau potable pour les habitants, mais peuvent quand même être vendues sous forme d’eau en bouteille (Contrex et Hépar).
Dans le viseur du collectif Eau Bien Commun 63, un autre industriel : Danone qui prélève chaque année jusqu’à 2,7 millions de m3 d’eau, avec une augmentation des prélèvements durant les mois d’été, y compris au cours des périodes de restriction, à Volvic. Face à la polémique, « les collectivités ont pris de l’avance et ont déjà fait construire une connexion pour aller chercher l’eau dans l’Allier et la distribuer aux habitants » précise Jean-François Fleck, à l’image de celui que Nestlé Waters voulait faire à Vittel.
Un jugement au tribunal administratif est en cours contre Danone. Et pour cause, en plein mois d’octobre 2023, la ville de Volvic a mis en place des restrictions d’eau à cause d’une alerte sécheresse particulièrement forte. Face à la raréfaction de l’eau, les élus ont accordé des subventions aux habitants pour qu’ils s’achètent des récupérateurs d’eau de pluie pendant que Danone exploite la nappe phréatique. Sur les hauteurs de Volvic, les permis de construire ont carrément été suspendus depuis août 2020 pour préserver l’eau.
« Il y a aussi eu une tentative avortée à Divonne les Bains : on est loin d’être les seuls concernés par cette appropriation de l’eau à des fins économiques et financières ! Le chantage économique autour de la création d’emplois ne doit plus durer. L’eau est un bien commun dont la gestion devrait être choisie démocratiquement : on est en train de mettre de l’eau en bouteille dans des régions fragiles pour la vendre dans des pays qui n’en ont pas besoin ! » proteste Jean-François FLECK, porte-parole du collectif eau88, pour La Relève et La Peste
Les services de l’État et Nestlé préparent également un contrat de territoire censé permettre la rétrocession de certains forages de la société Nestlé Waters aux habitants. En cours de rédaction depuis 2020, l’industriel s’engagerait à rétrocéder le dernier forage de 100 000m3 de Suriauville et celui de Galien à Vittel si l’eau est totalement potable. Seulement, cette rétrocession aura sans doute un prix, et aucune condition n’est pour l’instant prédéterminée. Les élus locaux n’en veulent pas vraiment car ils ont compris que le conseil départemental essaie de se décharger sur eux, la CLE commission locale de l’eau, se tient avec lui
D’ici-là, les associations espèrent bien obtenir des réponses à leurs questions sur les forages illégaux : En existe-t-il d’autres ? Quelle est la quantité totale d’eau prélevée illégalement ? L’enquête préliminaire devrait permettre de répondre à ces questions.