Parfois, même les petits projets ont des impacts destructeurs démesurés. La menace est si concrète que les pêcheurs et écologistes ont uni leurs forces pour attaquer en justice ce projet d’une microcentrale hydroélectrique. Devant se construire sur les communes d’Aydius et de Bedous, elle asphyxierait le Gave du Gabarret, l’une des dernières rivières sauvages préservées des Pyrénées.
Une centrale controversée
En août 2022, la préfecture des Pyrénées-Atlantiques a autorisé par un arrêté la construction d’une centrale hydroélectrique sur le gave du Gabarret, dont le seuil de la prise d’eau sera à Aydius et l’usine à Bedous dans les Pyrénées-Atlantiques. L’autorisation est accordée à la société d’études et de réalisations hydroélectriques SEHRY Ingénierie, pour une durée de 40 ans.
La prise d’eau sur le Gave du Gabarret générera une retenue d’eau en amont d’un volume estimé à 370 m3 pour une surface de 250 m2. À terme, la puissance maximale brute de l’installation atteindra environ 3 040 MkW. Par ailleurs, une conduite forcée (conduite hydraulique transportant de l’eau sous pression jusqu’à une centrale hydroélectrique) sera construite sous la RD237. Elle mesurera 2 650 mètres de longueur et 1,10 mètre de diamètre.
Par rapport à d’énormes barrages imposants, ce projet de microcentrale pourrait faire figure de petit joueur. Il a néanmoins créé la polémique du fait qu’il risque de diminuer le débit d’eau du torrent en-dessous des normes environnementales, mettant en péril toutes les espèces végétales et animales protégées qui en dépendent.
« La démarche d’évitement réduction d’impact est insuffisante dans un contexte d’enjeux écologiques forts. L’évaluation des impacts résiduels reste incertaine, avec une présomption d’impacts importants, auquel ne répond de plus pas le dossier en termes de compensation effective » résume ainsi la Mission régionale d’autorité environnementale de la région Nouvelle-Aquitaine dans un rapport que nous avons consulté
En France métropolitaine, on dénombre environ 2 300 installations hydroélectriques, de tailles et de puissances très diverses. L’hydroélectricité est la 2e source de production d’électricité du pays et la 1ère source à partir d’énergies dites renouvelables. Ce projet fait partie de ceux retenus en 2017 dans le cadre de l’appel d’offres lancé par le ministère de la Transition écologique et solidaire pour le développement de la petite hydroélectricité.
A l’origine, le porteur de projet promettait de produire annuellement 12 millions de kWh, soit la consommation électrique d’environ 5000 habitants ; aujourd’hui, les estimations permettraient de répondre aux besoin de seulement 3000 habitants. Cet écueil a été pointé par le Conseil National de Protection de la Nature dans le premier avis défavorable qu’il a rendu sur le projet.
« En France, les petites productions hydroélectriques sont soutenues par les pouvoirs publics de manière honteuse alors que les ENR ne servent plus à diminuer la consommation de GES mais s’ajoutent au mix énergétique existant. Pire, notre potentiel hydroélectrique est totalement saturé avec des barrages de partout, c’est pourquoi on assiste aujourd’hui à une ruée vers les derniers petits ruisseaux, financée par l’argent public grâce à des contrats de rachat garantis ou des appels d’offre très généreux : : on va massacrer un coin magnifique pour un projet pas rentable. C’est comme si le peuple français finançait la destruction du patrimoine naturel » dénonce Philippe Garcia, président de DÉFENSE DES MILIEUX AQUATIQUES, pour La Relève et La Peste
L’un des derniers torrents sauvages des Pyrénées
Le gave du Gabarret est un joyau des Pyrénées : avec ses eaux pures et en très bon état écologique, il abrite des espèces endémiques comme le saumon, la truite, le chabot et la truite de mer qui viennent y pondre ;
de très nombreux batraciens (triton, salamandre, calotriton, crapaud vert, crapaud calamite, pélobate brun, et toute une famille de serpents et couleuvres) ; des oiseaux chamarrés comme le cincle plongeur (un oiseau qui va se nourrir des insectes sous les cailloux de la rivière), le martin pêcheur, la bergeronnette des ruisseaux avec son poitrail jaune citron, et une grosse dizaine de chauve souris comme la barbastelle.
« Les stars, ce sont les mammifères : musaraigne aquatique, hérisson, loutre et le desman des Pyrénées. Ce dernier est la star absolue, une espèce de taupe aquatique. Ce mammifère doit aller se nourrir au fond de l’eau grâce à la force des torrents. C’est une espèce de fossile vivant qui est adapté uniquement à ce mode de vie particulier, il a donc un domaine d’habitat très étroit. On retrouve cette espèce sténotope un peu au Portugal et en Espagne. Son domaine de vie est complètement fragmenté à cause des détournements d’eau pour les centrales hydroélectriques, il a diminué de 50% et est en constante fragmentation » détaille Philippe Garcia, président de DÉFENSE DES MILIEUX AQUATIQUES, pour La Relève et La Peste
Ce projet de microcentrale hydroélectrique est une menace directe pour tous les habitants du gave du Gabarret. Pourquoi dès lors avoir autorisé sa construction ? C’est qu’il relèverait de « l’intérêt public majeur » selon une décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui s’appuie sur des objectifs ambitieux donnés par la société SEHRY dans sa demande de dérogation de mars 2020 que nous avons consultée.
Cet arrangement avec les chiffres n’a pas convaincu le Conseil National pour la Protection de la Nature (CNPN) qui persiste et a donné un deuxième avis défavorable au projet en septembre 2020. En cause : une atteinte cruciale à ce « réservoir de biodiversité » qui est également l’un des « derniers tronçons de cours d’eau sauvage des Pyrénées ».
« A noter que le décret 2020 de Programmation Pluriannuelle de l’Energie vise un faible développement de l’hydroélectricité (comparé aux autres énergies renouvelables) et cible plutôt l’optimisation des ouvrages existants que le développement de nouvelles centrales hydroélectriques. Ces éléments devraient participer à la révision de l’opportunité de ce projet, sur un site remarquable qui plus est » rappelle le CNPN dans son avis défavorable
Deux études de 2015 et 2016, menées par l’équipe de la biologiste espagnole Maïté Arroita, démontrent ainsi comment le pompage de l’eau d’une rivière ou d’un torrent peut entraîner la « contraction de l’écosystème », et avoir des effets néfastes sur les communautés aquatiques et les processus écosystémiques, en particulier dans les petits cours d’eau boisés, tels que le Gave du Gabarret.
Pour Philippe Garcia, c’est clair : « Au nom des ENR, on est en train de dézinguer les derniers espaces de vie sauvage qu’il nous reste »
Pour toutes ces raisons et sauver ce joyau naturel, les associations Défense des Milieux Aquatiques, la Sepanso 64 avec la Fédération de pêche des Pyrénées-Atlantiques ont décidé de traiter le dossier devant la justice. L’affaire est maintenant devant les tribunaux.