L’opération est simple : payer une équipe ou des athlètes pour que leurs futures performances soient associées à une image de marque. Le but, c’est que toute l’affection développée par le public lors de ces évènements sportifs déborde et vienne s’agglutiner aux logos. Alors, la remise en cause de ces marques pourra sonner, pour le fan, comme une remise en cause du sport lui-même – la réaction sera défensive, la discussion jugée inconfortable. Cette canalisation de l’esprit de soutien et d’union des supporters pour qu’ils défendent les intérêts des marques, c’est le « sportwashing ». A l’heure où les industries générant les plus grandes empreintes carbones sont critiquées au nom de la défense d’un climat vivable, ce sont surtout elles qui lavent leur image par le sport. En effet, selon un nouveau rapport du New Weather Institute, il y a aujourd’hui environ 258 contrats de sponsors reliant des évènements sportifs ou leurs athlètes aux principaux contributeurs de la crise climatique.
Des partenariats polluants
Allant des marques de voitures comme Toyota ou Jeep, jusqu’aux producteurs et distributeurs de pétrole comme Gazprom ou Total, en passant par des géants de l’aviation comme Emirates ou Qatar Airways, les exemples ne manquent pas.
Tennis, golf, rugby, athlétisme et cyclisme sont autant de sports concernés ; le sport le plus convoité d’entre tous est le foot, qui constitue à lui tout seul un cinquième de tous ces contrats alliant sports et grands pollueurs.
L’intérêt que trouvent alors les sportifs et leurs associés dans ce genre d’alliance est simple : de grosses sommes d’argent sont à la clé, les marques étant prêtes à payer cher leur droit d’emprunter un peu d’aura aux sportifs. (A titre indicatif, il faut payer entre 1,4 et 4 millions d’euros pour imprimer son logo sur le maillot de l’équipe de France).
Néanmoins, le sens pratique ou éthique de ces sportifs peut, à terme, les dissuader de céder aux avances de ces géants économiques qui les soutiennent. Tout récemment par exemple, de nombreuses équipes nationales de foot ont fait entendre leur réticence à participer à la Coupe du Monde 2022 qui devra se dérouler au Qatar.
« Depuis quelques jours, Norvégiens, Allemands, Néerlandais et Danois ont, en préambule de leurs matchs de qualification, arboré des messages dénonçant le non-respect des droits humains par Doha [capitale du Qatar, ndlr] » rapporte ainsi Le Monde.
Ces protestations d’athlètes contre l’évènement international est un phénomène exemplaire d’une prise de conscience dans les milieux sportifs de leur impact.
C’est que les conditions d’existence des travailleurs du Qatar (pays ayant bâti sa fortune sur ses réserves de pétroles et de gaz naturels) sont effectivement meurtrières, comme en attestent les rapports de Human Rights Watch, Amnesty International et de la Confédération syndicale internationale.
La Coupe du Monde, à elle seule, s’annonce comme une véritable catastrophe humanitaire et écologique. A partir de là, un véritable tour de force serait joué si ces protestations culminaient en un appel à boycotter l’évènement.
Le sport, étendard de la destruction annoncée
En attendant, ces démonstrations de conscience humanitaire ne font que gratter la surface d’un continent de cas de conscience ; il suffit d’en apprendre plus sur les marques qui sponsorisent régulièrement les évènements sportifs – comme Qatar Airways justement – pour s’apercevoir que le monde du sport est quotidiennement complice de marques qui agissent contre l’intérêt général.
Si le respect des droits de l’humain est un tel aspect de l’intérêt général, un second aspect de cet intérêt concerne les ressources naturelles, leur dégradation et leur pérennité. Avec des partenaires comme Total ou Gazprom, les sportifs soutiennent donc des activités qui, à long terme, les desservent directement, en tant qu’humains et en tant que sportifs.
En effet, les marques rejetant le plus de dioxyde de carbone (CO²) dans l’air sont responsables d’une lente mais massive intoxication de l’air planétaire, chose que les sportifs ressentent déjà.
Selon le dernier rapport en date de Santé Public France (SPF), 40 000 décès en France sont liés chaque année aux particules fines, dont certaines de CO². Ce même rapport estime que 1 200 décès ont été évités grâce à une sous-exposition au dioxyde d’azote… particule produite par les voitures, autre grand type de sponsor sportif.
L’industrie automobile est un acteur important dans le domaine du sponsoring sportif avec environ 1,285 milliard de dollars dépensés pour le sport en général et environ 64% du budget de sponsoring des constructeurs automobiles dédié au sport, en comparaison avec les dépenses dans d’autres secteurs.
A ce titre, Andrew Simms, co-directeur du New Weather Institute propose une comparaison pertinente à l’issue de leur nouveau rapport :
« Les principaux pollueurs ont remplacé les entreprises de tabac, autrefois courantes, comme grands sponsors sportifs. Ils devraient y mettre fin pour la même raison que les parrainages du tabac ont pris fin, pour la santé de la population, du sport et de la planète. »
La comparaison n’est pas gratuite ; selon un autre rapport du SPF, environ 75 000 décès sont liés au tabac en France. La lutte contre la pollution de l’air s’inscrit dans un ordre de grandeur comparable à la lutte contre les décès liés au tabac. Face à cette aberration et sous pression populaire, de nombreux sportifs avaient d’ailleurs décidé de mettre fin à leurs contrats avec les industriels du tabac.
Dans ce cadre, les professionnels du sport prennent justement en compte les dangers pour la santé de faire du sport dans une zone à hauts risques d’intoxication. Ces recommandations trouvées sur un site de coaching sportif, ou celles-ci, proposées par l’enseigne d’équipements sportifs Décathlon, en témoignent.
Elles s’accordent pour dire que les pratiques sportives doivent s’exercer le plus loin possible des airs intoxiqués, au risque d’y surexposer le corps qui en ressortira fragilisé.
N’est-il pas alors contradictoire que les représentants de haut niveau du sport soient en même temps les porte-étendards des marques les plus polluantes du globe ?
C’est en tout cas ce que pensent certains athlètes. Interrogé par le New Weather Institute, Etienne Stott, champion aux Jeux Olympiques de Londres 2012, dénonce la situation :
« Le sport a le pouvoir unique de connecter et inspirer les gens. J’aimerais les voir utiliser leur voix pour promouvoir l’idée de soin et d’intendance de nos ressources planétaires et non l’exploitation et la destruction insensées. ».
« En gardant les sponsors polluants à bord, le sport se détourne de son opportunité de jouer un rôle productif dans la course pour réduire les émissions à zéro » complète auprès de l’institut Mélissa Wilson, membre de l’équipe britannique d’aviron qualifiée pour les Jeux Olympiques de Tokyo. « Il est temps pour le sport et les athlètes de changer cela. »
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