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Total : plan de licenciement inavoué et greenwashing à Grandpuits

Ce rapprochement entre écologistes et travailleurs semble assez inédit dans l’histoire récente. Il montre que tous les corps de la société sont en train de prendre conscience qu’il faut « porter une autre conception de l’économie, au service du bien commun, de l’emploi, de la dignité, de la justice, du partage des richesses », comme le dit Clémentine Autain.

Ce mardi 9 février, les salariés de la raffinerie de Grandpuits, en grève depuis un mois, se sont rassemblés devant le siège de Total, à la Défense. Rejoints par des associations environnementales, ils protestent contre la reconversion de leur usine et un énième plan social menaçant plusieurs centaines d’emplois directs et indirects.

Un plan de licenciement au nom de l’écologie

Perdus entre les immensités de verre et d’acier de la Défense, le quartier d’affaires parisien, les raffineurs du site de Grandpuits détonnent. Leurs imperméables fluorescents, leurs pétards et leur air jovial contrasteraient sûrement avec les beaux costumes qui les dirigent, si ceux-ci n’avaient pas déserté leurs bureaux à cause de l’épidémie.

Ce mardi 9 février, entre 100 et 200 salariés, syndiqués, membres d’associations environnementales et journalistes étaient présents à la Défense, devant la tour Michelet où loge Total, la multinationale pétrochimique aux 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires, pour protester contre un nouveau « plan de sauvegarde de l’emploi ».

Le 24 septembre dernier, la firme a en effet annoncé que l’unique raffinerie d’Île-de-France, Grandpuits, serait reconvertie en plate-forme « zéro pétrole » d’ici 2024, dans le cadre d’un investissement de « plus de 500 millions d’euros ».

Mise en service en 1966, l’usine en question s’étale sur deux cents hectares au milieu des champs de Seine-et-Marne, à 57 kilomètres de Paris. Chaque année, quatre à six millions de tonnes de pétrole brut y sont acheminées par le Pipeline d’Île-de-France (PLIF), un oléoduc partant du port du Havre et sillonnant 260 kilomètres.

En 2014, une fuite est détectée sur l’un de ses tronçons en Seine-Maritime, bientôt suivie de plusieurs autres en 2019, qui forcent la raffinerie de Grandpuits à réduire temporairement ses capacités de fonctionnement.

Quelques mois plus tard, un audit démontre que le remplacement intégral du réseau, devenu vétuste et dangereux, est l’unique espoir de rétablir le niveau normal des activités. Six cents millions d’euros sont nécessaires. Estimant l’opération non rentable, Total décide alors de rebondir sur sa mauvaise fortune.

Symbole d’une époque à la dérive, accusée de toutes parts d’empoisonner la planète, la multinationale sait que le pétrole français a fait son temps et souhaite accélérer sa transition vers les énergies renouvelables, qui représentent pour l’instant 9 % de son chiffre d’affaires.

La reconversion de Grandpuits en plate-forme (drôlement) verte relève de cette ambition. Le projet consistera à implanter, à la place de la raffinerie, une usine de bioplastiques, une autre de biocarburants, une unité de recyclage de plastiques, ainsi que deux centrales photovoltaïques.

Les nouvelles installations exigeront moins de main-d’œuvre. C’est pourquoi Total se prépare à se séparer de 150 des 400 « temps pleins » que comptent la raffinerie et le site satellite de Gargenville, dans les Yvelines. Ce « plan de sauvegarde de l’emploi » ne prévoit aucun licenciement, mais des départs anticipés à la retraite et des déplacements de personnels, selon le groupe…

Cependant, en comptant en équivalents temps pleins, Total omet de préciser que les suppressions de postes comprendront plusieurs centaines de CDD et d’intérims. Ses chiffres n’incluent pas non plus les 500 salariés des entreprises sous-traitantes, qui gravitent autour de Grandpuits.

Mi-janvier, Vermilion REP SAS, filiale du groupe canadien Vermilion Energy, a par exemple indiqué que la fermeture de la raffinerie la forçait à licencier 26 personnes en Île-de-France et en Nouvelle-Aquitaine. Selon les syndicats, ce sont entre 700 et un millier d’emplois directs ou indirects qui sont menacés.

Opposés à ce plan social de grande envergure, les salariés de Grandpuits sont en grève depuis le 4 janvier. Après plusieurs actions coups de poing menées en Seine-et-Marne — le blocage de la raffinerie, l’invasion de son bâtiment administratif, ou encore une manifestation devant la préfecture, à Melun —, ils ont décidé de durcir le ton et de se présenter pour la deuxième fois au siège du géant pétrolier, qui refuse d’entendre leurs revendications. 

La solidarité des mouvements écologistes

Contre toute attente, plusieurs organisations écologistes se sont jointes, dès le début, au combat des raffineurs de Grandpuits. Parmi elles, Greenpeace, Les Amis de la Terre, Oxfam ou encore la Confédération paysanne, rassemblées, avec des syndicats comme la CGT, sous la bannière du collectif « Plus jamais ça ».

 Unanimement, ces ONG dénoncent la casse sociale systématique que mène le groupe pétrolier en France et la stratégie de greenwashing qui se cache derrière la reconversion de la raffinerie.

Devant le siège sans âme de Total entouré d’un cordon de CRS, le 9 février, les prises de parole se sont succédé, entre deux concerts de barils et de tambours, dans un froid qui ferait oublier le réchauffement climatique (ou pas).

D’une voix que les enceintes faisaient résonner dans cette fosse, plusieurs raffineurs de Grandpuits ont démontré que la transition écologique de la multinationale applique en réalité son projet de désengagement de la France, où l’emploi nuit aux bénéfices.

C’est également l’avis de Clémentine Autain. La députée France insoumise de Seine-Saint-Denis estime que la fermeture de la raffinerie « a été imaginée par Total de longue date. En laissant pourrir le matériel, notamment le pipeline, le groupe s’est dit que quand on veut tuer son chien, le mieux est de prétendre qu’il a la rage. Maintenant, il met les salariés devant le fait accompli, avec un seul objectif : toujours plus de profit. »

Preuve qu’elle n’est pas prête à abandonner les énergies fossiles, la multinationale investit actuellement dans le projet Tilenga, qui envisage de forer et exploiter plus de 400 puits de pétrole en Ouganda (dont au moins 132 au beau milieu d’un parc naturel protégé) et de construire le plus long oléoduc chauffé au monde (baptisé EACOP, pour Oléoduc de pétrole brut de l’Afrique de l’Est), qui traversera l’Ouganda et la Tanzanie.

Lire aussi : Des méga-projets pétroliers de Total menacent plus de 16 000 familles et une réserve naturelle unique en Afrique

En octobre dernier, au fruit d’une enquête sur le terrain, les associations Les Amis de la Terre et Survie ont prouvé que les deux opérations africaines de Total violeront les droits de plus de 100 000 personnes. Accaparement des terres, déplacements forcés, pressions, intimidations, arrestations, la firme est prête à tout pour procéder aux forages.

« Pendant longtemps, on a pu voir les ONG, les écologistes et les syndicats se regarder en chiens de faïence, déclare Cécile Duflot, directrice d’Oxfam France, mais je pense que nous avons tous compris que le combat contre les inégalités et celui pour une planète vivable sont un combat commun. Il faut travailler contre la casse sociale et le greenwashing, simultanément. »

Pour Cécile Marchand, chargée de campagne aux Amis de la Terre, « le collectif “Plus jamais ça” a été créé afin de montrer que la crise écologique et la crise sociale sont les deux faces d’une même médaille. Ce n’est qu’en s’unissant, en portant des luttes communes qu’on arrivera à changer en profondeur nos modes de consommation et de production, vers un monde soutenable et juste. »

Ce rapprochement entre écologistes et travailleurs semble assez inédit dans l’histoire récente. Il montre que tous les corps de la société sont en train de prendre conscience qu’il faut « porter une autre conception de l’économie, au service du bien commun, de l’emploi, de la dignité, de la justice, du partage des richesses », comme le dit Clémentine Autain.

Plus les mesures de lutte contre le réchauffement climatique prennent de l’ampleur, plus l’avenir des millions de personnes employées dans des industries polluantes devient incertain. Le site de Grandpuits en est le témoignage.

Le collectif « Plus jamais ça » reproche à Total d’œuvrer en inadéquation avec les objectifs de l’Accord de Paris. Selon les associations, qui ont publié une étude à ce sujet, la plate-forme « zéro pétrole » ne propose que de fausses solutions.

Les agrocarburants, par exemple, sont à l’origine d’une déforestation massive en Asie du Sud-Est, où l’on rase des forêts primaires pour les remplacer par des plantations de palmiers à huile. Quand on fait les comptes, la perte de ces puits de carbone est responsable de davantage d’émissions de gaz à effet de serre que les carburants fabriqués à partir d’énergies fossiles. Or, depuis 2015, 90 % de l’augmentation de la demande en huile végétale est liée aux « biocarburants », utilisés principalement dans l’aviation.

Et pendant que les raffineurs établissaient un piquet de grève à la Défense, Total publiait ses résultats de l’année 2020, durant laquelle plus de 7 milliards d’euros de dividendes ont été versés aux actionnaires… 

Crédit photo couv : Florent Vannier / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Augustin Langlade

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