La hausse des températures due au changement climatique a pour conséquence la baisse de l’enneigement moyen en montagne, en particulier à basse et moyenne altitude. Les stations de ski qui y sont situées sont ainsi menacées : même la neige artificielle, nécessitant des périodes de froid pour pouvoir en produire, ne peut permettre de pallier l’inexorable réduction du manteau neigeux. Parmi ces stations, le domaine skiable de Métabief, dans le Jura, a commandé une étude de son « avenir climatique » en vue de gérer ses investissements. Le résultat est sans appel : à l’horizon 2030-2035, la pratique du ski alpin ne sera plus rentable, condamnant la station. Le syndicat mixte qui l’exploite a pris la difficile et courageuse décision de prévoir la fermeture du domaine et surtout, de mettre en place un plan de « transition climatique » pour continuer de faire vivre ce territoire, malgré une baisse significative des revenus touristiques. Une première en France. Une enquête de Loïc Giaccone.
Le ski en France
La France est l’une des principales destinations pour les sports d’hiver : elle se place dans le top 3 mondial, chaque année au coude-à-coude avec l’Autriche et les États-Unis, autour des 50 millions de « journées-skieur », l’unité de mesure de la fréquentation des stations.
D’après Domaines Skiables de France (DSF), la chambre professionnelle qui rassemble une majorité d’entre elles (250 sur les un peu plus de 300 que compte le pays), plus de 120 000 emplois directs et indirects dépendent de l’ouverture des stations. L’économie du ski représenterait au total autour de 10 milliards d’euros par saison.
Ces chiffres impressionnants (qui permettent de prendre conscience de l’ampleur de la crise provoquée par la Covid-19, les domaines étant fermés cet hiver) masquent une situation très hétérogène en fonction des stations et des massifs.
Les Alpes rassemblent 86% de la fréquentation, les Pyrénées 8% et les Vosges, le Massif central et le Jura, 2% chacun. Un petit nombre de grands et très grands domaines skiables représente 78% du marché, essentiellement situés dans les Alpes, et en particulier dans les Alpes du nord.
Également, le ski reste une pratique assez chère et ainsi,fortement marquée socialement : seuls 17% des français partent régulièrement en vacances en hiver, dont 8% vont à la montagne.
Parmi eux, les cadres, les diplômés du supérieur, les plus aisés et les habitants des grandes villes sont surreprésentés. Ces moyennes masquent cependant des spécificités de clientèles propres à chaque station : locales, de séjour, « excursionnistes », etc.
Ski et changement climatique
La hausse des températures due au changement climatique a de nombreux impacts en montagne : baisse de l’enneigement, dégel du pergélisol (sols et parois gelés en permanence à haute altitude, ce qui entraîne des écroulements rocheux), fonte et recul des glaciers, remontée progressive de la biodiversité en altitude et en latitude, augmentation du risque incendie en été… La liste est longue.
La réduction du manteau neigeux est le problème principal des stations de ski. Bien que les précipitations, au-delà de leur forte variabilité interannuelle, restent à peu près constantes, l’augmentation de la température moyenne provoque la diminution des chutes de neige, qui ont lieu de plus en plus souvent sous forme de pluie.
L’enneigement est ainsi de moins en moins conséquent et sur une durée de plus en plus courte, essentiellement à basse et moyenne altitude (en-dessous de 2000 m). Cela touche donc en premier lieu les stations situées dans ces secteurs.
Les domaines skiables, appuyés par les collectivités, ont fortement investi ces dernières années dans la neige artificielle : faite à partir d’eau et d’air sous pression (nécessitant infrastructures et énergie), elle permet de pallier le manque de neige. Cependant, il n’est possible d’en produire qu’en-dessous d’une certaine température.
De plus, l’impact environnemental des canons à neige est titanesque. Pour produire 2m3 de neige de culture, il faut 1m3 d’eau. Pour un hectare de neige, sur une épaisseur de 60 centimètres, il faut donc compter 4 000 m3 d’eau. Soit l’équivalent d’une piscine olympique ! Chaque année, les enneigeurs pompent ainsi 28 millions m3 d’eau environ, ce qui équivaut à la consommation annuelle en eau potable d’un demi-million de Français, estime le site Bastamag.
Les canons à neige nécessitent également de l’énergie (1 à 3 kWh par m3 produit) et des infrastructures à installer, canalisations et surtout retenues collinaires d’altitude. Enfin, ces investissements sont pour la plupart largement soutenus par les pouvoirs publics, parfois sans prise en compte de leur pertinence au regard de la menace climatique.
Avec le réchauffement en cours, les domaines les plus bas risquent d’être menacés à court terme, même en y ayant recours. Une étude effectuée pour le département de l’Isère a montré qu’à l’horizon 2050, les stations les plus hautes et aux capacités financières importantes de ce secteur pourraient continuer d’être « viables ». À condition que la clientèle soit toujours au rendez-vous pour venir skier de plus en plus souvent sur des bandes de neige artificielle…
Une autre étude effectuée par la même équipe de chercheurs mais cette fois-ci, à l’horizon 2100 et à l’échelle de la France, dresse un tableau plus noir : dès le milieu du siècle, de nombreuses stations situées à basse et moyenne altitude seront en difficulté, notamment dans les Pyrénées.
Mais surtout, durant la seconde moitié du siècle, la situation dépendra des émissions de gaz à effet de serre : elle évoluera peu si l’on suit un scénario « optimiste » avec de fortes réductions ; en revanche, si l’on suit un scénario « pessimiste » avec la poursuite de la hausse des émissions, seule une vingtaine de domaines skiables pourraient offrir des conditions de ski en 2100, tous situés dans les Alpes et à haute altitude.
La situation à Métabief
Métabief est l’une de ces stations de ski aux avant-postes du changement climatique. Située dans le Haut-Doubs, dans le massif du Jura et non loin de la Suisse, ses pistes et remontées mécaniques sont relativement basses : le front de neige est à 900 m, et le point culminant à 1400 m.
C’est une station de taille moyenne, gérée par le Syndicat Mixte du Mont d’Or (SMMO). Elle ouvre l’été pour le VTT, cette activité représentant environ 10% du chiffre d’affaires annuel.
La station a un poids économique important, au-delà de la seule vente des forfaits : avec les retombées économiques directes et indirectes, elle représente 25% à 30% de l’économie touristique du pays du Haut-Doubs. À cela, il faut ajouter le ski nordique, également menacé par la hausse des températures, une pratique importante dans le Jura : il pèse autour de 20% de cette économie touristique.
Après une quinzaine d’années de laisser faire au niveau de la gestion du domaine avec peu d’entretien et d’investissements, le syndicat mixte a repris les choses en main à partir de la fin des années 2000, en commençant par investir dans la neige artificielle. Les remontées mécaniques ont été entretenues, cependant, la question de leur remplacement se posait de plus en plus.
Or, le changement climatique se faisait de plus en plus prégnant, notamment sur le terrain dans les ressentis du personnel responsable des canons à neige, qui voyaient les périodes de froid devenir de plus en plus courtes et rares. La question de la pertinence de ces investissements importants s’est alors posée.
Dès 2016, grâce aux données du portail DRIAS de Météo-France, le personnel a pu avoir une première estimation de la fin provisoire de la station, autour de 2040.
Les chercheurs ayant réalisé les études sur l’évolution de l’enneigement des stations de ski, ont développé un outil, ClimSnow, qui permet d’analyser très précisément cette évolution pour un domaine précis : piste par piste, secteur par secteur, au fil des décennies et en fonction des scénarios climatiques.
La station de Métabief a été la première à bénéficier de cette expertise, et le résultat a été sans appel :
« – A l’horizon 2040-2050, la viabilité du ski alpin est nettement remise en cause => à cet horizon, les modèles prédisent clairement la fin de l’activité économique liée au ski alpin,- A l’horizon 2030-2040, seules les pistes équipées de neige de culture résistent aux aléas climatiques croissants => à cet horizon, la fréquence de mauvais hiver serait très élevée et même si la neige de culture permettrait de proposer un minimum de ski, cela n’engendrerait pas suffisamment de recettes pour équilibrer l’exploitation. Un déficit chronique s’installerait, insupportable pour les collectivités membres du SMMO. Le modèle économique lié au ski alpin doit donc anticiper une fin potentielle du ski alpin à l’horizon 2030-2040. » (extrait de la synthèse des consultations du SMMO, octobre 2020)
Un nécessaire deuil, en vue de passer à « l’après »
L’étude climatique produite par ClimSnow acte de manière froide et scientifique la fin de la station de ski de Métabief, sous 10 à 15 ans. Pour les personnes qui travaillent et vivent dans ce village depuis des années voire des décennies, avec un certain attachement à la station et ses activités, c’est forcément un coup dur.
Olivier Erard est le directeur du syndicat mixte et l’un des acteurs principaux de la transition de Métabief. Il explique que cela a été difficile pour tous :
« Quand on commence à se dire « dans 10-15 ans, c’est terminé », c’est le choc. Celui qui prévaut au deuil. Il s’ensuit donc une réaction de déni, voire de colère. Et comme tout le monde ne réagit pas au même rythme, c’est forcément une période d’instabilité, d’inconfort. »
Le personnel de la station, étant sur le terrain tout au long des saisons et donc confronté à la problématique, a progressivement compris et accepté la situation. Cela a été un peu plus compliqué pour les élus, avec lesquels il a fallu faire preuve de patience et de pédagogie.
Pour le directeur du SMMO, il est important que le porteur de la « mauvaise nouvelle » soit légitime, qu’il provienne de la station elle-même, afin d’être entendu. Il raconte :
« J’ai vu clairement des moments-clés se dérouler devant moi. Lorsque l’un des plus fervents détracteurs de notre projet d’arrêt des remontées mécaniques s’est levé un jour en réunion pour mieux comprendre ce que je projetais à l’écran, qu’il a verbalisé tout haut son cheminement intellectuel et qu’il s’est retourné en disant : « c’est vrai, on n’a pas le choix », j’ai su que c’était bon. Quand j’ai vu les élus du Département aussi impliqués lors du rendu de l’étude ClimSnow, j’ai su que c’était gagné. »
Car Olivier et ses équipes ne venaient pas les mains vides : ils avaient préparé un plan de « transition climatique » pour la station de ski, qu’ils présentaient aux élus et aux socioprofessionnels après leur avoir annoncé la fermeture future du domaine skiable.
« La station de Métabief se trouve aujourd’hui à un moment charnière de son histoire. » (extrait du rapport sur la contribution du SMMO à la transition climatique du modèle touristique du Haut-Doubs, avril 2020)
Dans ce plan de transition accepté et soutenu par les élus, la fermeture de la station de ski est actée à l’horizon 2030-2035. Durant le délai que cela laisse, le syndicat mixte va travailler sur deux axes : entretenir le domaine afin de maintenir l’activité de ski alpin pour les 10 à 15 prochaines années, et engager une diversification de ses activités.
Le fait de prolonger l’activité ski « jusqu’au bout » permet d’avoir du temps pour mettre en place cette diversification.
Au niveau du ski alpin, la station va investir 6 millions d’euros durant les cinq prochaines années : maintenance des installations, renforcement de la neige de culture sur certains secteurs identifiés comme stratégiques, évolution des zones d’apprentissage pour les débutants.
Concernant la « transition » proprement dite, les membres du syndicat mixte ont dû composer avec deux contraintes :
– L’environnement sensible du Massif du Mont d’Or, riche en biodiversité et en paysage remarquables,
– Un parc de remontées mécaniques peu adaptées à d’autres usages que celui du ski alpin, avec une seule remontée utilisable en été par les piétons et les VTTistes (la seule remontée qui restera en place après la fermeture).
Le but était de ne pas retomber dans les pièges développementistes des années 70 et 80. Il n’était pas question de construire un grand restaurant au sommet, ou un stade aquatique sur le lac du Morond.
En tenant compte de ces critères, le SMMO a choisi de travailler sur trois activités :
– La luge quatre saisons, en investissant pour remplacer la vieille luge d’été actuellement en place,
– Le VTT de descente, en améliorant et diversifiant les pistes existantes, mais sans pour autant en créer de nouvelles ce qui nécessiterait d’aménager des espaces naturels,
– Et surtout, la randonnée « contemplative », avec un projet d’aménagement de la partie sommitale du domaine.
Ce dernier point se fera de la manière la plus intégrée à l’environnement possible, dans le but de permettre aux promeneurs de découvrir l’espace naturel du Mont d’Or, tout en le préservant. Cette partie « diversification » du plan est de 7 millions d’euros, le plan total faisant 13 millions d’euros.
Le SMMO estime que le chiffre d’affaires que permettra de générer cette nouvelle « station » sera d’environ un tiers de celui généré par la station de ski. Cela équivaut à une baisse de 20% pour l’économie touristique du territoire, atténuant l’impact de la fermeture mais ne pouvant la compenser intégralement.
Si l’on ajoute la fin potentielle du ski nordique, la baisse pourrait atteindre 40%. Le SMMO invite donc le territoire, c’est-à-dire les collectivités, les socioprofessionnels et les habitants à continuer le travail afin de se préparer et anticiper leur avenir touristique et économique.
La transition, c’est maintenant
Le cas de Métabief permet de bien comprendre que pour certaines stations de ski, leur avenir est menacé à court terme. Il est urgent d’enclencher le travail de transition dès aujourd’hui afin d’anticiper l’arrêt futur des remontées mécaniques et atténuer le choc que subira l’économie locale.
La mise en place d’une transition de ce style ne se fait pas en une saison, on l’a bien vu cet hiver avec la crise de la Covid-19, qui a paralysé l’industrie des sports d’hiver.
La diversité des contextes locaux empêche de simplement « calquer » un modèle de transition d’un endroit à un autre. Le document méthodologique produit par la station de Métabief pour relater son expérience présente de nombreux critères dont les opérateurs des domaines et les élus doivent tenir compte afin de développer leur propre voie de transition : situation géographique, installations et infrastructures existantes, endettement, compétences techniques internes, clientèle, hébergements, dépendance économique du territoire au domaine, environnement naturel et disponibilité des ressources en eau.
Olivier Erard insiste pour que les stations prennent en main leur destinée, alors que le changement climatique atteint déjà les +1,2°C :
« Je dirais à toutes les stations qu’elles ont la responsabilité de bien connaître leur montagne, son environnement, ses enjeux liés à l’eau et ses perspectives climatiques. Cela doit faire partie des fondamentaux et non plus des options. Tout le monde dispose maintenant des outils pour accéder à la connaissance, il n’y a pas d’excuse. »
De nombreux représentants de l’industrie des sports d’hiver ainsi que des élus et des membres du gouvernement étaient réunis à Métabief les 16 et 17 mars dernier pour un colloque organisé dans le cadre de la Stratégie de l’Union européenne pour la région alpine (SUERA), intitulé « Les stations de ski face au changement climatique ».
Les associations Mountain Wilderness et Transition des Territoires de Montagne y ont lancé les États généraux de la Transition du Tourisme en Montagne. Le syndicat mixte a présenté l’expérience de la station et le plan de transition qu’elle vient de mettre en place. Olivier y était :
« Cet événement avait pour vocation de passer tous nos messages, et nous avons été entendus. Nous n’avions rien à vendre, juste à témoigner et à partager. Au début des rencontres, il y avait un sentiment de méfiance. Après les rencontres, le fond de la démarche a été unanimement reconnu. Je pense que la transition est pour tout le monde une occasion de trouver de nouvelles opportunités, à condition d’avoir des approches différenciées, territoire par territoire, de ne pas chercher la « solution miracle ».
L’industrie du ski peut se transformer, les acteurs du tourisme peuvent innover. C’était un moment émouvant, un instant historique pour la montagne ! »