Alors que le gouvernement a été renouvelé le 20 mai et qu’une dizaine d’anciens ministres se présentent aux élections législatives, la reconversion dans le privé de Jean-Baptiste Djebbari, ex-délégué aux Transports, ravive le débat sur le pantouflage d’une partie de la classe politique, qui a pris une ampleur inédite depuis le premier mandat d’Emmanuel Macron.
Le 24 mai, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a retoqué la demande de reconversion de Jean-Baptiste Djebbari, ex-ministre délégué aux Transports des gouvernements Philippe II et Castex, de 2019 à 2022.
Cadre à la Direction générale de l’aviation civile devenu pilote d’affaires puis manager dans le privé, celui qui reste député de la Haute-Vienne souhaitait rejoindre l’armateur CMA-CGM, leader français du transport maritime qui lui avait offert un poste de « vice-président exécutif » chargé d’un tout nouveau « pôle spatial ».
Dans son avis particulièrement sévère, la HATVP a jugé que ce projet de reconversion était « incompatible avec les [précédentes] fonctions gouvernementales » du demandeur, relevant qu’il présentait « des risques déontologiques substantiels » qu’aucune « réserve ne [saurait] neutraliser ».
Au cours des trois dernières années, expliquait l’instance indépendante, « Monsieur Djebbari a rencontré (…) des cadres dirigeants du groupe CMA-CGM à au moins huit reprises ». S’il rejoignait l’armateur, l’ancien ministre susciterait de fait « un doute légitime quant aux conditions dans lesquelles [il] a exercé ses fonctions gouvernementales », notamment vis-à-vis « de l’obligation de prévention des conflits d’intérêts qui s’impose à lui ».
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Assurant n’avoir « aucun état d’âme » à partir dans le privé, Jean-Baptiste Djebbari avait déjà saisi par deux fois, cette année, la HATVP. Dans une première requête déposée le 31 janvier – soit plusieurs mois avant l’élection présidentielle –, il demandait à intégrer, après son départ du gouvernement, le conseil d’administration de la jeune start-up Hopium, qui projette de construire des voitures de luxe à hydrogène.
Acceptée sous réserve que l’intéressé s’abstienne, pendant trois ans, « de toute démarche » auprès « des membres du Gouvernement qui l’étaient en même temps que lui », cette demande n’a pas manqué de soulever l’indignation de l’opposition, dans la mesure où l’ancien ministre délégué aux Transports a participé à l’élaboration, en 2020, d’une « stratégie hydrogène nationale » dotée de 7 milliards d’euros sur dix ans.
Dans un autre avis rendu le 17 mai, la HATVP a par ailleurs autorisé Jean-Baptiste Djebbari à créer une « société de conseil », de nouveau sous réserve que celui-ci ne réalise de prestations ni pour le gouvernement, ni pour les administrations chargées de la transition écologique et des transports, ni pour les entreprises qu’il a côtoyées pendant la durée de son ministère.
Cependant, difficile de s’assurer que ces réserves seront bien respectées, tant les moyens dont dispose la HATVP pour lutter contre les conflits d’intérêts restent limités.
La valse des ministres et de leurs cabinets
Les trois gouvernements du premier mandat d’Emmanuel Macron ont été marqués par de nombreux autres cas de pantouflage. Rien d’étonnant quand le Président lui-même a été successivement inspecteur des finances, banquier chez Rothschild avant d’accéder au rôle de clé de voûte des institutions françaises, en 2017.
En octobre 2020, l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, qui faisait avant son poste ministériel du lobbying pour Areva, est par exemple devenu administrateur d’Atos, un géant européen du numérique coté au CAC40, et ayant maintes fois vendu ses services à l’État, notamment quand sa nouvelle recrue logeait à Matignon. Pour cette fonction, le maire du Havre sera rémunéré entre 40 000 et 50 000 euros par an.
Secrétaire d’État à la Transition écologique de 2017 à 2020, Brune Poirson est elle aussi passée du privé au public, puis du public au privé : en mai 2021, l’ancienne cadre de Veolia a été nommée directrice du développement durable chez le français Accor, sixième groupe hôtelier à l’échelle mondiale. À cette occasion, Brune Poirson a même rendu son écharpe de députée…
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Les ministres ne sont pas les seuls à pantoufler. Leurs directeurs et directrices de cabinet, qui occupent des postes moins exposés mais non moins importants dans la vie publique, entretiennent eux aussi des liens extrêmement perméables avec le secteur privé.
Après avoir travaillé au Medef, le syndicat des patrons français, Antoine Fourcher est par exemple devenu, sous les gouvernements Philippe I et II, directeur de cabinet de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud – elle-même ancienne cadre de Dassault Systèmes puis Danone. À ce poste, cet « expert du dialogue social » a été chargé de la réforme du Code du travail, ni vu ni connu.
Mais la palme du conflit d’intérêts revient sans doute à Éléonore Leprettre : à compter du 1er juin, cette ex-cheffe de cabinet du nouveau ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, intègre l’association professionnelle Phytéis, qui n’est autre que le principal et plus puissant lobby des entreprises agrochimiques en France.
À ce nouveau poste de directrice de la communication et des affaires publiques, Éléonore Leprettre sera amenée à négocier régulièrement avec le cabinet de son ancien patron, qui à son tour prendra des décisions cruciales concernant les pesticides.
« Comme le monde est petit… Et comme cette embauche est opportune ! » a réagi Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste.
Saisie par l’intéressée, la HATVP n’a rien trouvé à redire à cette nomination.
N. B. : Le site France Corruption recense toutes les situations de pantouflage « sur la base d’articles de presse », et accepte les contributions.
Crédit photo couv : Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP