Premier revers politique pour le parti d’extrême droite allemand AfD qui loupe son pari de remporter la présidence du canton de Saale-Orla. Des manifestations de grandes ampleurs contre son programme ont eu lieu à travers le pays ces derniers jours. Pas encore totalement battu, le parti se maintient dans les intentions de vote aux prochaines élections européennes et régionales.
Défaite de l’AFD en Allemagne
Dimanche 28 janvier 2024, jour d’élection dans le canton de Saale-Orla, région de Thuringe, Est Allemagne. Uwe Thrume, candidat du parti d’extrême droite AfD (Alternative pour l’Allemagne) et grand favori du scrutin, est opposé à son rival du parti conservateur (CDU) Christian Herrgott.
L’élection est particulièrement observée Outre-Rhin, considérée comme un premier test d’opinion avant les européennes de juin et les élections régionales d’automne. Elle arrive quelques jours seulement après les manifestations massives contre l’extrême droite qui ont lieu à travers le pays.
Uwe Thrume (AfD) obtient 47,6% des voix, soit à peine 1,9 point de plus que son score au premier tour. Christian Herrgott, bénéficiant d’un report des voix massif, remporte l’élection avec 52,4% des suffrages.
“Ensemble, alliés avec les citoyens, nous avons la force de vaincre la prétendue alternative de Höcke (le leader de l’AfD autrefois proche des milieux néonazis)”, a clamé le vainqueur. Les Verts ont souligné un résultat dû à “la forte participation électorale et à la mobilisation de la société civile”.
Mais est-ce réellement une défaite de l’AfD ? Dans un contexte de crise politique pour le parti d’extrême droite, quel signe un score aussi élevé renvoie-t-il ?
Over a MILLION people come out to protest *against* the AfD's plans to stop the Islamification of Germany. The leftist brainwashing is worse in Germany than anywhere else, but the resistance is growing. pic.twitter.com/hCUAP9ZM59
— Way of the World (@wayotworld) January 23, 2024
Le programme de “remigration” de l’AFD
Tout débute le 10 janvier, quand le média allemand Correctiv raconte le déroulé d’une rencontre datant d’il y a deux mois et réunissant des personnalités d’extrême droite, notamment les identitaires Martin Sellner et Mario Müller, proches de la mouvance néo-nazi.
Le samedi 25 novembre 2023, une vingtaine de personnes se réunissent dans la salle à manger d’un hôtel de Potsdam, à l’ouest de Berlin. La réunion est secrète. Tous ont été convoqués par voie postale.
Parmi les participants figurent des haut cadres de l’AfD : Ulrich Siegmund, chef du groupe parlementaire de Saxe-Anhalt, le député Gerrit Huy, Tim Krause, vice président du parti dans le district de Potsdam, et Roland Hartwig, bras droit de la cheffe du parti Alice Weidel, mis à l’écart depuis.
Au programme : la “remigration”. Sont visés trois groupes de personnes : les demandeurs d’asile, les étrangers ayant le droit de rester sur le sol allemand, et les “citoyens non assimilés”, qui constituent le plus gros du “problème”, selon les propos de Martin Sellner rapportés par Correctiv.
Autour de la table, on se demande comment expulser les “Allemands non assimilés” ? Martin Sellner, militant autrichien proche de Damien Rieu (Reconquête) et allié de l’ancien groupuscule Génération Identitaire, pense avoir la solution. Il faudrait mettre une “forte pression” sur ces derniers pour qu’ils s’adaptent avec des “lois sur mesure”. Avant de continuer, c’est un “projet qui s’étend sur dix ans”.
Après les révélations du média allemand, l’AfD cherche à prendre ses distances avec cette politique d’expulsion : “il ne s’agit pas d’une politique du parti” répètent ses cadres.
Riesiger antifaschistischer Protest in #Hamburg
100.000 Menschen gegen #AfD und Neofaschisten ✊👍Protest braucht Perspektive. Er muss sich gegen die kapitalistischen Wurzeln und die Rechtsentwicklung der Regierung richten #HamburgStehtAuf #hh1901 #noafdpic.twitter.com/9qFkCUipN7
— Red Revolution ☭ (@redpartisan0) January 19, 2024
“Comment combattre l’AfD en Allemagne ?”
Le week-end du 19 au 21 janvier, 1,4 million d’Allemands manifestent suite aux révélations de Correctiv. Cologne, Berlin, Dresde, Munich, Francfort, le mouvement prend forme à travers tout le pays.
Les partis traditionnels s’allient. Les slogans fusent : “Dehors les nazis”, “Le racisme n’est pas une opinion” ou encore “Voter AfD, c’est tellement 1933”. Pourtant, le parti d’extrême droite ne connaît qu’une légère baisse dans les sondages. L’Institut INSA indique que les intentions de vote en faveur de l’AfD pour les prochains scrutins seraient passées de 23 à 21,5% depuis le début des manifestations.
En Saxe, en Thuringe, et au Brandebourg, États est-allemands qui vont connaître des élections pour leur parlement régional en septembre 2024, le parti arrive toujours en tête, avec en prime 35% d’estimation de vote pour les deux premiers cités.
Le quotidien de centre-gauche Die Zeit s’interroge. “On ne combat pas l’AfD en combattant l’AfD”, mais “en menant des politiques différentes” écrit un de ses analystes politiques. Il faudrait, selon lui, rompre avec “l’austérité budgétaire” imposée par les “technocrates sans légitimité démocrtique, adhérant aux instructions de Bruxelles et au verdict des marchés”.
Avant de conclure, si les élus allemands “n’agissent pas politiquement […], les manifestations de masse contre l’AfD n’auront probablement aucun effet durable sur les élections”.
Au sein des partis traditionnels, on a évoqué la possibilité d’interdire l’AfD, qui est observé depuis longtemps par l’Office fédéral de protection de la constitution. Trop risqué pour certains politiciens qui craignent que le parti se positionne en tant que victime de l’establishment politique.
Dans une Allemagne qui a longtemps mieux résisté à l’extrême droite que ses voisins européens, la dénonciation de la xénophobie de l’AfD ne semble plus suffire. Sans proposition politique solide, la progression du parti ne connaît, pour l’heure, pas de recul significatif.
Sources : Plan Secret contre l’Allemagne, 10/01/2024, Correctiv / Si vous voulez combattre l’AfD, vous devez faire de la politique sociale, 28/01/2024, Die Zeit