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Tuer les loups risque d’empirer le phénomène de prédation

« Si des loups posent peu de problèmes : les tuer parce qu'il y a une attaque, c’est prendre le risque de voir un autre loup arriver et causer plus de dommages. » 

Ces dernières années, des acteurs politiques et du monde agricole réclament le droit de tuer plus de loups. Le 3 décembre dernier, le Comité permanent de la Convention de Berne a approuvé la proposition de l’UE d’abaisser le statut de protection du loup, ouvrant la voie à une facilitation des tirs. Pourtant, leur efficacité pour limiter la prédation sur le bétail n’est pas clairement démontrée.

Les tirs de loups en France  

Environ 20 % des loups présents en France sont tués chaque année par des tirs dérogatoires à leur statut de protection. Ces derniers, censés être exceptionnels, s’apparentent désormais à des tirs de régulation.  

« Quand les autorités sont face à des éleveurs, ils parlent de quotas, et quand ils étaient face à la Commission européenne, ils parlaient plutôt de « seuils » : c’est-à-dire d’un maximum que l’on peut atteindre sans que ce ne soit un objectif, explique le géographe Farid Benhammou, chercheur associé au laboratoire Ruralités de l’Université de Poitiers, pour La Relève et La Peste. Dans les faits pourtant, c’est devenu un objectif. Mais quel objectif ? Tuer plus de loups ? Diminuer leur nombre ? Ou diminuer la prédation ? La corrélation entre tirs et réduction de la prédation n’est pas prouvée scientifiquement ».   

Selon Farid Benhammou, qui étudie les relations entre humains et grands carnivores, les tirs de loups visent avant tout à satisfaire des acteurs agricoles et cynégétiques. Un constat partagé par Jean-Marc Landry, éthologue spécialiste des loups : « en France, tirer des loups comme on le fait aujourd’hui montre que le gouvernement se trouve face à une impasse », ajoute-t-il pour La Relève et La Peste.  

Selon ce chercheur, « des études montrent clairement que tuer du loup avec l’aval de l’État encourage le braconnage ».  

Ces tirs légaux et illégaux, additionnés, pourraient donc avoir un impact sur la croissance de la population : « les chiffres ont montré pour la première fois une baisse de l’estimation de la population de 9 % entre 2022 et 2023 avec 1003 individus, rappelle Farid Benhammou pour La Relève et La Peste. Je parle au conditionnel, mais cela pourrait être en corrélation avec ces tirs qui exercent une pression assez forte. »   

Les chiffres de 2024 portent quant à eux l’estimation à 1013 loups sur le territoire français. « À l’heure actuelle, la population se stabilise et ne croit plus, malgré le fait que les loups colonisent de nouveaux territoires » conclut Jean-Marc Landry pour La Relève et La Peste.  

Crédit : AB Photography

Des tirs aux résultats variables  

Si la France utilise massivement les tirs contre les loups, aucune étude n’a permis de démontrer clairement leur efficacité pour limiter les prédations. Une thèse réalisée par Oskana Grente en 2021 a étudié les effets des tirs de loup dans l’arc alpin français. Une publication la résumant dans la revue Naturae, présente des conclusions mitigées et montre que leurs effets varient en fonction des différents contextes.  

L’étude indique que seuls les tirs effectués dans trois massifs alpins sont associés à une forte réduction du nombre de constats de dommages aux troupeaux, durant les trois mois suivant les tirs. Ceux effectués dans d’autres massifs ne montrent quant à eux « pas d’effets flagrants sur la récurrence ou le nombre ultérieur de constats ». Enfin, dans le massif du Vercors, « le nombre de constats est plus élevé après les tirs ».  

Oskana Grente présente également des variations saisonnières des résultats et rappelle que les comportements des loups peuvent varier suite aux tirs, mais aussi du fait d’autres facteurs : des changements de l’environnement et des pratiques pastorales. Une autre étude, publiée en 2023 et réalisée en Lettonie – où la densité de loups est bien plus élevée et où l’espèce est chassable – montre également des cas d’augmentation de la prédation suite à des tirs.  

Tuer des loups peut provoquer une hausse des prédations  

Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ces cas de hausses d’attaques de troupeaux domestiques suite à des tirs. L’une d’entre elles est celle d’une hausse de la fréquence de reproduction au sein d’une meute, à la mort d’une louve reproductrice : qui peut conduire plusieurs femelles à s’accoupler et donc augmenter le nombre de jeunes.  

Une autre hypothèse est que les tirs provoqueraient la dislocation de la meute et donc une moindre capacité pour les individus isolés à capturer des proies sauvages. Selon une étude américaine citée par Oskana Grente, « les loups d’une meute quittent leur territoire dans 38 % des cas lorsque meurent l’un ou les deux reproducteurs. »  

Pour autant, ces hypothèses semblent ne pas suffire à expliquer les cas de hausse de prédation suite à des tirs : « parmi les 103 louves adultes prélevées ou braconnées, seulement 13 d’entre elles étaient reproductrices, ce qui minimise a priori les risques de reproduction multiple ou de dislocation des meutes » explique Oskana Grente, laissant la question ouverte.  

Enfin, les chercheurs expliquent que si tuer des loups peut parfois réduire la prédation à court terme, cela ne règle pas forcément le problème sur le temps long.  

« Si des loups posent peu de problèmes : les tuer parce qu’il y a une attaque, c’est prendre le risque de voir un autre loup arriver et causer plus de dommages, explique Jean-Marc Landry. Dans le Jura Vaudois, deux loups étaient en train de s’installer. Ils ont fait une ou deux « conneries », mais d’une manière générale, ça allait…  

Pour des raisons politiques, le mâle a été tiré. La femelle s’est retrouvée toute seule sur le territoire et ne pouvait pas le défendre. La saison qui a suivi, la meute voisine est venue chasser sur son territoire : ils ont fait beaucoup de dommages sur les troupeaux de bovins. La saison d’après, un autre loup est arrivé : ils ont créé une meute avec la naissance de louveteaux. Ils ont commencé à faire pas mal de dommages, avec une augmentation énorme de la fréquence des attaques : en tirant un loup, ils ont amené le chaos sur le terrain. » 

 

Les pistes de solutions pour limiter les prédations  

Loin de s’opposer totalement aux tirs, ces scientifiques appellent simplement à la recherche de solutions adaptées à chaque situation : « il faut se garder les tirs comme un outil de protection parmi d’autres, estime Farid Benhammou pour La Relève et La Peste, mais il faut surtout mettre en avant des tirs d’effarouchements ».  

« Une étude italienne démontre qu’un tir d’effarouchement traumatique peut modifier le comportement du loup ciblé et celui du reste de la meute » explique Jean-Marc Landry pour La Relève et La Peste, qui rappelle cependant que ses observations suggèrent que lors d’un tir mortel, les loups ne feraient pas le lien entre leur attaque de troupeau domestique et la mort de leur congénère.  

Outre les tirs, les scientifiques appellent surtout à renforcer les moyens de protection adaptés à chaque région et chaque mode d’élevage.  

Enfin, ils rappellent la nécessité de baser les politiques de gestion du loup sur les connaissances scientifiques : « on tire des loups à grande échelle sans comprendre ce qu’on fait, regrette Jean-Marc Landry pour La Relève et La Peste. On doit apprendre à connaître les loups et ne pas en faire un objet de croyances ». 

Eloi Boye

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