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Pour éviter l’acétamipride, ces agriculteurs préfèrent les poules, super-prédateurs du ravageur des noisetiers

« Évidemment que je recommande cette méthode à tout le monde ! », s’exclame Paul quand on l’interroge sur les bénéfices poules/noisetiers.

A rebours de la loi Duplomb réautorisant un insecticide ultra-toxique, des agriculteurs montrent la voie. A la place de l’acétamipride, ils ont des alliés à plumes pour lutter naturellement contre les ravageurs des noisetiers : les poules.

Le balanin, pire ravageur des noisetiers

En France, la production de noisettes avoisine les 10 000 à 12 000 tonnes par an, ce qui représente environ le quart de la consommation domestique. La production est donc largement déficitaire par rapport à la demande, en forte hausse avec le succès des pâtes à tartiner et l’augmentation de la confection de pâtisseries et de praline.

Cet engouement s’est traduit par une augmentation des surfaces de noisetiers de 61,5% entre 2013 et 2023 dans l’Hexagone. Mais la culture de noisettes reste difficile notamment à cause d’un ravageur : le balanin. Il est la principale raison de l’utilisation de pesticides sur les noisetiers.

Le balanin est considéré comme le pire ravageur des noisetiers. Dès que les températures atteignent 20°C, le balanin adulte se nourrit sur les différentes parties végétales du noisetier : fleurs, jeunes noisettes et noisettes plus matures. Ces prédations provoquent plusieurs types de symptômes : des chutes de fruits à leur pourrissement.

Puis, le balanin pond son œuf dans une noisette. Une fois éclos, la larve dévore l’amandon jusqu’à ce que la noisette tombe à terre, où la larve peut alors percer la coque pour sortir. Elle s’enfouit ensuite sous terre dans une petite logette où elle passera l’hiver en diapause, pendant 2 à 4 ans.

De surcroît, les adultes sont un vecteur du champignon de la pourriture brune (ou pourriture cubique sèche). Dans les plantations conventionnelles de noisetiers, il est courant de pulvériser des pesticides au printemps et au début de l’été pour tuer les coléoptères matures.

Mais en agriculture biologique, c’est lorsque les larves sont dans le sol, immobiles plusieurs années, qu’il est astucieux d’intervenir.

Balanin des noisettes femelle © entomart / Wikimedia Commons

Des poules à la place d’insecticides

Pour lutter conte le balanin, les agriculteurs bio peuvent utiliser des auxiliaires comme des nématodes (Heterorhabditis bacteriophora) et des champignons (Beauveria bassiana). Mais d’autres se sont tournés vers des alliés à plumes : les poules !

Parmi eux, Mickaël Pasquier et ses associés tiennent une ferme de 22 ha cultivée en Bio, en Vendée, avec laquelle ils produisent des légumes de plein champs (pomme de terre, poireau, oignon) et des cultures diversifiées (méteil, maïs grain, tournesol, blé, féverole…).

En 2021, il a décidé de transformer un ancien bâtiment à lapins en poulailler abritant 1500 poules. C’est d’abord pour le confort des gallinacés qu’il a décidé d’y intégrer des arbustes, la croissance rapide du noisetier permettant de leur offrir des zones d’ombre et des abris contre le vent.

« J’ai créé les poules et le parc à noisettes en même temps », se remémore Mickaël pour La Relève et La Peste. « L’idée étant venue avec le CPIE Sèvre et Bocage, dans l’espoir que les poules mangent les larves du balanin. »

Les poules de Mickaël ont un accès direct aux noisetiers © Les Oeuforiks

Quatre ans plus tard, sur les 300 noisetiers plantés dans une parcelle d’1 hectare, 200 sont en pleine forme. « Je pense que c’est plutôt dû à la terre. Ceux qui poussent mal, voire n’ont pas tenu, sont là où il y a de la terre séchante, et ça se trouve être les noisetiers les plus éloignés du poulailler », précise l’agriculteur.

Pour l’instant, la technique fonctionne très bien : « pas de balanin », sourit Mickaël. « Les poules vont bien sous les noisetiers. » Il faut pour 4 à 5 ans pour qu’un noisetier arrive en production, 2025 sera donc sa première récolte conséquente, « et elle s’annonce bien ».

Seul bémol : le bâtiment étant préexistant, il est dans un angle et les poules ne parcourent pas toutes la zone, laissant des noisetiers sans surveillance. « La poule n’explore pas une parcelle entière, » explique Mickaël. « Elle reste sur une zone de 100m autour du poulailler. »

Pour s’adapter au rythme d’exploration des poules, Pierre Delorme, paysan-chercheur sur une ferme de 12ha en Dordogne, a créé un poulailler mobile en collaboration avec l’École des Mines d’Albi. Il l’a testé sur une allée de 96 noisetiers, sur une bande longue de 40m et large de 2m.

« J’ai eu moins de 10% de pertes dans les noisetiers », sourit Pierre, connu sur les réseaux sociaux sous le nom de Pierre1911. « On avait mis 7 poules dans ce poulailler qui peut en contenir 14 : 7 poules suffisent à protéger 96 noisetiers. »

Le poulailler mobile © Pierre1911

Un constat partagé par Paul Gautreau, nuciculteur engagé en agriculture biologique depuis 2009, à Etriché, en Maine-et-Loire. C’est pour cela qu’il a judicieusement disposé des petits poulaillers à chaque bout des parcelles où les noisetiers sont plantés. Il a planté 5 ha ½ de noisetiers, avec 800 arbres à l’hectare et une centaine de poules en tout.

« Mon but était vraiment de protéger les noisetiers », raconte Paul Gautreau pour La Relève et La Peste. « J’ai choisi des poules de race noire de Janzé, une race qui a failli disparaître et qui est très rustique. Elle gratte et mange tout ce qu’elle trouve, je n’ai même pas besoin de la nourrir avec des graines ! »

Douze ans plus tard, l’âge des noisetiers les plus vieux, le pari est gagné : aucun d’eux n’est ravagé par le balanin.

Des alternatives efficaces

« Évidemment que je recommande cette méthode à tout le monde ! », s’exclame Paul quand on l’interroge sur les bénéfices poules/noisetiers.

Paul Gautreau a un rendement moyen d’1 tonne ½ de noisettes par hectare sans aucun produit chimique, car certaines de ses parcelles sont encore jeunes, contre les 2 tonnes en moyenne des agriculteurs conventionnels.

« Pour compenser la différence de rendement, il ne faut pas revendre à des grosses coopératives mais privilégier les circuits courts. Moi, je vends tout en détail, en vente directe aux magasins. On a moins de rendement mais on vend mieux nos noisettes, ce qui permet d’avoir un équilibre économique et laisser de la place pour les copains à côté »

Paul Gautreau parmi ses noyers bio © Jeanne Bonnet / Communauté de Communes Anjour Loir et Sarthe

Pour Mickaël, Pierre et Paul, le constat est unanime : le modèle agroindustriel n’est pas une fatalité, et la loi Duplomb qui ré-autorise l’acétamipride : un dangereux retour en arrière.

« La loi Duplomb n’est pas une obligation », abonde le paysan-chercheur Pierre Delorme. « C’est en place chez moi « au Démerdistan » depuis plus d’un an : une petite famille de volailles pour la lutte biologique. Les poules tuent naturellement le ravageur de la noisette en pâturant au pied des arbustes. Les volailles désherbent et amendent le sol. Les arbres sont nourris et nourrissent les volailles. Pas de produits phytosanitaires, pas d’intrants, un seul désherbage par an, des résultats 100% naturels. »

D’autres fermes biologiques arrivent même à cultiver des noisettes sans l’intervention de poules, à l’image de La Noiseraie du Plantis qui cultive 14 ha de noisettes bio dans le Sud Vienne, à côté de Montmorillon.

« Nous misons beaucoup sur la biodiversité : nous avons planté un couvert végétal diversifié, une haie, posé et des nichoirs, et creusé une mare », détaillent Anja et Antoine pour La Relève et La Peste. « C’est difficile de mesurer l’impact. Nous utilisons aussi des purins de prêle, mais acceptons surtout d’avoir de la perte. » Leur rendement est d’une tonne de noisettes par hectare.

Conserver un équilibre écosystémique sain est aussi une excellente façon de réguler les ravageurs pour Paul Gautreau.

« Je me suis aperçu que dans les terres qui ont toujours été laissées intactes, l’équilibre écologique est là, on a des mésanges. Sans aucune poule, on a un peu de dégâts – 7 à 8% de pertes –, mais les balanins n’augmentent pas. Alors que quand les agriculteurs traitent avec des pesticides, ils déséquilibrent l’écosystème et perdent tous les prédateurs naturels »

Tous les associés du « Champ du Possible » sont polyculteurs-éleveurs © Le Champ du Possible

Installé en 2005, Mickaël était en conventionnel. Quand sa famille a respiré trois jours durant dans sa maison les effluves de désherbant pour colza qu’il avait projeté, il a convaincu son associé de passer toute la ferme en bio, d’un coup, en 2010. Depuis, « Le Champ des possibles » produit mille tonnes de légumes de plein champ, dans une région où il n’y en avait pas du tout, en 100% bio.

« Cela me révolte d’entendre sur FranceInter le représentant des betteraviers dire qu’ils ont besoin des insecticides ! Il faut donner la parole aux autres », explique l’agriculteur à La Relève et La Peste. « Il y a moyen de produire bio, le débat est complètement phagocyté par l’agroindustrie et la FNSEA. Sur l’Est de la Vendée, 13% des fermes sont bio et on vit bien ! »

Son expérience de terrain est scientifiquement prouvée, y compris pour la betterave. Un collectif de scientifiques issus de l’Anses, de l’INRAE, de plusieurs universités et instituts techniques, ont passé au crible près de 4000 publications scientifiques pour répondre à une question urgente : quelles alternatives aux néonicotinoïdes sont disponibles pour protéger les betteraves contre les pucerons vecteurs de virus ?

Résultat : ils ont identifié 75 méthodes ou produits potentiellement efficaces, et parmi eux, 21 alternatives utilisables à court terme, classées selon leur efficacité, durabilité, applicabilité et praticabilité.

« Des alternatives existent donc. Aucun de ces leviers ne suffit à lui seul. Mais combinés intelligemment, ils ouvrent la voie à une protection intégrée, plus respectueuse de notre santé, de la biodiversité et de la santé des sols » précise François Verheggen, Professeur de Zoologie à l’Université de Liège et participant à ce travail de recherche

Quand les partisans de la loi Duplomb avancent l’argument de l’absence d’alternatives aux insecticides néonicotinoïdes, ils ont tort. En témoignent les ingénieux agriculteurs qui luttent contre les ravageurs, une poule à la fois.

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Laurie Debove

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