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Sous nos pieds, la taupe agit pour le vivant

Capable de creuser des galeries souterraines allant jusqu’à 20 mètres de long par jour et atteindre les 50 centimètres de profondeur, elle a un impact indéniable sur les sols qu’elle a foui et entasse à l’air libre. Les bioperturbations qu’elle engendre font d’elle une espèce ingénieure allogénique. C’est-à-dire qu’elle modifie son environnement en transformant un matériel vivant. Son activité de terrassière professionnelle lui octroie un rôle essentiel dans l’équilibre des écosystèmes qui devrait en faire une espèce protégée.

Lorsque l’on cherche à comprendre le rôle des taupes dans les écosystèmes, on ne tombe que sur des techniques pour s’en débarrasser ou les éradiquer. Cependant, depuis quelques dizaines d’années, ce petit mammifère attise la curiosité des chercheurs en écologie terrestre par leur capacité à provoquer des perturbations utiles aux milieux qu’elles fréquentent, la plupart du temps, très homogènes. Et si ce talpidé était une espèce ingénieure ?

La taupe, une espèce ingénieure

La taupe d’Europe, Talpa Europaea Linnaeus, est un petit mammifère fouisseur d’une longueur d’environ 17 cm. Largement répandue en Europe et même jusqu’au Japon, elle est en revanche absente sur une partie de la péninsule ibérique. 

De par sa vie souterraine, elle est difficilement observable mais l’on devine sa présence par les petits monticules de terre agglomérés à la sortie de leur taupinière. Elle dispose d’une très mauvaise vue, ne perçoit guère les mouvements et les changements de luminosité et s’alimente de lombrics, d’arthropodes et de gastéropodes.

Crédit photo : Frank Gunther

Capable de creuser des galeries souterraines allant jusqu’à 20 mètres de long par jour et atteindre les 50 centimètres de profondeur, elle a un impact indéniable sur les sols qu’elle a foui et entasse à l’air libre. Les bioperturbations qu’elle engendre font d’elle une espèce ingénieure allogénique. C’est-à-dire qu’elle modifie son environnement en transformant un matériel vivant. Son activité de terrassière professionnelle lui octroie un rôle essentiel dans l’équilibre des écosystèmes qui devrait en faire une espèce protégée.

1/ Les taupinières, des perturbateurs naturels de biodiversité

Lorsque l’on évoque le mot taupe, nous avons instantanément cette image de prairies aux motifs dalmatiens. Ces pelouses parsemées d’éruptions volcaniques qui ne sont autres que les monticules de terre accumulés par ces mammifères lorsqu’ils construisent leurs galeries. Or, ils servent de toilettes publiques à beaucoup de petits animaux enrichissant ainsi la terre. De plus, le territoire de la taupe (variant de 500 à 1000m2) est dépendant du nombre de vers de terre disponibles. Ainsi, les taupes sont un bon indicateur de l’état des sols.

Des analyses effectuées sur ces monticules ont démontré qu’ils avaient une teneur en nitrate plus conséquente que la pelouse environnante. Ceci est sûrement lié au mélange des différentes couches du sol générées par la taupe avec ses griffes, mais aussi au dépôt de son urine et de ses excréments. C’est ici que commence leur cursus en ingénierie écologique : elles modifient l’architecture des paysages en créant des zones nues dont les propriétés physiques et chimiques diffèrent du contexte uniforme environnant. Comment ?

Les animaux de bétail ont tendance à éviter les zones de taupinières changeant ainsi complètement la donne pour la végétation concernée.

Crédit photo : Pauline Karriec

Ces zones vides que l’on pourrait croire de non-droit permettent l’installation d’espèces pionnières, notamment d‘une flore ayant besoin de plus de chaleur ou qui, de moindre de taille, ne peut se développer dans l’environnement de la prairie. Aussi, les possibilités de germination des graines qui y arrivent vont être diamétralement différentes selon la luminosité, la chaleur, le taux d’humidité, etc.

Nota Bene :  Ces bioperturbations se jouent à petite échelle mais restent non-négligeable en termes d’aggradation de la biodiversité. Cependant, il n’existe pas d’espèces de plantes qui seraient endémiques des taupinières. Elles favorisent simplement une succession écologique secondaire de végétaux qui en dehors des taupinières ne survivent qu’à la faveur d’autres espaces « vides de végétation », temporaires ou permanents, très aléatoires comme ceux créaient par le piétinement du bétail ou la mort d’une touffe de vivace dominante.

Selon une étude allemande qui a suivi durant 3 années ce processus de succession secondaire, il y aurait dans les prairies cinq classes d’âge définies par leur ancienneté. A 5 mois, pas de différence tangible entre la végétation de la taupinière et celle de la prairie non perturbée. A 8 huit mois, sur les taupinières les plus sèches apparaissent l’achillée millefeuille et le plantain lancéolé. A plus d’un an, on pourra y voir selon la végétation environnante de la houlque laineuse, de la potentille rampante ou encore du myosotis discolore.

Celui connaît l’adage de l’effet papillon disant que le battement d’ailes d’un papillon peut engendrer un typhon à l’autre bout du monde se doute sûrement que si les taupes ont un tel effet sur son environnement, elles ont aussi un impact indirect sur la faune des prairies et pelouses comme par exemple certains papillons de jour et ses chenilles.

2/ Les taupinières, des terreaux fertiles et protecteurs pour les papillons cuivrés communs et leur  progéniture

Le cuivré commun (Lycaena phlaeas), papillon répandu en Europe dans des milieux ouverts, secs ou humides et typiques des prairies maigres à végétation basse et ouverte avec une certaine quantité de sol nu subit de plein fouet les conséquences de l’intensification agricole.

Le microclimat créé par une taupinière – c’est-à-dire chaud par son exposition surélevée et avec une végétation éparse qui implique des températures, elles aussi plus élevées au niveau du sol – produisent des conditions optimales pour les jeunes chenilles en quête de chaleur pour leur développement. 

D’autre part, les deux types d’oseilles (petite et grande) sont des locataires bien connues des taupinières mais aussi des hôtes pour ces chenilles. Ainsi, ces lépidoptères ont un double avantage à venir se loger sur ces petits tas de terre. Ce critère entre dans les choix des femelles pour pondre : des plantes hautes qui dépassent de la végétation ambiante, signes de nourriture suffisante. De fait, les oseilles poussant sur les taupinières sont mises en avant et attirent les femelles. Ainsi, ces lépidoptères ont un double avantage à se développer sur les éminences de terre de nos amies les taupes.

Crédit photo : Thierry Vindrac

Si les taupinières offrent un atout indéniable au bon développement des chenilles, elles sont aussi des lieux de prédilection pour les papillons adultes comme le paon de jour, le robert le diable ou encore la petite tortue. En effet, les papillons étant des espèces ectothermes ou à sang froid, ils ont besoin de beaucoup d’énergie et donc d’espaces chauds pour se thermoréguler et être en capacité de vivre sans se mettre en danger.

Cela est surtout notable chez les mâles qui naissent dans des périodes où les changements de températures fluctuent beaucoup (mars-avril). Ainsi, ces derniers choisissent des lieux où ils peuvent venir en toute sécurité recharger leur batterie. C’est à ce moment que la taupinière entre en jeu car ces espaces sont de véritables panneaux solaires en hauteur qui leur permettent de guetter les concurrents ou certains de leurs prédateurs comme les oiseaux. On pourrait penser que cela les expose plus à ces derniers mais comme leur corps est chauffé, ils peuvent s’échapper plus facilement.

3/ Des taupes, des trous et des symbioses mycorhiziennes.

Dans les espaces investis par ces petits mammifères, la pousse des arbres y est favorisée. Ces derniers favorisent les processus de mycorhization qui est le fait qu’un champignon du sol soit associé à des racines, ici, d’arbres en une association vitale pour les deux partenaires. Tel l’explorateur, le mycélium parcourt de grandes surfaces sous le sol. En creusant ses galeries souterraines, la taupe crée un réseau propice pour planter un arbre et favoriser ainsi la mycorhization. 

Les têtes des racines analysent la terre et s’orientent afin d’y trouver les nutriments dont elles ont besoin. En parallèle le mycélium explore les galeries à la recherche de plantes où il y trouve des excréments de taupes et autres cadavres d’insectes dont il se nourrit. Ainsi, planter un arbre dans une taupinière, c’est mettre immédiatement à la disposition de ses racines des nutriments, de la disponibilité en eau et en oxygène, et du mycélium, à disposition des racines.

Durant des années, et encore aujourd’hui, nous essayons de cadrer, nettoyer nos jardins en domptant une biodiversité florissante dont les bouleversements, les aléas et la diversité sont des maillons essentiels pour sa préservation. On ne dompte pas la nature, on cohabite avec elle. Et si la taupe était érigée en symbole de sa résistance ? Des sortes de créatrices d’espaces non-esthétiques et cabossés qui cachent milles et un secret dont le plus important serait celui de la préservation du Vivant ?

Liza Tourman

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