En France, l’ouverture à la concurrence du ferroviaire est prévue pour fin 2020 et avec elle, l’émergence de nouveaux acteurs du rail. Parmi eux, Railcoop, une initiative qui ambitionne de redonner du sens à la mobilité ferroviaire en impliquant citoyens, cheminots, entreprises et collectivités.
Réinvestir le ferroviaire à l’arrêt, une solution écologique et économique
L’idée de créer le premier opérateur ferroviaire citoyen naît début 2019 dans le Lot. Elle est alors portée par des professionnels de l’économie sociale et solidaire, du secteur associatif, du ferroviaire, ainsi que des spécialistes du climat et de la mobilité.
En novembre 2019, la première coopérative (SCIC) destinée au ferroviaire voit le jour. Particuliers, associations, entreprises et collectivités locales peuvent acquérir des parts sociales, chacune coûtant 100 €. Les décisions et les comptes de Railcoop sont publics. Chaque sociétaire représente une voix, quel que soit le nombre de parts qu’il détient.
Dès le début, l’objectif affiché est de venir compléter le service public, plutôt que le concurrencer. Il s’agit de réinvestir des tronçons que la SNCF et les politiques publiques ont délaissés. Les membres de Railcoop considèrent en effet que cette ouverture à la concurrence est l’occasion de renforcer les connexions directes entre territoires, et ainsi les désenclaver.
Concrètement, cela signifie faire rouler sur l’infrastructure existante des trains de voyageurs entre régions sans passer par Paris, des trains de nuit et des trains de fret.
Si le projet séduit, c’est parce que l’on sait que les besoins de mobilité ne vont cesser d’augmenter dans les années à venir. Tirer parti du réseau ferroviaire existant au lieu de construire de nouvelles infrastructures se pose donc comme une évidence.
D’autant plus que 30% des gares existantes sont actuellement non desservies et que l’usage du fret ferroviaire en France reste minime par rapport à ses voisins.
Par ailleurs, dans le cadre de la transition énergétique, le train se positionne comme une solution incontournable. 90% des Français métropolitains résident à moins de 10km d’une gare, et le train apparaît très complémentaire des mobilités douces comme le vélo. En outre, le transport de voyageurs par rail nécessite considérablement moins d’énergie qu’en passant par la route.
Enfin, réinvestir le ferroviaire plutôt que développer le réseau routier signifie freiner l’artificialisation des terres, donc préserver les territoires et leur biodiversité.
Une estimation de 690.000 voyageurs par an
Railcoop prévoit de lancer sa première offre de fret dès 2021. La première ligne de voyageurs devrait ouvrir en 2022. Il s’agit de l’axe Bordeaux-Lyon, abandonné par la SNCF en 2014. Ce choix a été fait suite à l’étude des flux aériens de voyageurs de province à province et des données sur l’augmentation du trafic routier.
Avec une estimation de 690.000 voyageurs par an, la ligne s’annonce rentable. Trois liaisons par jour sont prévues, d’une durée de 6 h 47. Railcoop mise sur son prix d’appel de 38 euros ainsi que sur un service performant.
L’entreprise promet des wagons confortables, de la place pour stocker vélos, poussettes ou skis, ainsi que des partenariats avec des événements dans les territoires traversés.
Cette ligne doit également desservir Libourne, Périgueux, Limoges, Guéret, Montluçon, Saint-Germain-des-Fossés et Roanne.
« Entre Bordeaux et Lyon, il y a un très fort potentiel de cabotage sur des trajets comme Limoges-Lyon ou Montluçon-Lyon. » estime Alexandra Debaisieux, directrice générale déléguée.
Ce cabotage, autrement dit le transport de marchandises et de passagers sur de courtes distances, devrait en effet concerner la moitié des voyageurs, selon les prévisions.
Pour que ses trains roulent, la coopérative doit obtenir un certificat de sécurité et une licence ferroviaire, décernés uniquement si elle atteint au moins 1,5 million d’euros de capital social d’ici la fin de l’année. L’enjeu est de réunir assez de sociétaires, car le défi financier est de taille.
Il s’agit de réunir des fonds suffisants à la fois pour la redevance auprès de la SNCF concernant l’utilisation de ses infrastructures, ainsi que pour l’obtention du matériel roulant. Railcoop a besoin de six trains d’une valeur de 11 millions d’euros chacun, qui seront vraisemblablement loués dans un premier temps.
Pour le moment, l’initiative semble avoir largement convaincue.
« La radiale Lyon-Bordeaux manque vraiment et trop de personnes sont poussées à prendre l’avion. » admet Anne Lassman-Trappier, chargée des questions de transport à France Nature Environnement.
« Railcoop va démontrer qu’il y a un modèle économique pour le ferroviaire, et tordre le cou à l’idée que le train est un gouffre économique qui ne survit que grâce à l’argent public. », soutient Valentin Desfontaines, responsable du dossier mobilité au Réseau Action Climat.
« Ils veulent faire avec les gens des territoires, partent des besoins des voyageurs, affichent que les bénéfices seront totalement réinvestis », » s’enthousiasme Laurent Brun, secrétaire général de la CGT cheminot. « C’est rafraîchissant ! »