Portée par le collectif « Un jour, un chasseur », une pétition réclamant une refonde profonde des lois sur la chasse vient de dépasser, sur le site internet du Sénat, le seuil des 100 000 signatures à partir duquel la chambre haute du Parlement peut s’en saisir et l’examiner. C’est une petite victoire pour toutes les victimes, directes ou indirectes, de ce loisir dont on ne compte plus les dommages.
410 morts en 10 ans
Depuis des décennies, les « accidents » de chasse se suivent et se ressemblent, chaque année apportant son lot de décès, de blessures et de traumatismes. De leur ouverture en septembre à leur fermeture en janvier-février, les périodes de chasse sont toujours accompagnées, en France, d’une litanie de victimes. À peine commencée, la saison actuelle n’échappe pas à cette triste fatalité.
Le 28 octobre, en Haute-Savoie, un jeune homme se promenant avec sa mère le long d’un sentier de village reçoit soudain une balle de fusil en plein thorax. Il est grièvement blessé. Le chasseur responsable, qui participait à une battue, n’avait pas respecté les règles les plus élémentaires de sécurité, qui exigent de ne jamais tirer en direction des routes.
Le 30 octobre, alors qu’il circule sur une quatre-voies entre Laillé et Orgères, en Ille-et-Vilaine, un automobiliste de 67 ans est atteint au cou par une balle de calibre 9,3 mm. Quatre jours plus tard, il décède de ses blessures dans un centre hospitalier de Rennes.
Le 6 novembre, en Normandie, un cycliste amateur rentre de sa promenade le visage, les mains et le dos perforés de treize éclats de plomb. Un chasseur l’avait pris pour un faisan. Le lendemain, c’est au tour d’un chasseur de l’Aisne d’être blessé au thorax, alors que son adroit collègue visait un sanglier…
Entre 1999 et 2019, la chasse aurait causé, en France, 2 792 accidents, dont pas moins de 410 mortels.
Encore ne s’agit-il que des faits « recensés » : si l’on prenait le temps de l’estimer, le nombre de drames évités de justesse — balles perdues, ricochets, tirs venant siffler au-dessus de la tête ou finissant dans les murs de maisons — serait, lui, beaucoup plus grand.
Intimidations, harcèlement, violences physiques, monopole des espaces naturels, noyautage des institutions civiques, les maux que l’on reproche aux chasseurs, nourris par cette multitude d’incidents quotidiens, ont fini par créer un climat de peur et de défiance insoutenable.
Dans les zones rurales, qui rappelons-le représentent l’écrasante majorité des territoires français, la chasse est devenue l’objet d’une discorde de plus en plus vive entre les « usagers de la nature », au point que les chasseurs apparaissent désormais comme une caste, distincte du reste de la population. C’est pourquoi les initiatives visant à réguler ce loisir encore trop anarchique se multiplient.
Des initiatives pour mettre fin aux dérives
La dernière en date est d’une ampleur inédite. Il s’agit d’une pétition citoyenne. Déposée début septembre sur le site internet du Sénat par le collectif Un jour, un chasseur, elle demande qu’une modification profonde des lois permette enfin d’éviter les « morts, violences et abus liés à la chasse ».
Le collectif Un jour, un chasseur a été créé à la suite d’un de ces accidents de chasse si fréquents. C’était le 2 décembre 2020, dans le Lot. Ce jour-là, Morgan Keane, un Britannique de 25 ans, était sorti de sa maison de Calvignac pour couper du bois, sans se douter qu’une battue avait lieu autour du jardin.
Quelques minutes plus tard, un chasseur surgit. Il confond le jeune homme avec un sanglier et lui fiche une balle au creux du ventre, le tuant sur le coup.
Largement relayé par la presse, ce drame a comme libéré la parole des habitants du Lot contre la tyrannie des chasseurs, ainsi que le rapporte le journal Reporterre. L’envie de se battre a tout à coup dépassé l’inertie.
Se sentant soutenues par la population, six amies de Morgan Keane ont alors décidé de monter « Un jour, un chasseur » et de porter, au sommet de l’État, une série de revendications.
En quelques mois, le collectif a compilé et diffusé des milliers de témoignages prouvant — s’il le fallait encore — les comportements intolérables des chasseurs, auxquels les fédérations et les comités locaux, intimement liés aux pouvoirs publics, garantissent une impunité qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, hormis peut-être dans certains rangs de la police.
Afin de prolonger et concrétiser ces témoignages, l’idée est ensuite venue aux six amies de porter leur combat à l’échelon national. C’est là que le Sénat entre en jeu : depuis janvier 2021, une plate-forme numérique permet à toute personne ou à tout groupe d’adresser, à la chambre haute du Parlement, une pétition inédite ou déjà publiée.
Si, dans un délai de six mois, celle-ci a recueilli au moins 100 000 signatures, elle est alors transmise à la Conférence des Présidents, qui pourra choisir d’y donner suite, par exemple en instituant une mission de contrôle ou en l’inscrivant à l’ordre du jour d’un texte législatif.
Déposée le 10 septembre, la pétition d’Un jour, un chasseur a dépassé, en moins de deux mois, le nombre de 100 000 signatures requis.
Le 16 novembre, plus de 118 000 personnes avaient adhéré, en prenant le soin de s’identifier, à cette requête exigeant la mise en place de cinq mesures : l’interdiction de la chasse le dimanche et le mercredi, « sur l’ensemble du territoire français » ; le renforcement de la formation des chasseurs et des règles générales de sécurité ; le contrôle et le suivi des armes de chasse et des comportements à risque ; de nouvelles sanctions pénales, à la hauteur des délits commis ; enfin « la libération de la parole et la reconnaissance des victimes de la chasse par l’État ».
Constatant « l’adhésion forte » de la population à cette pétition, le Sénat a annoncé le 9 novembre, dans un communiqué de presse, que les questions soulevées par le collectif allaient faire l’objet d’une « mission conjointe » entre la commission des lois et celle des affaires économiques.
À cette occasion, un débat, une série d’auditions et une « étude de législation comparée » devraient être organisés, « afin de déboucher sur des propositions concrètes, éventuellement de portée législative ».
Réagissant sur les réseaux sociaux, les amies de Morgan Keane ont souligné que la rapidité avec laquelle la pétition a atteint le seuil des 100 000 signatures « relève de l’exploit », mais traduit également « les attentes des citoyens ».
« Ce n’est qu’un premier pas vers la victoire, ajoutent-elles, qui ne sera atteinte qu’à la mise en place d’un texte législatif qui apportera de réelles réponses à nos revendications. »
Des aberrations dans la loi
Affirmant vouloir « ouvrir le débat » et « porter la parole des ruraux » sur les méfaits de la chasse, le collectif Un jour, un chasseur n’a cessé, pendant ses dix mois d’existence, de relever les « aberrations » de la loi, responsables selon lui des drames quotidiens qui entourent ce loisir.
Les chasseurs bénéficient en effet de maints privilèges et passe-droits entretenant, voire justifiant leur sentiment d’impunité.
Le bon million de détenteurs d’un permis valide sur le territoire peuvent par exemple, en toute légalité, manipuler des armes létales avec un taux d’alcoolémie de plusieurs grammes par litre de sang, malgré le risque évident que ce vide juridique fait courir aux autres citoyens.
De la même manière, une fois le permis en poche, les capacités physiques et psychiques des chasseurs, tout comme leurs armes, ne sont soumises à aucun examen régulier : chasser alors qu’on est atteint d’une maladie motrice et doté d’une arme défectueuse est tout à fait possible.
Autre dérive : si un « accident » entraîne mort d’homme lors d’une partie de chasse, le crime est la plupart du temps qualifié d’homicide involontaire ; à ce titre, il n’est puni que de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, alors que cette peine s’élève, pour un accident de voiture, à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
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Sans juger du bien-fondé d’un loisir consistant à abattre des animaux sauvages, de telles incohérences juridiques démontrent, selon le collectif, qu’il est urgent de refondre entièrement des lois « qui, de toute évidence, ne garantissent ni notre sécurité, ni notre bien-être ».
Le combat d’Un jour, un chasseur parviendra-t-il à ébranler le statu quo ? En 2000, la loi Voynet instaurait, pour la première fois, un jour sans chasse en France, le mercredi. Trois ans plus tard, après le retour de la droite au pouvoir, cette disposition aussi légitime que minime était abrogée par l’Assemblée nationale.
Depuis lors, les cadres n’ont presque pas évolué. Murmurant à l’oreille du gouvernement, le lobby de la chasse est contraire à toute réforme, toute conciliation, tout aménagement.
Dans un entretien au JDD, le 14 novembre, le président de la Fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, a même proposé que les chasseurs prennent part, comme « police de proximité », à la sécurité des villages et à « la surveillance des espaces agricoles et forestiers ». L’avenir est encore bien incertain.