Les volumes de déchets électroniques explosent, menaçant la santé de millions d’enfants aux quatre coins du monde, alerte l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un nouveau rapport, Enfants et décharges numériques, publié le 15 juin.
Le commerce de déchets dangereux
Pour la première fois, une institution internationale fait le lien entre le marché de l’électronique et des atteintes notables à la santé humaine. Ce lien, ce sont les déchets, ou plutôt le secteur du « traitement informel des équipements électriques ou électroniques mis au rebut », qui comprend le démantèlement des déchets, l’extraction de leurs métaux précieux et la destruction du reste.
À l’image du plastique, fléau des temps modernes, la plupart des déchets électroniques mis aux ordures sont expédiés depuis des pays à revenu élevé vers « des pays à revenu faible ou intermédiaire, note l’OMS, où ils sont recyclés par des travailleurs du secteur informel ».
Selon l’agence internationale, au moins 12,9 millions de femmes et plus de 18 millions d’enfants et d’adolescents, « dont certains n’ont pas plus de 5 ans », prendraient part à ce commerce pourtant réglementé depuis 1992 par la Convention de Bâle, qui interdit l’exportation de déchets dangereux, sauf si ceux-ci peuvent être réutilisés ou réparés.
Mais les exportateurs contournent aisément ce traité en présentant leurs déchets comme des équipements défectueux ; c’est pourquoi nos produits électroniques se retrouvent au Ghana, en Inde, en Chine ou encore au Mexique, en somme dans l’un des quinze pays où l’OMS a identifié la présence de décharges électroniques de grande envergure.
Un « tsunami de déchets »
Ordinateurs, téléphones, télévisions, caméras, montres et voitures connectées, plaques de cuisson, climatiseurs, frigos et autres machines domestiques : en 2019, plus de 53 millions de tonnes de déchets électriques ou électroniques (définis comme disposant d’une batterie ou d’une prise) ont été produites dans le monde, indiquait l’année dernière l’Organisation des Nations unies (ONU).
Ces 53,6 millions de tonnes ont un poids équivalent à « 350 navires de croisière de la taille du Queen Mary 2 » qui, à la file, tiendraient sur « une ligne de 125 kilomètres de long ».
Selon l’étude de l’ONU, qui fournit les données les plus récentes, le volume mondial de ce type de déchets aurait augmenté de 21 % en seulement cinq ans. Si l’on en croit sa croissance passée, il atteindra « 74 millions de tonnes d’ici 2030 », soit moitié plus en une décennie.
Cette augmentation inquiétante s’explique par le recours systématique et exponentiel aux technologies dans toutes les sphères de la société, des entreprises aux ménages, mais aussi par des « cycles de vie courts de ces produits » (obsolescence programmée) et par la pauvreté des « options de réparation » qui permettraient de donner une nouvelle vie aux machines.
Plus inquiétant encore, pour l’ONU : sur les 53,6 millions de tonnes de déchets électroniques produites en 2019, seulement 17, 4 % ont fait l’objet d’une collecte et d’un recyclage adéquats, ce qui signifie que plus des trois quarts ont sûrement été expédiés dans d’autres pays, « déversés » dans une décharge illégale, puis « brûlés » en plein air.
Une bombe sanitaire
Ce « tsunami de déchets électroniques en progression constante », comme le nomme Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, met entre les mains de certains pays une véritable bombe à retardement sanitaire dont les conséquences commencent à peine à être documentées.
Nos déchets électriques et électroniques contiennent « plus de 1 000 substances nocives », souligne l’OMS, c’est-à-dire des composés cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques ou perturbateurs endocriniens.
Des métaux lourds, comme le cadmium et le plomb, sont présents dans les batteries ; du mercure dans les tubes à rayons cathodiques ; des polluants organiques persistants (dioxines) dans les circuits imprimés ; des perfluorés et des organophosphorés dans la structure des objets…
Les personnes travaillant dans les décharges sauvages d’objets électroniques se trouvent directement exposées à ces composés, dont la nocivité se manifeste voire augmente lors de l’extraction des matières précieuses (or, argent, cuivre), qui nécessite des procédés de brûlage, chauffage et livixation à l’acide.
Chez les femmes, qui sont aussi de futures mères, l’exposition à ces déchets toxiques a des effets néfastes sur la grossesse (naissance prématurée, retard de croissance inter-utérine) ou, plus tard, sur le développement de l’enfant, qui pourra avoir subi dans l’utérus des séquelles neurologiques, thyroïdiennes, immunitaires, cardiaques et même génomiques.
L’exposition au plomb lors d’activités de recyclage des déchets électroniques, explique par exemple l’OMS, est scientifiquement associée à un déficit de l’attention de l’enfant, une réduction de ses capacités cognitives et langagières, des troubles comportementaux ou encore des « difficultés d’intégration sensorielle ».
Des esclaves modernes
Prisés « parce que leurs petites mains sont plus habiles que celles des adultes », les enfants travaillant au démantèlement des déchets électroniques encourent des séquelles physiques irréversibles, tout comme ceux qui vivent, vont à l’école ou jouent à proximité des centres de recyclage, où les composés toxiques se sont accumulés dans l’air, le sol, l’eau.
« Un enfant qui mange un seul œuf de poule venant d’Agbogbloshie, une décharge de déchets située au Ghana, écrit Marie-Noel Brune Drisse, l’autrice principale du rapport, ingérera 220 fois la dose quotidienne tolérable de dioxines chlorées fixée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments. »
Il s’agit des plus grandes doses jamais relevés de par le monde.
Dans cette interminable liste d’effets dévastateurs chez les enfants, on compte les altérations de la fonction pulmonaire dues à l’inhalation de particules fines et de poussières, les maladies chroniques intervenant bien après les actes de démantèlement comme les cancers et les maladies cardiovasculaires, mais aussi les lésions rénales, la détérioration du système immunitaire et donc l’exposition accrue aux virus et aux autres pathologies.
Les enfants, remarque l’OMS, « sont particulièrement vulnérables aux produits chimiques toxiques » à cause « de leur plus petite taille, du moindre développement de leurs organes et de leur rythme de croissance plus rapide. Ils absorbent proportionnellement plus de polluants et leur organisme est moins capable de métaboliser ou d’éradiquer les substances toxiques. »
L’OMS appelle les États membres des Nations unies à prendre des mesures radicales pour endiguer ce phénomène, qui ne pourra que s’accentuer avec le temps.